jeudi 14 octobre 2010

[JDR] [Modules] La "série B" (VII/XII)

1984 doit être à peu près le sommet de popularité de D&D aux USA, avec le dessin animé à la télévision et TSR produisant une foule de suppléments. Le module B7 Rahasia (1984) est un peu curieux car il n'était pas du tout conçu pour être situé dans le Monde connu développé pour D&D depuis 1982. Il est écrit par Tracy Hickman et son épouse Laura Hickman. Tracy Hickman (qui va devenir l'auteur principal avec Margaret Weis de la célèbre campagne Dragonlance cette même année 1984) est Mormon et il avait été envoyé, comme tout jeune "Saint des Derniers Jours" à 18 ans, en campagne de prosélytisme pour son culte vers un pays en voie de développement. Il avait vécu en Indonésie dans les années 70 et le module a l'originalité d'utiliser quelques mots d'Indonésien comme langue fictive pour ses Elfes ("Rahasia", nom d'une Elfe, veut dire "secret" en Bahasa Indonesia) et de donner un air en général assez oriental à toute l'histoire. Hickman a souvent repris une atmosphère historique exotique dans ses modules, que ce soit l'Egypte avec I3-I5 Desert of Desolation ou la Transylvanie gothique avec le célèbre I6 Ravenloft.

Les Hickman avaient publié le scénario Rahasia dès 1979 de manière indépendante en Utah et quand ils furent engagés par TSR, ils réadaptèrent leur module en le mélangeant avec un autre scénario utilisé par la Role-Playing Game Association (la liaison est relativement convaincante).

Les aventuriers arrivent dans un village elfe dans la jungle, Kota-Hutan ("Ville de la Forêt" en indonésien). Ils font la connaissance de la jeune Elfe Rahasia qui leur raconte toute l'histoire. Un prêtre humain d'un culte inconnu nommé le Rahib ("le Moine") a pris le contrôle d'un Temple elfe et des Siswa ("étudiants") qui y travaillent. Le père et le fiancé de Rahasia, ainsi que deux amies, Silva et Merisa, furent aussi capturés. Le Rahib menace de les tuer si Rahasia ne se livre pas et il va donc falloir tenter de libérer le Temple occupé.

[Je me suis demandé si ce Moine maléfique étranger (et lubrique) qui venait corrompre les innocents dans la jungle pouvait être une allusion ou une culpabilité plus ou moins consciente du Missionnaire Tracy Hickman sur sa propre activité évangélisatrice en Indonésie mais c'est sans doute de la surinterprétation. Quand on connaît l'intolérance mormonne, il doit plutôt s'agir d'une transposition des autres missionnaires...]

Les personnages des joueurs ne semblent pas vraiment attendre d'autre récompense que la gratitude de Rahasia (en dehors du butin éventuel, bien sûr). Il est dommage que cette dernière ne soit pas plus détaillée (il est juste dit qu'elle est vraiment, vraiment très belle, même pour une PNJ elfe). Si elle venait à accompagner les personnages-joueurs, elle pourrait quand même connaître un sortilège en tant qu'Elfe ? Cela pourrait augmenter le suspense au cas où ils se font capturer. 

Le résultat me paraît un peu hésitant, un Donjon assez traditionnel sur bien des points mais avec une subtilité supplémentaire car les personnages doivent être plus prudents dans leurs combats. SPOILER En effet, des elfes hostiles peuvent être des innocents sous le charme du Rahib, qu'il ne faudrait pas tuer (techniquement, ce Clerc du 5e Niveau ne peut pas les enchanter - il s'agit donc d'une de ses alliées, Solorena) mais à l'inverse des complices du Rahib peuvent se faire passer pour ses victimes. Il y a quelques indices à trouver que je trouve absurdes (ou qu'en tout cas je n'aurais pas pensé à prendre pour des indices sérieux, comme des mots de passe à collectionner dans des endroits saugrenus).

L'anthologie B1-9 (1987) recopie toute l'aventure comme 8e chapitre et tente donc de situer cette histoire de jungle indonésienne dans le monde mosaïque de Mystara. C'est moyennement convaincant et c'est le problème général du Monde Connu de D&D que d'être bâti sur ces aventures hétéroclites qu'on tente ensuite de réunir. Les personnages sont recrutés par un marchand elfe en Karameikos au village de Seuil (Threshold, la traduction française l'a appelé "Valbourg") pour apporter un message à Selenica, cité à l'est de la la République de Darokin, tout près de la grande forêt elfique d'Alfheim, au nord des Altan Tepes et du Château-Fort aux Confins du Pays du B2. Il n'est pas dit précisément où la forêt de Kota-Hutan est située mais ce ne sont pas des Callarii de Karameikos. Peut-être des influences ylaris ? C'est en revenant de leur voyage chez les Elfes en Darokin en longeant le désert d'Ylaruam qu'ils sont censés tomber sur la cité perdue du B4. Le Gazetteer 5: Alfheim (1988) de Steve Perrin n'utilise pas, il me semble, l'idée d'une culture indonésienne chez ses Elfes (Perrin imite plus directement le module tolkienien de haut niveau CM7 Tree of Life (1986) et le comic-book Elfquest). Les Elfes de Mystara ont des cultures très bariolées, entre ces Elfes indonésiens et les Elfes hispanophones de Belcadiz plus à l'ouest dans les Principautés de Glantri.

A la fin, les Hickman décrivent 8 personnages pré-tirés avec des noms indonésiens : Benar ("Vrai", Guerrier Niv 3), Jujur ("Honnête", Voleur Niv 3), Kepala ("Tête", Guerrier Niv 2), Sunggu (?, Voleur Niv 2),  Bechak (?, Guerrier Niv 2), Sinar ("Rayon", Magicien Niv 3), Mati ("Mort", Magicien Niv 2), Suchi ("Saint", Clerc Niveau 3).

Rahasia est un module honnête mais il ne m'a pas particulièrement donné envie de le jouer (je ne trouve pas que le Rahib soit un vilain si intéressant comme on comprend mal ses motivations), sauf peut-être pour tous ces dilemmes moraux d'un Donjon empli d'innocents sous contrôle. Mais il y a un risque que les joueurs ne se rendent pas bien compte de ce point (même si Rahasia les prévient au début) et qu'ils se lancent dans le Hack'n Slay habituel avec une sorte de morale utilitariste simple : on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, mieux vaut quelques "dégâts collatéraux", quelques Siswa tués, que de laisser la menace de ce chef religieux dangereux. Décidément, cela rendrait ce module très métaphorique.

3 commentaires:

MB a dit…

Alors celui-là aussi, mes parents me l'avait offert. Mais, à la suite d'une erreur (à mois qu'il ne s'agissait d'un choix délibéré...), ils avaient pris la version en anglais que j'étais bien en peine de comprendre, raison pour laquelle je ne l'ai jamais fait jouer (quand mon anglais est devenu utilisable, je pense que nous étions plus dans James Bond, Star Wars ou Shadowrun).

Et puis je m'étais dit que ce module était une fois encore injouable pour un groupe de quatre personnages de niveau 1-3... A cet égard, si j'aime bien ce que vous avez écrit dans votre autre billet ("les modules Old School sont un peu comme des jeux vidéo de plate-forme, on était supposé mourir plusieurs fois et les refaire jusqu'à ce qu'on arrive à les finir..."), à l'époque, je crois me souvenir que j'étais plutôt placé devant un vrai dilemme : si on joue avec les règles (je veux dire, on prend vraiment le résultat de 3d6 pour tirer les caractéristiques...), on se fait tuer son personnage et ce n'est pas drôle ; si on triche, on est un Gros Bill, et ça, cémal. Alors quoi ?

Phersv a dit…

C'est exactement mon objection principale contre D&D.

Je n'ai jamais compris comment les gens pouvaient jouer à ce jeu autant sans modifier profondément les règles ou pourquoi ces modifications n'étaient pas déjà officielles.

Un personnage débutant a 1-8 points de vie (1-4 pour le magicien ou le voleur) et risque donc de mourir dès le premier coup qui porte avec en moyenne 1-6 points de dégât. Même en prenant la règle maison de ne pas tirer les points de vie et de prendre le maximum, le personnage meurt au second coup qui touche.

Pour comparer, un personnage débutant de L'Oeil Noir avait au moins 20-30 points de vie (avec des armes qui font à peine plus de dégâts que dans D&D), ce qui paraissait plus raisonnable pour résister à 2-3 coups et avoir l'option de s'enfuir.

Je ne comprends pas comment on pouvait sérieusement jouer à D&D avant le 3e Niveau (surtout qu'il n'y a aucun sort de soin avant le 2e Niveau).

C'est incroyable que le jeu de rôle le plus populaire (et sans doute le seul jeu de rôle pour 80% des rôlistes) n'ait jamais été vraiment jouable tel quel (avant la 3e édition, disons).

A chaque fois que j'étais Maître du Donjon, je devais énormément tricher derrière l'écran pour que le scénario ne se termine pas par un TPK dès le premier gobelin.

Même dans les niveaux suivants, on a aussi une opposition : le magicien est trop faible à bas niveau et trop puissant à haut niveau. Il n'y a donc qu'à niveau "moyen" que le jeu reste équilibré. D&D n'est adapté que pour un certain type de jeu (disons entre 5-12, en deça c'est trop fragile, au-delà les combats sont interminables ou les magiciens éclipsent trop les combattants).

(Certes, mon jeu de rôle favori Runequest n'était pas sans défaut non plus : les personnages perdaient des membres à gauche à droite trop facilement et les compétences de départ étaient souvent ridiculement basses à 30-50%).

Personnellement, je crois que je préfère en fait les jeux comme Légendes où les personnages sont doués dès le début mais avec très peu (voire pas) de croissance par l'expérience ensuite. Mais c'est peut-être parce qu'on n'arrivait pas assez à jouer en campagne continue.

MB a dit…

Ah, ça, à Runequest, on amputait grave ! Légendes n'était pas exempt d'importants déséquilibres entre les personnages selon mon souvenir : les bardes n'étaient-ils pas outrageusement favorisés ?

La solution qui avait été adoptée par le meilleur MJ de notre groupe était en effet de nous donner des personnages non-débutants et assez puissants... moyennant quoi il n'hésitait pas à nous envoyer une très très forte opposition pour les massacrer quand il trouvait que nous commettions de telles erreurs que nous méritions une sanction. :o)

J'aime beaucoup l'idée héroïque qui consiste à mener un personnage faible jusqu'au sommet de la puissance même si je dois reconnaître que mes meilleurs souvenirs correspondent à des parties assez courtes avec des personnages soigneusement conçus pour s'intégrer à l'intrigue. Et j'ai toujours été un peu réticent avec l'Appel de Cthulhu où les personnages avaient vocation à disparaître dans leur folie.