dimanche 14 juin 2009

Rumeurs perses




D'après Electronic Maji, ce serait les vrais résultats des élections iraniennes :


Unofficial news - reports leaked results from Interior Ministry:
Eligible voters: 49,322,412
Votes cast: 42,026,078
Spoilt votes: 38,716

Mir Hossein Mousavi: 19,075,623 (45,43%)
Mehdi Karoubi: 13,387,104 (31,9%)
Mahmoud Ahmadi-nejad: 5,698,417 (13,57%)
Mohsen Rezaei: 3,754,218 (8,9%)


Soit 41 987 362 suffrages exprimés. Il y aurait alors eu ballotage avec un second tour entre les deux candidats "modérés", Mousavi contre Karoubi.

Voici les résultats officiels :


Valid votes 38,755,802 98.95%
Blank or invalid votes 409,389 1.05%
Totals 39,165,191

Mahmoud Ahmadinejad 24,527,516 (62.63%)
Mir-Hossein Mousavi 13,216,411 (33.75%)
Mohsen Rezaee 678,240 (1.73%)
Mehdi Karroubi 333,635 (0.85%)


Si les premiers chiffres cités ont une base de vérité, la faction Ābādgarān (le Parti conservateur) aurait paniqué en voyant qu'Ahmadinejad ne passait même pas au second tour qui se serait déroulé entre Mousavi et l'ancien Président du Parlement Mehdi Karroubi, qui est aussi un "modéré" (le célèbre philosophe Abdolkarim Soroush soutenait d'ailleurs ce clerc controversé).

Ce serait d'ailleurs presque Mehdi Karroubi plus que Mousavi qui se serait fait voler le plus de voix dans ce modèle, Mousavi perdant 12 points, Karroubi 31 points (!!!) et même le conservateur Rezae se faisant prendre 6 points (d'ailleurs, lui aussi a protesté contre les résultats).

Mais cela reste pour l'instant une pure spéculation. Après tout, de nombreux sondages donnaient des scores assez elevés à Ahmadinejad, bien supérieurs à ce chiffre si bas de 13% (mais Laura Secor mentionne des sondages qui donnaient en effet une nette avance pour Mousavi et Karroubi, et dit que la forte participation aurait dû en théorie nuire à Ahmadinejad). Il semble y avoir peu de doutes qu'il y a eu de la fraude mais la question est de savoir dans quelle ampleur : faire passer Ahmadinejad de 5,7 millions à 24,5 millions semble vraiment extrême.

Il y a seulement 4 ans, en 2005, le Premier Tour des élections présidentielles avait donné 6,2 millions de voix à l'Ayatollah Rafsandjani et 5,7 millions à Ahmadinejad, avec une participation largement inférieure autour de 60%, contre 85% cette fois-ci. La rumeur redonne donc quasiment le même nombre d'électeurs à Ahmadinejad en valeur absolue, alors que les résultats officiels doublent ce nombre par 4 en 4 ans ! Il est vrai qu'il y a cette fois moins de candidats conservateurs qu'en 2005 comme le Maire conservateur de Téhéran Ghalibaf ou le spécialiste de Kant Ali Larijani, qui était aussi très proche du Guide Khamenei.


Akbar Hashemi Rafsanjani 6,211,937 (21.13%)
Mahmoud Ahmadinejad 5,711,696 (19.43%)
Mehdi Karroubi 5,070,114 (17.24%)
Mostafa Moeen 4,095,827 (13.93%)
Mohammad Bagher Ghalibaf 4,083,951 (13.89%)
Ali Larijani 1,713,810 (5.83%)
Mohsen Mehralizadeh 1,288,640 (4.38%)


Comme le dit Gordon Robison, il n'y a pas que deux hypothèses à considérer (soit Ahmadinejad avait vraiment gagné, soit le Grand Ayatollah Ali Khāmene’i et Ahmadinejad ont organisé un coup d'Etat). Il y en a une troisième, assez étrange : et si Ahmadinejad et son parti Ābādgarān avait fait un coup d'Etat contre le vainqueur Mousavi mais aussi contre le pouvoir du Conseil des Gardiens cléricaux. La Révolution mange aussi ses Parrains et le Sepáh e Pásdárán (l'Armée des Gardiens), qui contrôle déjà toute une partie de l'économie de la République islamique, lutterait alors aussi contre le Conclave de l'Assemblée des experts.

Des rumeurs disent en effet que même certains des juristes cléricaux seraient opposés aux résultats officiels. En 2007, le Grand Ayatollah Khamenei avait nommé un proche, le Général Mohammad Ali Jafari à la tête de l'Armée pour remplacer Safavi, qu'on disait plus proche d'Ahmadinejad, mais il faudra voir si la répression des modérés proches de Mousavi va plus loin et a aussi une reprise en mains par l'aile autour d'Ahmadinejad.

Ce serait alors la fin d'une phase théocratique du pouvoir clérical. En fait, de nombreux mollahs autour des anciens Présidents l'Ayatollah Rafsandjani et Khātamī soutenaient Mousavi et à l'inverse Ahmadinejad incarne peut-être plus une victoire d'une dictature des "Laïcs" militaires (même s'ils sont plus radicaux du point de vue "théologique").

Les Néo-cons américains et certains milieux bellicistes se réjouissent plutôt de la victoire de l'aile dure iranienne, pour justifier une intervention militaire (mais on peut douter que Netanyahou ose une attaque sans l'aval américain). Mais s'il y a vraiment une Guerre civile complexe entre des factions du gouvernement iranien (radicaux d'Ahmadinejad avec l'Armée des Gardiens, conservateur de l'Ayatollah Khamenei et du maire de Téhéran et l'aile de Mousavi), leur argument pourrait finalement être quand même affaibli puisqu'il est évident qu'elle renforcerait aussitôt Ahmadinejad.

Add.

Andrew Sullivan cite d'autres chiffres de la campagne de Mousavi :

# Mousavi – 21.3 million (57.2%)
# Ahmadinejad – 10.5 million (28%)
# Rezai – 2.7 million (7.2%)
# Karroubi – 2.2 million (6%)



Dans cette version (qui viendrait de résultats partiels), Mousavi aurait gagné dès le premier tour mais cela jette un doute certain sur l'autre rumeur qui donnait Karroubi juste derrière Mousavi avec 13 millions de votes.

Add. 2 : Flashpolitique.fr traduit en français quelques twitters iraniens (anglais). Il y a une liste de ces twitters par ville.

Add. 3
Juan Cole (qui donne plusieurs arguments régionaux pour douter des résultats officiels) analyse un sondage qui semblait sérieux et très favorable à Ahmadinejad. Mais même si on y croit, il ne donnait que 45% à Ahmadinejad au premier tour, bien loin des 62%.

Add. 4
D'après le Guardian, Mohammad Asgari qui aurait divulgué les résultats indiqués ci-dessus serait décédé "d'un accident de voiture".

7 commentaires:

Anonyme a dit…

La séquence des réactions et commentaires se superpose aux événements et contribue à rendre le tout de plus en plus confus :

- En fin de semaine, certains commentateurs s'enthousiasment pour Moussavi et décrivent un Iran en voie de modernisation rapide (rock, blogs et sms). Cet enthousiasme culmine vendredi en fin d'après-midi lorsque ledit Moussavi se proclame vainqueur.

- Retombée de l'enthousiasme dès la proclamation de l'élection d'Ahmadinejad.

- Critique par certains (le Washington Post, Schneidermann en France, par exemple) de l'enthousiasme manifesté précédemment : Moussavi ne pouvait pas gagner. Les médias occidentaux se sont fait manipuler par ses partisans. Ils voient l’Iran soit au travers du prisme occidental soit du seul point de vue de la bourgeoisie éclairée ("Téhéran Nord" selon J. Cole). L’Iran réel est renvoyé aux ténèbres de l’obscurantisme religieux.

- Mais les manifestations se développent et il semble qu’il y ait bien eu fraude. Effacement de l’école cynique. Retour des commentateurs "modernistes".

Etc.

Ce qui frappe, si on compare à ce qui s’est passé par exemple il y a 20 ans en Chine, c’est l’irruption des commentateurs "cyniques". Il ne serait venu à l’idée de personne en 1989 de prétendre que les médias occidentaux exagéraient, qu’ils étaient manipulé par des étudiants chinois essentiellement pékinois, citadins et bourgeois et que la vraie Chine, celle des campagnes, restait et resterait quoi qu’il arrive immobile. Je ne suis pas certain que ce cynisme decrypteur apporte grand chose au fond.

Elias a dit…

@anonyme
"Ce qui frappe, si on compare à ce qui s’est passé par exemple il y a 20 ans en Chine, c’est l’irruption des commentateurs "cyniques". Il ne serait venu à l’idée de personne en 1989 de prétendre que les médias occidentaux exagéraient, qu’ils étaient manipulé par des étudiants chinois"
Ce qui est aussi nouveau par rapport à 1989 c'est l'anti-impérialisme à trois sous qui conduit certains à devenir pro Ahmadinejad par anti-américanisme.

Phersv a dit…

Je suis d'accord sur le risque de cynisme + posture anti-impérialiste (comme certains commentateurs du forum de Libé qui soutiennent Ahmadinejad parce qu'il plaît à Chavez et déplait aux Américains - à part les néo-cons).

Cela dit, je crois que même en 1989, il y avait eu une partie de la droite (même en dehors de Peyrefitte) qui avait rejeté le mouvement étudiant chinois comme trop ambigu idéologiquement, voire néo-maoïste.

Et le passé de Moussavi (qui est certes soutenu par les classes reformatrices mais qui se réclame d'un retour à une "pureté" sous Khomeny) peut encore plus fortifier la réponse cynique.

Phersv a dit…

Ali Gharib a un article intéressant sur cette ambiguïté du mouvement et Laura Secor explique comment Mousavi est considéré comme un héritier de l'Ayatollah Khomeini.

Elias a dit…

"Et le passé de Moussavi (qui est certes soutenu par les classes reformatrices mais qui se réclame d'un retour à une "pureté" sous Khomeny) peut encore plus fortifier la réponse cynique."

Oui, en revanche il rend grotesque l'anti-impérialisme de supermarché qui fait de Moussavi l'homme des américains.

Un autre point amusant dans la réception de l'affaire en occident, c'est que parmi les tenants de la légitimité de l'élection d'Ahmadinejad : on trouve à la fois du sous- anti-impérialisme vaguement d'extrême gauche et des néo-cons de comptoir qui tiennent absolument à pouvoir accuser Obama de naïveté comme s'il avait promis que sa politique à l'égard de l'Iran allait faire battre Ahmadinejad

anonyme (encore) a dit…

Ce n'est pas tellement la posture anti américaine qui m'avait frappée (même si elle existe sûrement aussi) mais plutôt l'idée qu'il existerait une vérité vraiment objective qu'on n'atteindrait qu'en décryptant avec cynisme (qui manipule qui ? etc) les informations.

Avec pour corolaire, la condamnation de tout parti pris : on semble par exemple exiger aujourd'hui des observateurs occidentaux à Téhéran, sous peine de disqualification, une totale neutralité, une position d'arbitre complètement intenable (Il faudrait ainsi respecter une sorte d'égalité de temps de parole entre partisans d'une ouverture même relative et partisans d'Ahmadinejad).

Je ne crois pas qu'à Pékin en 1989 (pendant, d'ailleurs, qu'en Iran mourrait Khomeiny et que Moussavi gouvernait) on exigeait des journalistes qu'ils équilibrent leurs interviews d'étudiants d'interventions de membres du PC chinois.

Elias a dit…

@anonyme
L'idée qu'il y ait une part de manipulation de la part du "camp des gentils" n'était peut-être pas présente en 89 dans la couverture des événements de Pékin, en revanche elle a rapidement fait surface dans la couverture des événements de Roumanie à la fin de la même année.

Ce qui est contestable ce n'est pas de se demander si on n'est pas manipulé par ceux qui sont dans le camp qui a notre sympathie, c'est de considérer que si tous les pro-Moussavi ne sont pas des saints, alors ils ne valent pas mieux que leurs adversaires.