mardi 26 mai 2009

Coupant



Je n'avais pas d'opinion sur "l'affaire" Julien Coupat parce qu'après tout je n'ai aucun accès au dossier (et au début, certains de ses défenseurs semblaient dire à la fois qu'il était innocent des sabotages, que les sabotages n'étaient pas si graves et qu'il avait eu raison de saboter, ce qui me prédisposait contre lui). Et s'il était vraiment un des co-auteurs de L'Insurrection qui vient, je l'imaginais comme finalement très heureux d'être ainsi sous la répression de l'Etat de la classe bourgeoise.

Mais il semble quand même désormais très vraisembable que l'affaire réelle ne soit pas une nouvelle "Action Directe", mais plutôt une Affaire Alliot-Marie, l'arrestation sans preuves suffisantes, dans un mépris total de la procédure formelle, et si cela se confirme, cela pourrait un jour devenir une vraie affaire d'Etat et une crise de notre Etat de droit.

La longue interview de l'Epicier de Tarnac paraît ironiquement (comme le fait remarquer Coupat) dans le Monde, notre ancien quotidien de référence qui avait historiquement un ton rocardo-tiersmondiste mais qui a clairement glissé plus à droite récemment vers des accents balladuro-sarkozystes, même après l'éviction de la clique de Colombani.

Nous vivons actuellement, en France, la fin d'une période de gel historique dont l'acte fondateur fut l'accord passé entre gaullistes et staliniens en 1945 pour désarmer le peuple sous prétexte d'"éviter une guerre civile". Les termes de ce pacte pourraient se formuler ainsi pour faire vite : tandis que la droite renonçait à ses accents ouvertement fascistes, la gauche abandonnait entre soi toute perspective sérieuse de révolution. L'avantage dont joue et jouit, depuis quatre ans, la clique sarkozyste, est d'avoir pris l'initiative, unilatéralement, de rompre ce pacte en renouant "sans complexe" avec les classiques de la réaction pure – sur les fous, la religion, l'Occident, l'Afrique, le travail, l'histoire de France, ou l'identité nationale.


C'est un des pires passages tant c'est binaire. Tout se réduit à l'opposition entre des degrés de fascisme et la Rue. Il y a un aspect en effet réactionnaire très marqué mais je ne suis pas sûr qu'on ait à remonter à un "Pétainisme transcendantal" comme dirait l'autre ni que cela soit vraiment plus violent qu'une partie du CNIP ou l'UDR sous Pompidou, Messmer & Marcellin.

Quant à l'extrême gauche à-la-Besancenot, quels que soient ses scores électoraux, et même sortie de l'état groupusculaire où elle végète depuis toujours, elle n'a pas de perspective plus désirable à offrir que la grisaille soviétique à peine retouchée sur Photoshop.


Quatremer a dit que les journalistes appelaient désormais José Manuel Barroso "Le Grand Abstrait" après une vidéo parodique de Libertas, et appeler Besancenot "Brejnev sous Photoshop" est une bonne trouvaille.

Dans ces conditions, la seule force qui soit à même de faire pièce au gang sarkozyste, son seul ennemi réel dans ce pays, c'est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires. Elle seule, en fait, dans les émeutes qui ont suivi le second tour du rituel plébiscitaire de mai 2007, a su se hisser un instant à la hauteur de la situation. Elle seule, aux Antilles ou dans les récentes occupations d'entreprises ou de facs, a su faire entendre une autre parole.


Dans le Cliché Soixante-huitard sans peine, on utilise souvent la formule "X n'existe pas" avec un X tout à fait du sens commun. Mais je crois assez plausible que "La rue, cela n'existe pas", et qu'un déconstructeur qui a le goût du paradoxe plus que de la vérité tombe dans une naïveté confondante en groupant toute émeute et manifestation sous un même concept du "Groupe en Fusion" ou dans ce flux "spontanéiste" de "la Rue".

Vous êtes issu d'un milieu très aisé qui aurait pu vous orienter dans une autre direction…

"Il y a de la plèbe dans toutes les classes" (Hegel).


Malgré toute l'admiration qu'on peut avoir pour les Gracques, la petite citation est ici le comble de la mauvaise conscience (surtout que je doute que cela soit si positif chez Hegel...).

La philosophie naît comme deuil bavard de la sagesse originaire.

Platon entend déjà la parole d'Héraclite comme échappée d'un monde révolu.


Une irruption d'un ton heideggerien sur un état originel d'une Pensée de l'être encore pleine de potentialités inouies, ensuite circonscrite dans la métaphysique. Une des grandes nouveautés de la pensée révolutionnaire de l'après-guerre est que ce mythe de la radicalité originelle, si réactionnaire, soit intégrée dans les radicaux politiques. Un Autre Monde n'est pas seulement un avenir possible, il a été Oublié en puissance, comme des Atlantides englouties.

Ce qui fonde l'accusation de terrorisme, nous concernant, c'est le soupçon de la coïncidence d'une pensée et d'une vie ; ce qui fait l'association de malfaiteurs, c'est le soupçon que cette coïncidence ne serait pas laissée à l'héroïsme individuel, mais serait l'objet d'une attention commune.


Comme on dit vulgairement, là, notre Héros se fait vraiment tout un petit roman sur sa singularité.

Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l'illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l'on juge opportun de poursuivre et ceux qu'on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. La race des innocents est éteinte depuis longtemps, et la peine n'est pas à ce à quoi vous condamne la justice : la peine, c'est la justice elle-même, il n'est donc pas question pour mes camarades et moi de "clamer notre innocence", ainsi que la presse s'est rituellement laissée aller à l'écrire, mais de mettre en déroute l'hasardeuse offensive politique que constitue toute cette infecte procédure.


La dialectique foucaldienne que Coupat sait si bien parodier a quelque chose de fascinant. La pensée de l'innocence est déjà un embrigadement policier (parce que cela suppose des démarcations et clivages du crible de la gouvernementalité) et donc il ne dit pas être innocent et il n'y a pas à se réclamer de la justice, mais il est victime d'une injustice et n'est pas coupable.


Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l'heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu'ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte.


Je dois reconnaître que ce passage est vraiment pas mal écrit dans son pastiche du classicisme de Guy Debord avec une touche de moralisme hugolien du XIXe siècle ("de financiers et de filles"), mais c'est peut-être seulement mon Syndrome de Sarkophobie qui me fait aimer le "Louis Napoléon en version Disney".

Coupat a peut-être raison sur la "dialectique" (si ce terme peut recevoir un sens un peu intelligible). Le fait qu'on le lise l'illustre d'ailleurs. Une des bizarreries de ce régime actuel si anti-intellectuel et misologue est qu'il s'évertue à donner tant d'audience à ces petits groupes radicaux si philosophiques ou si "sophistiques".

13 commentaires:

all a dit…

Donquichottisme ferrovièreCe qui est révélateur à mon sens (peut-être une déformation professionnelle) est qu'il ait placé "les fous" en tête de liste des victimes de la répression bourgeoise. Avant les autres avatars de la "réaction pure".
Un remugle de l'antipsychiatrie des années 70 qui considérait le malade mental non comme une personne (souffrante) à soigner, mais comme persécutée par la violence politique, opprimée parce que différente de la norme.

Comme dirait ma mère, "non mais il a un problème, ce jeune"

Phersv a dit…

Oui, il a une référence très foucaldienne (avec un peu d'anti-psychiatrie deleuzienne) et dit que l'Asile, la Clinique, la Prison et l'Ecole relèvent d'une même discipline des corps diffuse dans la société (non pas une marge exclue mais le vrai révélateur des pratiques de "gouvernementalité").

Thibault L. a dit…

Tout ça pour finalement éviter d'avoir à penser les conditions d'une société meilleure. A mon avis, le gouvernement comme l'extrême gauche y trouvent leur compte. L'un peut discréditer tout discours alternatif, l'autre se drape dans une posture pseudo révolutionnaire, critiquant tout ce qui bouge, pour mieux fuir la remise en question. C'est assez délirant comme système.

C'est ce qui m'a toujours gêné dans la French Theory, cet étrange empressement à dénoncer les violences symboliques et les représentations du pouvoir plutôt que de chercher à améliorer concrétement la vie en commun. C'est en reprenant ce genre d'idées qu'aujourd'hui les intellectuels passent plus de temps à critiquer l'image du pouvoir plutôt que ses conséquences réelles.

Joseph Tura a dit…

Les amis, je vous trouve un peu durs avec notre Julien Doré.
Alors que d'ordinaire, ma sympathie va plus facilement aux ministres de l'Intérieur qu'aux chevelus.

Prenons-le comme un texte politique, ce truc a de la gueule et de la tenue, de la morgue. Un bel exercice de d'Artagnan d'extrême-gauche.

On peut ironiser sur le personnage mais n'oublions pas d'où il écrit. MAM pour lui n'est pas un Guignol.

Et sa réponse sur "Pourquoi Tarnac ?" est du meilleur Thoreau.

Phersv a dit…

> Thibault L.
Pour me faire l'avocat du diablotin (même s'il y a en effet un côté Belle Âme retiré dans son Jardin pur de la décroissance), il pourrait dire que ceux qui veulent améliorer la situation concrète par des réformes ponctuelles ne font que proroger un état de fait d'ensemble.

Il fait l'éloge de la singularité héroïque ou de La Rue ou La Plèbe (au lieu du prolétariat). On est dans un imaginaire mythique comme d'anciennes grandes hérésies, pas vraiment dans un système politique.

> Joseph Tura
Un retournement stylistique est que lorsque les élites politiques parlent n'importe comment, les hippies se mettent à écrire une prose aussi classique. Je n'aurais pas pensé à la comparaison avec le Transcendantalisme, il y a vraiment des accents sur la Nature.

Comme le dit bien Guillermo, le choc principal de cette affaire est de voir un groupuscule situationniste complètement inconnu propulsé sur plusieurs colonnes à la Une du Monde.

Mais MAM & Badinguet auront beau jeu d'instrumentaliser aussi bien Le Situ-Spontex proscrit comme l'Enfermé que le Brejnev sous Photoshop qui a notamment un succès d'identification générationnelle.

Anonyme a dit…

Vive notre président sarkozy,qui déteste tous ces intellectuels,philosophes m'as tu vu prétentieux

Phersv a dit…

... et qui leur donne donc dix fois plus d'audience...

Thibault L. a dit…

Pas sûr que les intellectuels aient une réelle audience aujourd'hui. Peu de débats, peu d'idées phares en dehors de la sphère économique.

Coupat et autres personnes semblables me font penser aux socialistes Allemands que Marx critiquait dans la Sainte Famille (Les "critiques critiques"). Il leur reprochait leur vacuité, leur condamnation systématique et vaine des représentations du pouvoir, et finalement leur appel à la posture révolutionnaire plutôt qu'à l'action véritable. Après les déboires du marxisme et des révolutions, j'ai bien l'impression qu'en France l'extrême gauche en est revenu à ce stade.

Joseph Tura a dit…

Thibaul L.t: Tu opposes les posture et la véritable action...pourquoi pas...mais en deux mots, quels est le véritable programme d'actions ?

Thibault L. a dit…

Pour moi? La réforme ou la révolution. A mon sens cette dernière est un mauvais choix. Un groupe politique doit délivrer une analyse sérieuse et critique afin de proposer une réforme pertinente et assumée, fruit d'une vision claire du monde. Ca paraît con, mais au-delà de tous les discours c'est surtout ça le politique.

La posture revient plus à revendiquer une radicalité totale, une pureté de l'esprit sans aucune conséquence pratique.C'est l'exemple de BHL, belle âme dont les mots sont vides et qui ne fait pas avancer le débat.
On retrouve la posture sous des formes diverses. Quand une marque se présente comme transgressive et rebelle alors que c'est rien d'autre qu'une paire de baskets. Quand un intellectuel Français se présente comme Saint George attaquant le dragon du fascisme/socialisme Etatique, au péril de sa vie. Quand un politique présente comme une rupture radicale de vieilles idées. A chaque fois, la communication prend le pas sur l'aspect concret. On met de côté les conséquences, et on s'intéresse plus aux questions "Qui parle?" et "Comment le fait-il?". Ce qui ne fait pas avancer le schmilblick.

Thibault L. a dit…

Après relecture, je vois que je ne suis pas assez clair.
Pense à Pierre Mendés France.Sans l'idéaliser, un programme simple, expliqué, et modéré puisqu'il s'agit de le rendre applicable. Le programme participe d'une logique de dialogue et de raison. Des postulats différents aboutissent à des analyses différentes, elles se confrontent et les gens font leurs choix.

Joseph Tura a dit…

@ThibaultL.
Pour la posture, je vois bien mais pour la vraie politique, tu réponds méthode (analyse-critique-propositions)...un vrai socdem !!! Il ne manque que le pragmatisme.

Le tout placé sous la figure tutélaire de PMF...l'homme politique le plus surévalué du XXème siècle...10 mois de gouvernement et 20 ans de (im)posture (nous y revoilà).

Certains se moquent des accents adolescents de Coupat-Doré mais dans son genre PMF est un peu le James Dean ou le River Phoenix de la politique.

Le PMF de 1944 n'avait rien d'un modéré. Il voulait la rigueur financière, il aurait eu la guerre civile et le PCF à 40%

Thibault L. a dit…

Hé, je suis pas loin de ça. Je me cherche encore, mais le pragmatisme associé à une vision politique pertinente reste bien souvent la meilleure option.
Pour PMF, je suis d'accord que son action ne fut pas exceptionnelle, mais sa méthode et ses volontés d'explication sont à valoriser aujourd'hui. Actuellement, les arguments reposent sur l'émotionnel ou la posture le plus souvent, on est donc loin du débat politique.

Comment vois tu un véritable programme politique, pour ta part?