mercredi 25 août 2010

Joyeux anniversaire, D&D



Donjons & Dragons ("OD&D") fut publié pour la première fois officiellement à la Geneva Convention VII (23-25 août 1974), il y a 36 ans (et c'est aussi par la même occasion le 10e anniversaire de la IIIe édition à la XXXIIIe Convention).

Contrairement aux fans de ce qu'on appelle la Old School Renaissance qui ne cessent de dire que leur goût pour les vieux jeux va au-delà de la nostalgie et qu'ils peuvent le justifier par des arguments quasi-esthétiques sur ce que devrait être le jeu de rôle, je ne vois guère (dans mon propre cas, du moins) que de la nostalgie (je vois qu'il y a au moins Huge Ruined Pile d'accord sur ce point). Les jeux de rôle actuels me paraissent vraiment objectivement meilleurs. Mais les jeux de rôle des années 70 ont une sorte d'ouverture ou de potentiel qui semblent si infini en raison de leur manque de précision par rapport aux jeux plus raffinés... et parce que nous étions nous-mêmes plus naïfs.

Le côté le plus ennuyeux des joueurs de jeu de rôle est, paraît-il, leur obsession à vous raconter leurs parties. C'est aussi mon travers.

Je me souviens de mes premiers jeux de rôle.

C'était, je crois, en juillet-août 1983. J'avais déjà lu Bilbo le Hobbit et le Seigneur des Anneaux de Tolkien (peut-être déjà le Silmarilion ?) mais surtout cet été-là, j'ai trouvé la bande-dessinée Weird World écrite par Doug Moench et dessinée par John Buscema. Il s'agit de l'histoire de deux elfes, Tyndall et Velanna, et un Nain, Mud-Butt (Cul-Boueux), qui se retrouvent à lutter dans la Cité des Sept Plaisirs Noirs contre les agents du Dieu maléfique Darklens, les Cavaliers nocturnes, qui cherchent un moyen de le ressusciter (ces Nightriders évoquent vraiment les Ringwraiths mais Doug Moench prétend qu'il n'avait jamais lu Tolkien).

Voici une version simplifiée de la carte du "Pays Fantastique", le Weird World (cliquez pour avoir la carte entière) :


Comme on le voit, la forme du continent principal est une tête de Dragon et l'Anneau flottant de Klarn est l'Oeil de ce Dragon (les amateurs de Runequest apprécieront). Je crois être resté des heures entières à contempler la version agrandie et embellie de cette carte à la fin de la bande-dessinée. Mon amour des cartes doit dater de cette idée de Doug Moench d'une géographie signifiante. Je voulais à tout prix jouer dans cette carte mais je ne voyais pas vraiment comment. Nous avons posé des pions dessus avec ma soeur mais nous improvisions des règles sans arriver à explorer cet espace nouveau, ce terrain inconnu. Je voulais surtout aller dans les zones non-couvertes par la bande-dessinée.

J'avais entendu parler de D&D, (par le magazine Jeux & Stratégie ou bien par la novelisation du film ET, peut-être ?), mais je n'imaginais même pas qu'il fût possible d'en trouver en France, je ne le désirais même pas, comme si c'était quelque chose d'aussi exotique que de souhaiter que nous nous mettions soudain au baseball ou que nous déplacions l'Empire State Building. Par hasard, il y avait cet été-là, sur une chaîne de radio dans la Drôme une émission en fin d'après-midi qui prétendait être du D&D. En fait, les auditeurs appelaient et un bruitage représentait un monstre de D&D, un roulement de dé ou le vacarme de coups d'épées. De manière arbitraire, le présentateur disait simplement : "Bravo, vous avez tué le gobelin" ou bien "Oh, désolé, le Balrog vous a tué". Aucune histoire et aucun personnage mais je suivais pourtant cela religieusement comme la meilleure fiction radiophonique. L'Âge d'Or n'est pas une époque mais bien quand on a 12 ans.

Dès la rentrée, je suis tombé sur la première traduction française de Donjons & Dragons (Module de Base, Niveau 1-3, premier tirage : novembre 1982). J'ai dû attendre assez longtemps pour l'avoir car il était hors de prix, dans les 200 F de 1983, ce qui représentait une somme inabordable pour ma mère, sans doute plus de 50 euros aujourd'hui (d'après ce site de conversion).

Quand je l'obtins, je fus pourtant horriblement déçu.

Je m'attendais confusément à une sorte de jeu de société traditionnel. Il y avait bien quelques plans mais aucun pion et aucune figurine. Je ne comprenais pas comment on jouait. Ce n'est qu'en lisant une explication dans Jeux & Stratégie que je compris enfin qu'il n'y avait ni plateau ni pion, seulement l'imagination des participants "comme jouer au Papa et la Maman".

Mais je mis des années à saisir pourquoi la race tolkienienne des Hobbits était appelée ici des "Tinigens" (que je prononçais tiniguènss* et qui sont en fait la première traduction maladroite de "halfling", lui-même une euphémisation de hobbit pour ne pas avoir de procès de la famille Tolkien).

Cette image un peu insultante (Basic D&D p. 6) me plaisait pourtant beaucoup :


Le jeu de rôle va traîner longtemps (comme les comic-books américains) cette image de Wish-Fulfillment de "Conan anabolisés pour tronches binoclards". C'était le jeu adapté aux Peter Parker (bien que le genre de jeu de rôle superhéroïque n'ait jamais marché en France et que le plus gros succès, le jeu d'horreur Call of Cthulhu en soit quasiment une sorte d'inversion).

Le jeu était vendu avec un premier module de Gary Gygax, le B2 Le Château-Fort Aux Confins du Pays. Les joueurs Old-School essayeront de vous faire croire que c'est le meilleur scénario jamais écrit grâce à l'extrême latitude laissée au Maître du Donjon. Ne les croyez pas. C'est plutôt mauvais, même pour l'époque : les personnages sont tous anonymes, Gygax s'est contenté de décrire un petit château avec un Aubergiste qui s'appelle "l'Aubergiste", et un tas de cavernes emplies de monstres. C'est plutôt le degré zéro, en dehors d'une table des Rumeurs aléatoire qui peut donner un peu d'épaisseur à tout cela. Si cela a la vertu de vous contraindre à créer tout par vous-même, cela ne paraît pas vraiment un modèle d'introduction à émuler.

Je créai donc un personnage, le Voleur chaotique Zarkam (bien que l'idée d'un personnage mauvais me paraisse peu amusante) et ma petite soeur de 6-7 ans créa une magicienne, Morgann la Brillante, qui n'avait droit qu'à un seul sortiège tous les 24 heures (Sort de Sommeil). Nos personnages n'avaient qu'une poignée de points de vie à eux deux et je n'étais pas assez malin pour penser à engager des serviteurs. Ils se firent aussitôt massacrer dans la deuxième salle du module par quelques petits gobelins sans avoir vraiment pu se défendre.

Encore maintenant, je me demande comment les premiers joueurs eurent assez de patience pour ce jeu où les personnages de Niveau 1 n'avaient aucune chance de résister à un combat et où il étaient censés recréer les personnages dix fois dans l'espoir d'atteindre un jour le Niveau 2 (mais le joueur Old-School Fencig semble pouvoir y arriver cet été avec ses joueurs sur le module B1 sans avoir de sorts de soins pourtant).

Je passai vite à d'autres jeux comme la création française Légendes celtiques (1984), Middle-Earth Role-Playing et Runequest (j'ai déjà fait le portrait de mes campagnes). Mais je regarde encore ce premier module atroce, le Château-Fort aux Confins du Pays, avec l'attendrissement narcissique qu'on peut avoir envers ses propres essais les plus médiocres.

Quant au Weird World de Doug Moench, je crains hélas qu'il n'y ait pas assez de détails pour en faire directement un monde de jeu de rôle.Mais il y a quand même quelques idées originales (par exemple l'idée gnostique que le dieu maléfique y est aussi le Démiurge ou cet Anneau volant qui laisse une terre dans les ombres).

(Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait démissionner)

8 commentaires:

Elias a dit…

"Par hasard, il y avait cet été-là, sur une chaîne de radio dans la Drôme une émission en fin d'après-midi qui prétendait être du D&D. En fait, les auditeurs appelaient et un bruitage représentait un monstre de D&D et un roulement de dé ou le vacarme de coups d'épées. De manière arbitraire, le présentateur disait simplement : "Bravo, vous avez tué le gobelin" ou bien "Oh, désolé, le Balrog vous a tué".

oh ça me dit quelque chose ça!
Dans mon souvenir l'auditeur au téléphone donnait une sorte de top ... et en effet on avait l'impression que le résultat était complètement arbitraire.

Phersv a dit…

Peut-être était-ce sur une chaîne de radio nationale ou quelque chose comme RMC ?

L'année suivante, FR3 a passé une émission entière réalisée par l'équipe de Casus Belli (Didier Guiserix) où ils jouaient un scénario de Mega (Rapts à Gestrac, je crois, paru dans Jeux & Stragégie Hors-Série de février 1984) en le reconstituant ensuite en costumes. Cela a dû être (en dehors de la vague des Livres dont vous êtes le héros) le sommet de la couverture médiatique des jeux de rôle.

Unknown a dit…

Lamentations of the Flame Princess RPG semble mériter véritablement le terme de Renaissance, puisqu'un univers relativement original adossé à plusieurs modules déjà parus et à une pratique auteuriste du jeu, complète un système de règles néogygaxien .
(Ce qui ne m'empêche pas en tant que wannabe GM de préférer les diverses itérations du système moderne PDQ.)

Phersv a dit…

Oui, c'est un bon exemple. Je ne niais pas que la Renaissance Old-School existe vraiment (la campagne Dwimmermount de Grognardia le montre aussi en créant graduellement ses modifications idiosyncratiques à OD&D en cours de jeu et non pas a priori).

Les règles de LoFP (d'après cette review) ont l'air d'être essentiellement des addenda ou règles maison d'OD&D relativement mineures (j'aime beaucoup l'idée que l'Exorcisme des Clercs devient un sortilège et plus une capacité spéciale).

L'originalité a l'air de se concentrer surtout dans l'atmosphère "Weird" de ses modules, en effet.

En ce sens, une caractérisation de l'Old School ne serait pas simplement l'axe "Gamist" (remettre plus d'aléatoire et de danger TPK contre la tendance "Narrativiste") ou le fétichisme des vieux jeux à classes et niveau mais la réappropriation personnelle du jeu dès qu'on commence à bidouiller avec le système mais surtout avec l'univers au lieu de suivre un Canon officiel ou une Méta-Intrigue d'arrière-fond.

Les premiers jeux (en dehors d'Empire of Petal Throne) étaient sans aucun univers et ce n'est qu'ensuite que Greyhawk ou l'Imperium de Traveller se sont imposés (Runequest est un cas à part car il a essayé d'exister comme système générique, notamment dans la 3e édition et dans l'édition Mongoose, mais il est difficile de dépasser la qualité de Glorantha qui est là dès le départ).

Le vrai geste Old School n'est donc pas la nostalgie vers un état initial plus pur mais de revenir à de nouvelles transformations de cet état indéterminé.

C'est donc plus "tuer (amoureusement) le Père" D&D que le vénérer.

Unknown a dit…

On a fait l'expérience suivante durant ces dernières années: jouer à Castles & Crusades qui n'est pas loin du OSR, en tous cas une sorte de D&D pré 3e edition, entre vieux joueurs des années 80 + un joueur de la même génération mais novice et de lui-même biclassé roleplay/powergamer: son incompréhension vis-à-vis de la complexité (assez relative pour nous) et de l'arbitraire des règles était remarquable. La customisation des persos lui échappait totalement, la soumission au D20 le faisait souffrir dans sa tête, bref sa mimesis ne pouvait s'encombrer d'autant de biais. J'avoue que son exemple m'a inspiré quand j'ai tenté de pondre ma version microlite D20 de la magie automatique (retour au seul saving-throw (difficile) de la cible et encore...), bref des sensibilités modernes et pragmatiques peuvent amender une vieille bécane "non-euclidienne".

Phersv a dit…

Et encore, C&C a encore pas mal de la systématisation et unification de D&D3, non ? D&D3 a des lourdeurs mais aucune édition n'était vraiment systématique avant.

Dès que j'essaye de revenir à une forme originale de D&D ou AD&D, les héritages de wargames arbitraires et les cas particuliers ad hoc m'arrêtent un peu. On doit utiliser le d6 pour les chances de détection de pièges (ou de portes secrètes, je ne sais plus), sauf pour le Voleur qui utilise le d%. Ces règles semblent être une collection hétéroclite d'exceptions. La liste des Saving Throws (Poison, Pétrification, Baguette, Magie, Souffle de Dragon) semble être une Liste absurde à la Borgès. Et je n'arrive toujours pas à comprendre des choses comme l'Initiative à chaque tour.

Certaines conventions peuvent être rationalisées et sauvées (par exemple, IIRC, Warhammer 1e édition avait conservé avec élégance les interdictions d'armures pour mages en disant que le métal donne simplement un malus à la magie).

Et curieusement, j'ai l'impression que D&D4, quelles que soient ses qualités, a augmenté encore le nombre de particularités et de D&Dismes ("implied setting") par rapport aux éditions précédentes.

Unknown a dit…

DD4 oblige les joueurs à "jouer" des macros/combos, un petit peu comme si le système PC était devenu Mac; mais la couche logicielle, nécessaire si l'on se pique de s'intéresser aux règles, est tout aussi complexe.
J'ai eu l'impression à la lecture en diagonale des lourds volumes DD4, que les diverses rationalisations composant le système relèvent, pour ce que j'en sais, d'un scientisme (façon de parler) qui flatte les nombreux compulseurs de mode d'emploi.
J'ai l'exemple de mon MJ -qu'il me pardonne- qui, quoi qu'ayant récemment jeté l'éponge, y trouva son bonheur, en partie parce que c'est Loi écrite.
Je reconnais volontiers l'hétérogénéité balourde du DD ancienne mode, et on en sait les origines qui accouplent wargames et Vance...
Mais le fétichisme de chacun y trouvait mieux son compte; en fait nous étions jeunes et prêts à en découdre avec n'importe quel système à niches et la seule mention d'une entrée statistique du MM suffisait à nos rêves de pervers polymorphes attardés.

(L'initiative tour par tour me semble représenter les films de cape et d'épée classiques: Gene Kelly en D'Artagnan se fait presser par Rochefort puis reprend l'avantage suite à une feinte.
SW par exemple renouvelle aussi l'initiative à chaque round.
Le d6 vs le %: oui, seul le voleur avait le privilège insigne et illusoire d'utiliser le système des exotiques voisins de Chaosium !!!)

Quant à CC, on échappe quand même au 5-foot step et à l'atroce attaque d'opportunité (importation de l'horreur mathématique de squad leader).

Marvinclay a dit…

Bonjour Phersy,
J'ai lu avec intérêt et amusement ton article. Avec intérêt parce que nous devons avoir à peu près le même âge puisque je me souviens également avoir possédé le module de base D&D que tu décris. Avec amusement puisque je suis entièrement d'accord avec toi concernant ton analyse sur le module Le chateau fort aux confins du pays.
A cette glorieuse époque où mes références ludiques se cantonnaient au Monopoly, au Mastermind ou aux Richesses du monde, la longueur inhabituelle des règles et leur complexité avaient de quoi étonner.
Qu'importe, on est pressé de jouer quand on a 12/13 ans et je me souviens avoir entamé (en solo) une partie avec mon frère maître du jeu (qui avait au moins lu la moitié du manuel ;-))
J'ai bien joué sur le plateau de jeu du module (de mémoire à l'entrée d'éboulements). Ce n'est que plus tard que nous réalisâmes qu'il s'agissait du plan des grottes (euh ... normalement réservé exclusivement au maître du donjon).
Cela dit ce n'était pas très grave puisque mon magicien qui avait tiré un point de vie sur 1D4 dut mourir dès sa première confrontation.
Un joueur qui ne triche pas sur la création de son personnage et un maître du donjon qui ne triche pas non plus sur les tirages, ça ne pardonne pas !

Cela dit et même si cela fait longtemps maintenant que je ne joue plus aux jeux de rôles, j'en garde un souvenir magique parce que ce jeu était vraiment différent de tout ce à quoi j'avais joué.
Le plateau de jeu n'avait soudain pour limite que les frontières de nos imaginations.