mardi 31 août 2010

Comment désespérer


Il y a un jeu de l'indignation qui est trop facile sur les Intertubes (quelle que soit l'idiotie que vous pouvez concevoir, vous finirez bien par en trouver des exemplaires réels) et on se donne toujours le beau rôle en surestimant un démagogue. Par exemple, il faudrait peut-être s'astreindre à ignorer le présentateur Glenn Beck (qui n'a tout au plus que 2 millions de spectateurs, surtout âgés, dans un pays de 300 millions de personnes) en espérant que ce ne soit qu'un épiphénomène médiatico-religieux comme le Télévangélisme des années 80 et pas du tout le leader populiste paranoïaque qu'il affecte être*. Et je sais aussi qu'il est trop facile d'aller chercher dans Facebook d'innombrables "statuts" sots (je ne parle même pas de commentaires YouTube qui ont l'air de viser encore plus bas).

Mais il faut reconnaître que certe interminable énumération par "Mobutu" de citations de citoyens américains qui semblent parfois normaux (bien qu'illettrés) peut quand même réussir à faire désespérer.

* Cela dit, je ne sais pas laquelle des diverses hypothèses sur le clown (dingue OU idiot/hypocrite) est la plus inquiétante. **

** Oui, une note dans la note. Wowww.
Un psychiatre clinique professionnel m'a fait cet été une objection assez claire sur mes propos trop superficiels sur la "schizophrénie" des prophètes religieux. Les vrais schizophrènes (si du moins la classification a un sens si tranché) sont plutôt associaux et ne chercheraient donc pas à créer une secte. Les prophètes au contraire cherchent à séduire et intimider des foules. Cela ne cadre donc pas bien.

Une catégorie ancienne disputée qui pouvait inclure transe hallucinatoire et rapport charismatique serait plutôt ce qu'on appelait au début du XXe siècle "l'hystérie" (qui n'est pas du tout, contrairement à l'étymologie si misogyne, un privilège féminin). Mais j'aurais tendance à rester bien plus nominaliste sceptique (voire historiciste) sur les troubles mentaux que sur des concepts scientifiques tant qu'on n'aura pas l'impression que le DSM est en partie une lutte de pouvoirs qui confirmerait la sociologie des sciences la plus relativiste. 

Par ailleurs, je crois que Mme Penchard, blablabla.

dimanche 29 août 2010

D&Dismes



Je traverse encore une phase où je n'ai guère de plaisir à lire des comics mais où mon attention trop fluctuante (ça doit être de la faute des "psychopouvoirs", dirait Stiegler) se concentre sur les jeux de rôle, et notamment sur les vieux jeux un peu dépassés.



  • Nous avons essayé une micro-partie de Basic D&D (version Moldvay) avec Armide, qui jouait une voleuse humaine dans la cité de Grisfaucon. L'idée était surtout de commencer par un jeu de rôle archaïque afin de pouvoir mieux apprécier les progrès. 4 points de vie au départ (et encore, avec la règle maison qu'on prend le maximum au lieu de tirer 1d4) est vraiment ridiculement petit. Même en étant très prudent et en minimisant les combats avec des PNJ il est trop facile de mourir (la plupart des armes font 1d6, ce qui donne donc 50% de chance de tomber dans le coma dès le premier coup qui touche).

    La version de D&D que je connais n'est décidément pas vraiment jouable avant le 3e Niveau (surtout que le Clerc n'a aucun sort, donc pas de Soin, avant le Niveau 2).

    La 4e édition donne enfin assez de points de vie aux personnages débutants mais cela a eu, paraît-il, le défaut de rendre les combats encore plus interminables à haut niveau.



  • Je disais en commentaire au poste sur OD&D que la qualité principale de l'Old School Renaissance est la personnalisation.

    Par exemple, on peut changer pas mal le jeu sans aucune modification des règles. Le nouveau rétro-clone d'OD&D, Lamentations of the Flame Princess, a ainsi changé subtilement les descriptifs des sortilèges (sans modifier nécessairement l'effet en termes de jeu) pour les rendre un peu plus inquiétants et légèrement lovecraftiens.

    On peut de même facilement garder les mêmes descriptifs mais dire que chaque Mage a en fait une version idiosyncrasique du Sort et qu'il doit lui donner un nom (le nom en termes de jeu n'étant pas le nom à l'intérieur du contexte du jeu). Au lieu d'un terme générique comme Sommeil, chaque joueur peut choisir d'appeler son sort "Soupir Embrumé du Lotus Ecarlate", "Quenouille Venéneuse de Carabosse", "Enchantement scellé de Viviane" ou "Baiser ailé d'Hypnos". C'était une recette d'occultisme déjà indiquée dans Empire of Petal Throne (comme "Halo Argenté du Vol d'Âmes") et c'est une idée à voler. Cela risque de devenir parfois un peu gênant pour le Maître du Donjon s'il doit avoir un tableau de traduction pour chaque Mage mais on doit y gagner en atmosphère occulte. Même les sorts les plus triviaux peuvent aussi varier subtilement : Magic Missile (un projectile d'énergie) pourrait devenir, comme dans le comic Doctor Strange, "Anneaux Rageurs de Raggador", "Flèches des Faltine" ou "Orbes Ombilic des Hordes d'Agamotto", avec des couleurs et des "signatures" différentes (ce qui pourrait même identifier le lanceur dans certains cas).



  • L'idée de Sortilège aux noms fleuris vient d'ailleurs de Jack Vance dans le cycle de Dying Earth. La magie de D&D est très curieuse si on n'a jamais lu ces romans de Vance. Chaque mage doit mémoriser un nombre de sortilège chaque jour, il les "oublie" dès qu'il les lance et il doit le ré-apprendre chaque jour dans son Livre de Sorts (système dit "Fire & Forget" ou "Magie Vancienne"). Le second jeu de rôle Tunnels & Trolls abandonna déjà ce concept en le remplaçant par la simple fatigue physique (on peut lancer le même sort tant qu'on a assez d'énergie - les Mages de T&T se retrouvent donc à entraîner leur Force pour lancer les sorts les plus fatiguants) et c'est ensuite devenu le système de Points de Mana dans la plupart des jeux.

    Jeff Rients en avait tiré une description plus précise : dans ce système, chaque sortilège est une structure pluridimensionnelle incroyablement complexe (et non pas une simple formule Abracadabra ou un mantra). Les sortilèges sont eux-mêmes des sortes d'êtres animés : apprendre un Sort consiste donc presque à posséder une sorte de Démon enclenché dans son esprit.

    On pourrait même donner un % de chance qu'un Sort devienne Intelligent et traiter chaque sort de haut niveau comme une sorte de Démon Familier avec un "Ego".

    Ainsi, le Guerrier ne serait plus le seul à avoir son Epée magique intelligente à qui parler, le Magicien devrait aussi parlementer avec sa Boule de Feu (pardon, ses "Gueules mordorées de la Grande Salamandre de Djin"), qui pourrait même le supplier d'éclater de temps en temps en forêt par simple pyromanie.



  • Ze Bulette de Dungeons & Digressions vient de proposer une conséquence encore plus amusante : et si le Livre de Sort (du moins à partir d'un certain Niveau de sorts) aussi était un être animé et mortel (il y a même une table des effets aléatoires d'un décès de Livre de Sorts).

    Le Mage peut avoir à faire des quêtes pour soigner son Livre, pour le décorer, pour l'enrichir, pour le restaurer ou bien le remplacer.

    On pourrait imaginer que les autorités suprêmes de l'Université de Magie de votre monde peut contenir parmi son Conseil administratif plusieurs Livres intelligents remarquables et même quelques Sortilèges de haut niveau (chaque Sort de Voeu pourrait être un Djinn ou Dieu séparé). Un Bibliothécaire qui est en même temps un Codex Maudit peut être un PNJ intéressant.



  • Dans les idiosyncrasies que j'ai vues rcemment dans l'Old-School, Zak Sabbath (réalisateur des vidéos I Hit It With My Axe) a des Gobelins qui sont devenus incapables de ne pas mentir (ce qui semble réfuter le critère d'universalisation de la maxime chez Kant, car leur société tient avec des menteurs pire qu'Epiménide). Dans sa campagne de Dwimmermount, James Maliszewski a des Nains qui sont tous des créations artificielles (un peuple de Golems & Démiurges prométhéens, tous sont à la fois Dédale et Talos).

    Le vieux cliché des Elfes - Nains tolkieniens est une plaie de la fantasy. Au lieu de l'opposition Végétal-Minéral, Vitalisme-Mécanisme ou Nature-Artifice, j'avais pensé jouer avec une simple opposition de classes sociales à la Morlock-Eloi (les Nains sont le prolétariat productif, les Elfes l'aristocratie oisive) ou en l'inversant (les Elfes sont la féodalité dépassée, les Nains les banquiers et ingénieurs capitalistes). Mais j'aime bien aussi cette solution si simple : le dimorphisme sexuel (les Nains sont tous mâles et les Elfes toutes des femelles - mais en ce cas, comment les distinguer de fées & dryades ? et la gynarchie des Veuves Noires Drows ne devient plus qu'un cas particulier).
  • Antipub Antivirus



    Si vous utilisez le logiciel BitDefender, je déconseille de passer à la version 2011 (même la version prétendument non-Beta) qui ralentit énormément les processus, contrairement à la version 2010. Je n'arrivais plus à aller sur Internet et ai donc finalement réduit les sécurités, en attendant peut-être de tout désinstaller.

    Par ailleurs, j'ai un peu hâte que le prochain remaniement du gouvernement appelle un nouveau Ministre à la place de Mme Penchard.

    L’État délinquant


    Maître Eolas :

    La délinquance, les Roms en sont d’abord victimes. On a déjà vu que même en France, État de droit imparfait mais État de droit, l’État ne respecte pas la loi Besson. Vous verrez dans la suite de ce billet qu’au moment où je vous parle, il fait encore pire à leur encontre puisque la politique d’expulsion mise en œuvre est illégale. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les juges administratifs.

    L’Union européenne l’a remarqué. Le Conseil de l’Europe l’a remarqué. L’ONU l’a remarqué. Le Pape l’a remarqué.

    L’UMP n’a rien remarqué.

    Mais d'un autre côté, les élus Alliance Nationale italiens soutiennent la position française.

    Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait démissionner.

    mercredi 25 août 2010

    Jusqu'où ira la Cthulhumania ?

    de toute évidence, partout (Pas Salubre au Boulot)

    (j'ai failli mettre comme titre à la Andrew Sullivan BC Bait)

    Joyeux anniversaire, D&D



    Donjons & Dragons ("OD&D") fut publié pour la première fois officiellement à la Geneva Convention VII (23-25 août 1974), il y a 36 ans (et c'est aussi par la même occasion le 10e anniversaire de la IIIe édition à la XXXIIIe Convention).

    Contrairement aux fans de ce qu'on appelle la Old School Renaissance qui ne cessent de dire que leur goût pour les vieux jeux va au-delà de la nostalgie et qu'ils peuvent le justifier par des arguments quasi-esthétiques sur ce que devrait être le jeu de rôle, je ne vois guère (dans mon propre cas, du moins) que de la nostalgie (je vois qu'il y a au moins Huge Ruined Pile d'accord sur ce point). Les jeux de rôle actuels me paraissent vraiment objectivement meilleurs. Mais les jeux de rôle des années 70 ont une sorte d'ouverture ou de potentiel qui semblent si infini en raison de leur manque de précision par rapport aux jeux plus raffinés... et parce que nous étions nous-mêmes plus naïfs.

    Le côté le plus ennuyeux des joueurs de jeu de rôle est, paraît-il, leur obsession à vous raconter leurs parties. C'est aussi mon travers.

    Je me souviens de mes premiers jeux de rôle.

    C'était, je crois, en juillet-août 1983. J'avais déjà lu Bilbo le Hobbit et le Seigneur des Anneaux de Tolkien (peut-être déjà le Silmarilion ?) mais surtout cet été-là, j'ai trouvé la bande-dessinée Weird World écrite par Doug Moench et dessinée par John Buscema. Il s'agit de l'histoire de deux elfes, Tyndall et Velanna, et un Nain, Mud-Butt (Cul-Boueux), qui se retrouvent à lutter dans la Cité des Sept Plaisirs Noirs contre les agents du Dieu maléfique Darklens, les Cavaliers nocturnes, qui cherchent un moyen de le ressusciter (ces Nightriders évoquent vraiment les Ringwraiths mais Doug Moench prétend qu'il n'avait jamais lu Tolkien).

    Voici une version simplifiée de la carte du "Pays Fantastique", le Weird World (cliquez pour avoir la carte entière) :


    Comme on le voit, la forme du continent principal est une tête de Dragon et l'Anneau flottant de Klarn est l'Oeil de ce Dragon (les amateurs de Runequest apprécieront). Je crois être resté des heures entières à contempler la version agrandie et embellie de cette carte à la fin de la bande-dessinée. Mon amour des cartes doit dater de cette idée de Doug Moench d'une géographie signifiante. Je voulais à tout prix jouer dans cette carte mais je ne voyais pas vraiment comment. Nous avons posé des pions dessus avec ma soeur mais nous improvisions des règles sans arriver à explorer cet espace nouveau, ce terrain inconnu. Je voulais surtout aller dans les zones non-couvertes par la bande-dessinée.

    J'avais entendu parler de D&D, (par le magazine Jeux & Stratégie ou bien par la novelisation du film ET, peut-être ?), mais je n'imaginais même pas qu'il fût possible d'en trouver en France, je ne le désirais même pas, comme si c'était quelque chose d'aussi exotique que de souhaiter que nous nous mettions soudain au baseball ou que nous déplacions l'Empire State Building. Par hasard, il y avait cet été-là, sur une chaîne de radio dans la Drôme une émission en fin d'après-midi qui prétendait être du D&D. En fait, les auditeurs appelaient et un bruitage représentait un monstre de D&D, un roulement de dé ou le vacarme de coups d'épées. De manière arbitraire, le présentateur disait simplement : "Bravo, vous avez tué le gobelin" ou bien "Oh, désolé, le Balrog vous a tué". Aucune histoire et aucun personnage mais je suivais pourtant cela religieusement comme la meilleure fiction radiophonique. L'Âge d'Or n'est pas une époque mais bien quand on a 12 ans.

    Dès la rentrée, je suis tombé sur la première traduction française de Donjons & Dragons (Module de Base, Niveau 1-3, premier tirage : novembre 1982). J'ai dû attendre assez longtemps pour l'avoir car il était hors de prix, dans les 200 F de 1983, ce qui représentait une somme inabordable pour ma mère, sans doute plus de 50 euros aujourd'hui (d'après ce site de conversion).

    Quand je l'obtins, je fus pourtant horriblement déçu.

    Je m'attendais confusément à une sorte de jeu de société traditionnel. Il y avait bien quelques plans mais aucun pion et aucune figurine. Je ne comprenais pas comment on jouait. Ce n'est qu'en lisant une explication dans Jeux & Stratégie que je compris enfin qu'il n'y avait ni plateau ni pion, seulement l'imagination des participants "comme jouer au Papa et la Maman".

    Mais je mis des années à saisir pourquoi la race tolkienienne des Hobbits était appelée ici des "Tinigens" (que je prononçais tiniguènss* et qui sont en fait la première traduction maladroite de "halfling", lui-même une euphémisation de hobbit pour ne pas avoir de procès de la famille Tolkien).

    Cette image un peu insultante (Basic D&D p. 6) me plaisait pourtant beaucoup :


    Le jeu de rôle va traîner longtemps (comme les comic-books américains) cette image de Wish-Fulfillment de "Conan anabolisés pour tronches binoclards". C'était le jeu adapté aux Peter Parker (bien que le genre de jeu de rôle superhéroïque n'ait jamais marché en France et que le plus gros succès, le jeu d'horreur Call of Cthulhu en soit quasiment une sorte d'inversion).

    Le jeu était vendu avec un premier module de Gary Gygax, le B2 Le Château-Fort Aux Confins du Pays. Les joueurs Old-School essayeront de vous faire croire que c'est le meilleur scénario jamais écrit grâce à l'extrême latitude laissée au Maître du Donjon. Ne les croyez pas. C'est plutôt mauvais, même pour l'époque : les personnages sont tous anonymes, Gygax s'est contenté de décrire un petit château avec un Aubergiste qui s'appelle "l'Aubergiste", et un tas de cavernes emplies de monstres. C'est plutôt le degré zéro, en dehors d'une table des Rumeurs aléatoire qui peut donner un peu d'épaisseur à tout cela. Si cela a la vertu de vous contraindre à créer tout par vous-même, cela ne paraît pas vraiment un modèle d'introduction à émuler.

    Je créai donc un personnage, le Voleur chaotique Zarkam (bien que l'idée d'un personnage mauvais me paraisse peu amusante) et ma petite soeur de 6-7 ans créa une magicienne, Morgann la Brillante, qui n'avait droit qu'à un seul sortiège tous les 24 heures (Sort de Sommeil). Nos personnages n'avaient qu'une poignée de points de vie à eux deux et je n'étais pas assez malin pour penser à engager des serviteurs. Ils se firent aussitôt massacrer dans la deuxième salle du module par quelques petits gobelins sans avoir vraiment pu se défendre.

    Encore maintenant, je me demande comment les premiers joueurs eurent assez de patience pour ce jeu où les personnages de Niveau 1 n'avaient aucune chance de résister à un combat et où il étaient censés recréer les personnages dix fois dans l'espoir d'atteindre un jour le Niveau 2 (mais le joueur Old-School Fencig semble pouvoir y arriver cet été avec ses joueurs sur le module B1 sans avoir de sorts de soins pourtant).

    Je passai vite à d'autres jeux comme la création française Légendes celtiques (1984), Middle-Earth Role-Playing et Runequest (j'ai déjà fait le portrait de mes campagnes). Mais je regarde encore ce premier module atroce, le Château-Fort aux Confins du Pays, avec l'attendrissement narcissique qu'on peut avoir envers ses propres essais les plus médiocres.

    Quant au Weird World de Doug Moench, je crains hélas qu'il n'y ait pas assez de détails pour en faire directement un monde de jeu de rôle.Mais il y a quand même quelques idées originales (par exemple l'idée gnostique que le dieu maléfique y est aussi le Démiurge ou cet Anneau volant qui laisse une terre dans les ombres).

    (Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait démissionner)

    samedi 21 août 2010

    Review : Ex Machina #50



    La série Ex Machina sur un superhéros maire de New York fut créée par le scénariste Brian Vaughn et le dessinateur Tony Harris en 2004 en pleine campagne de réélection de George Bush alors que John Kerry était trainé dans la boue pour ses médailles au Vietnam. Le numéro 50 vient donc après 6 ans d'une narration non-linéaire commencée sous le premier mandat de Bush et achevée sous celui d'Obama.

    Quand la série a commencé, je la prenais pour une sorte de réhabilitation à contre-courant de l'idéalisme politique, plus proche de The West Wing de Sorkin que du sitcom Spin City. Le héros, Mitchell Hundred, est un ingénieur civil de New York né en 1968 (soit 8 ans de plus que Vaughn), formé par une mère de gauche, marqué par une partie des années 60 (même s'il est bien plus centriste que sa hippie de mère). Il acquiert le pouvoir de contrôler télépathiquement les machines. Il va réussir à sauver une des Deux Tours Jumelles en 2001 et sera maire de la New York (avant de démissionner en cours de mandat en 2005).

    Le premier numéro paru en 2004 commençait vers 2008 par l'annonce que le mandat municipal de Hundred (de 2002 à 2005) serait en un certain sens une catastrophe ou du moins que tout allait mal finir.

    L'habileté de Vaughn est de nous prévenir depuis le début que ce serait une tragédie et de réussir quand même à nous surprendre dans le dénouement qui ressemble presque à un retournement sinistre, pire que ce je prévoyais.

    Hundred a d'ailleurs un commentaire méta-textuel dès le début de ce numéro 50 :

    "Si vous suivez une histoire jusqu'à sa vraie conclusion, vous obtenez toujours le même résultat. Le regret. La peine. Le sentiment d'avoir perdu quelque chose.

    C'est pourquoi j'aime les histoires de superhéros.

    Mois après mois, ils continuent. Quelles que soient les choses terribles qui arrivent, vous savez qu'il y aura toujours une autre chance pour que les torts soient rétablis.

    Sans un dernier acte, ces histoire ne peuvent jamais devenir des tragédies.

    J'imagine que c'est pourquoi on les appelle des "comics"."

    Au contraire, Ex Machina se permet (comme Watchmen ou Sandman) une résolution qui accentue le malaise face à l'Eternel Retour du genre superhéroïque.

    Sandman se terminait par les Erinyes vengeant le sacrifice bienveillant du Fils en suicide assisté, Ex Machina est en un sens un Parricide qui restera impuni et sans aucune Némésis divine, comme si chaque génération devait tuer ses rêves d'enfance en tuant ses parents.

    SEMI-SPOILER ALERT ATTENTION GÂCHEUR DE CONCLUSION




    Vaughn a réussi admirablement à retomber sur ses pieds, car il ne pouvait pas deviner en 2004 cette chute-là, qui ne peut prendre son amertume ironique qu'après les événements de 2008 et l'Amérique de Sarah Palin.

    Il a réussi une métaphore politique mais le message est bien plus désenchanté et cruel que l'habituel anti-parlementarisme : nous avions investi beaucoup dans le prétendu idéalisme de Mitchell Hundred (même quand il se présentait en Indépendant centriste au-dessus des Partis) et la fin est une chute morale qui rétroactivement est entièrement cohérente (relisez notamment les épisodes #36-39 sur la Convention républicaine de 2004).

    Certes, cet ultime numéro n'est pas parfait. Malgré le numéro double de 48 pages, cela semble parfois un peu précipité et le fétichisme du numéro 50 a peut-être un peu rempli ce numéro après des années d'épisodes à la narration plus décompressée. Le rythme d'ensemble sur 50 numéros ne constituera peut-être pas un rythme entièrement satisfaisant (notamment dans les épisodes de science-fiction sur les autres "Membranes" dimensionnelles qui détonnaient dans le réalisme de la série).

    Comme la plupart des comics US, c'est encore une "subversion" du genre du superhéros et encore une fois sur la même métaphore de la Sentence de Lord Acton (comme la plupart des comics depuis au moins 25 ans). Mais peut-on encore parler de subversion quand la parodie inversée a été absorbée dans le genre initial ?

    Mais ici, on n'a pas seulement l'individu héroïque qui abuse de son pouvoir surnaturel comme analogue de la corruption politique (métaphore de Squadron Supreme, Watchmen, Civil War, etc). Il s'agit ici de l'individu héroïque qui semble renoncer à son pouvoir surnaturel pour être corrompu par le pouvoir politique "mondain".

    Alan Moore a dénoncé un jour dans le superhéros comme Genre essentiellement américain le mythe d'une action toute puissante des USA sans aucune conséquence (la Doctrine "Zéro mort" de l'attaque disproportionnée ou des bombardements aériens). Il s'agit donc ici de rappeler les dommages collatéraux contre l'hubris superhéroïque, le tragique dans les illusions de l'épique. Il y a bien des conséquences pour quelques-uns.

    Avoir suivi le narrateur si sympathique de l'intérieur tout en nous dissimulant en fait une partie de ses actions a été un des meilleurs subterfuges de manipulation de ce twist final. L'effet est donc un effroi sans catharsis, une distanciation sur ce que nous attendions chez Hundred. Il n'était pas ce pur héros, il ne cessait de nous répéter qu'il fallait des compromis avec la grise prose du monde et c'est nous qui projetions cette image naïve du "Deux Ex Machina". Le récit est donc sur notre tendance à nous faire du cinéma sur ces personnalités. Toute l'illusion d'idéalisme est délavée dans l'opportunisme. Le héros providentiel nous prévenait depuis le début que "la Société est un Grand Mécanisme" (selon une expression de Thomas Jefferson) mais il finit en rouage deshumanisé.

    L'effet de désillusion est d'autant plus violent qu'on a pu croire longtemps à une maxime plus simple, presque Capraesque (je m'attendais plus à du doux-amer comme Mr Smith au Sénat) ou bien digne de l'héroïsation de The West Wing.

    Cette fin s'accomode plus de la retombée dépressive de l'Obamania ("Yes, We Can! — But Should We?") que de l'enthousiasme passager d'optimisme en 2008.

    Mais en un sens, la morale demeure très traditionnelle dans la fiction américaine : la méfiance envers la politique et sa destruction de la Conscience morale, quelles que soient les intentions de départ ou les éventuels effets positifs.

    Hundred est sans aucun doute un patriote sincère et il n'y a pas que machiavellisme quand il agite l'Etendard pour justifier ses actions. Pourtant, on ne peut douter qu'il a perdu à la fin devant la simple volonté de pouvoir.



  • Par ailleurs, quelles que fussent ses intentions de départ, je pense que Mme Penchard a manifesté publiquement depuis longtemps qu'elle n'adhérait pas au semblant d'intérêt commun que même un Machiavellien feint de défendre et qu'elle devrait donc changer de profession.
  • Know-Nothingism



    Un des défauts des enseignants est qu'ils ont une tendance à réduire tous les problèmes politiques ou culturels à des questions d'éducation. C'est une déformation professionnelle regrettable dans son narcissisme mais on a du mal à expliquer certains phénomènes politiques comme le Berlusconisme (ou sa version neuilléenne-niçoise) ou la dégénérescence intellectuelle du Parti républicain sans imaginer une lacune éducative quelque part dans le corps politique des citoyens alphabétisés. Quelle catastrophe de l'entendement peut justifier cela ? La télévision, qui est le bouc-émissaire principal, ne pourrait pas suffire car elle était sans doute plus influente encore il y a 30 ans sans avoir encore ces effets toxiques.

    Ce ne serait pas un problème qu'il y ait des démagogues incultes ou insensés sur d'innombrables chaînes de radio mais cela en devient un quand la structure politique du Parti républicain ne se contente pas de se servir de ces démagogues mais commence à les suivre et à répéter tels quels leurs pires arguments. On ne peut pas juger la société américaine pour quelques provocateurs mais la bêtise institutionnelle (pour reprendre une expression peut-être douteuse de Bernard Stiegler) commence à dépasser les plaisanteries de radio. Non seulement le G.O.P. n'oserait pas remettre en cause les Birthers ou Sarah Palin, mais ils vont jusqu'à surenchérir et on commence à frémir en se demandant s'ils ne finissent pas par y "croire" eux-mêmes. Ils *savent* bien qu'Obama n'a pas l'intention de massacrer les personnes âgées, de collectiviser les moyens de production ou d'instaurer la Charia et pourtant ils ouvrent les vannes d'un doute déraisonnable sur le sujet comme si aucune pensée aussi débile soit-elle ne pouvait avoir de lien avec une réalité possible.

    Comme le dit le philosophe Robert Paul Wolff :

    For some time now, I have been struggling to think clearly about the extraordinary debasement of the public discourse that has occurred in America over the past several years. I have remarked from time to time on the sheer craziness of what now seem to be accepted modes of speech and quasi-argument emanating from the right. No humorist would dare invent Orly Taitz, or Glen Beck, or indeed Sarah Palin, for that matter. When the Republican Party of Maine officially calls for the repeal of the Seventeenth Amendment, so that once again State Legislatures can select United States Senators, and the Republican Party of Iowa calls for the passage, at long last, of the now forgotten original Thirteenth Amendment, so that Barack Obama can be stripped of his citizenship for accepting the Nobel Prize, Jonathan Swift must weep in his crypt for the death of satire.

    Le GOP n'aurait même pas besoin d'attiser ainsi les peurs puisqu'il va sans doute gagner les élections de mi-mandat en Novembre prochain et que le prochain Président de la Chambre des Représentants sera ce crétin de John Boehner quoi qu'il arrive (il y a encore un peu de suspense pour savoir si les Démocrates pourraient conserver leur majorité au Sénat sans dépendre des traitres à la Joseph Lieberman).

    Mais l'oligarchie républicaine se laisse entraîner par la rage de la base "populiste" raciste que le GOP prétend représenter. L'arme des Tea Parties est un retour du refoulé hystérique qui rappelle toute une histoire d'anti-intellectualisme politique dans le style paranoïaque (si on peut ainsi extrapoler des termes de psychiatrie individuelle en psychologie sociale en parlant d'"hystérie de masse").

    Comme le dit Betty Cracker :
    The attempt to establish a Muslimfrei zone around Ground Zero isn’t about 9/11. The wingnut solicitude for “Dr.” Laura’s supposedly lost First Amendment rights isn’t about “Dr.” Laura’s right to repeat racial slurs on the radio.

    Fox News’ relentless pimping of the New Black Panther Party non-story isn’t about voter intimidation. Arizona’s anti-immigration law isn’t about illegal immigration. Breitbart’s Shirley Sherrod smear wasn’t about “reverse racism.”

    The persistent suggestions from multiple quarters on the right that President Obama isn’t a Christian or an American aren’t about his religion or nationality. And the Prop 8 campaign wasn’t about protecting straight marriage.

    What this is all really about is the most orchestrated, widespread attempt to divide this country since George Wallace’s presidential run. Scratch that—Wallace was never more than a regional candidate. This may be unprecedented in living memory.

    (...)
    The presence of racists, homophobes, nativists and religious bigots is nothing new. But the spectacle of nutcases like Pam Geller being ventriloquized by top Republicans like Sarah Palin and Newt Gingrich is.

    Je ne comprenais pas pourquoi on félicitait George Bush après le 11 Septembre lorsqu'il tentait un peu de distinguer les musulmans des terroristes (et l'ex-néo-con-de-gauche Peter Beinart continue cette ritournelle sur les mérites cachés de Bush). Cela me semblait être la moindre des choses et le compliment me semblait être de la condescendance des basses attentes vis-à-vis d'un Président abruti. Mais, à présent, même les Démocrates n'osent plus répéter ces évidences et rappeler que le Premier Amendement ne s'applique pas qu'aux Baptistes et aux Mormons. Les clichés destructeurs de toute pensée rationnelle (comme le nouveau mantra de la religion civile, "Ground Zero is Hallowed Ground", que tous doivent psalmodier sous peine de lynchage) empêchent même de regarder une carte de Manhattan.

    Le compte à rebours est déjà lancé pour le 11 septembre qui par coïncidence sera cette année à la fois le 9e anniversaire de ce que vous savez et la Fête de l'Aïd al-fiṭr à la fin du Ramaḍān. On n'a même pas à parier que Fox News débordera alors d'islamophobie* frénétique en superposant les deux événements ("Mais pourquoi célèbrent-ils une fête à ce moment ?"). On ne pourra peut-être même pas toujours distinguer ce qui relèvera de la mauvaise foi cynique et de la pure et simple sottise et ignorance.

  • * Salman Rushdie, Caroline Fourest, et d'autres, critiquent ce terme vague parce qu'il aurait été utilisé par les mollahs iraniens depuis 1979 pour amalgamer *toute* critique de l'Islam ou de l'islamisme politique avec un simple préjugé haineux, mais l'origine du terme importe peu (il y aurait en fait des occurrences bien antérieures à la Révolution iranienne) pour la réalité du fait. Ce n'est pas parce que certains étendent abusivement le mot pour censurer tout débat qu'il ne désigne jamais rien (de même pour antisémitisme et judéophobie). Interdire le terme au nom des glissements et excès possibles serait aussi pratiquer un amalgame.




  • Par ailleurs, c'est sans doute bien moins grave que l'escamotage des chiffres du chomage par un appel ignoble à la Nomadophobie et la Xénophobie qui nous met au ban des nations, mais je pense toujours que Mme Penchard aurait dû démissionner dans n'importe quelle autre démocratie.