samedi 30 juillet 2011

Récits pré-construits



Dès l'élection d'Obama en 2008, les commentateurs avaient prédit comment se passerait leur guerre des commentaires préconçus : les Républicains tenteraient d'installer le Président en nouveau Jimmy Carter (le Carter selon la doxa bien établie, c'est-à-dire "faible" en politique étrangère, échouant sur le chômage ou l'inflation, trop "hamletien" et pas assez "leader") et les Démocrates tenteraient d'en faire plus un nouveau FDR qu'un Clinton (l'aura de JFK ayant un peu pâli).

On aurait pu penser qu'avec plusieurs conflits militaires qui continuent et une politique demeurée relativement agressive, comme en Libye ou l'exécution de Ben Laden, la stratégie de "Carterisation" ne marcherait pas. Mais Obama a en tout cas échoué sa "Rooseveltisation" avec un plan de relance de 2009 jugé trop dépensier par la droite et bien trop insuffisant par l'aile keynesienne. Toute sa présidence s'est peut-être décidé non pas dans la réforme de santé mais dans ces premières semaines où le contexte au Congrès, Timothy Geithner et Lawrence Summers ont divisé par deux les espérances de relance (et Obama était au courant que son plan était insuffisant). Certes, même un critique virulent comme Paul Krugman dirait qu'Obama ne fit que refaire les mêmes erreurs que FDR en 1936, qui était déjà revenu trop vite à une lutte contre le déficit.

Le fond des critiques du GOP est avant tout le racisme codé ("il est étranger à vos préoccupations", "on ne connaît rien de lui", il doit cacher quelque chose) et le ressentiment de classe (c'est un universitaire hautain, "coupé du peuple" - comme les millionnaires du GOP le représentent directement, bien évidemment). La force de l'oligarchie est d'arriver ainsi à mobiliser une passion "populiste" dans son propre intérêt.

Mais Quiddity a perçu un nouvel angle obsédant dans les attaques plus récentes : il faut ressasser en prédiction auto-réalisante qu'Obama est avant tout un "Loser" et que "l'Amérique n'aime pas les Losers". Il doit perdre, il perdra, parce qu'il était de toute éternité de l'essence non-américaine des perdants et que si l'Amérique perd, c'est nécessairement qu'elle est poignardée dans le dos par une corruption contraire à sa propre nature de Winneuse.

C'est une des raisons de l'intransigeance dans les négociations, en dehors de la pression du Tea Party : il faut montrer que l'adversaire capitule en rase campagne et que même quand il a cédé sur tous les fronts, il est incapable d'obtenir un marché minimal de son inflexible & courageuse Opposition. On peut se rassurer en se disant que l'opinion commencera à juger les Républicains trop rigides. Il n'y a plus de dilemme complètement rationnel, on ne joue pas à un jeu de Chicken avec un Kamikaze fanatique qui attend la Rapture.

La situation économique était tellement difficile qu'Obama ne pouvait que risquer d'être emporté comme Carter l'avait été en 1980 mais il est impressionnant de constater que le récit pré-fabriqué du Nouveau Carter a été si facile à recycler 30 ans après, alors même que les conseillers d'Obama connaissaient l'attaque à l'avance.

La politique doit choisir entre de mauvaises solutions mais Obama a la malchance d'avoir échoué dans sa triangulation bipartisane : les modérés me semblent souvent persuadés par une propagande qui en fait un socialiste et la base démocrate ne le voit plus qu'en un centriste trop timoré ou vendu aux oligarques, ce qui le fait perdre sur les deux tableaux à la fois. Obama aura du mal à mobiliser aussi bien sa base qu'en 2008 et en plus l'hystérie néo-hooverienne reste aussi forte qu'aux élections de mi-mandat de 2010, malgré tout le risque de récession. Même Robert Reich, l'ancien secrétaire au Travail de Clinton, accuse Obama d'avoir été un candidat enthousiasmant mais un Président incapable de communiquer les raisons de ses tactiques politiques.

Le pouvoir conservateur a créé un Mur de l'Argent subtil. Les Agences de "notation financière" comme Standard & Poor's n'ont rien d'arbitres neutres. Comme l'analysait Kevin Drum, elles ont choisi de soutenir le point de vue républicain que la seule priorité doit être le Déficit, alors même que les Républicains prolongent les baisses d'impôt irresponsables de Bush (voir ce schéma pour se rappeler la part énorme de ces baisses d'impôt dans le problème). Si John McCain avait été au pouvoir, elles seraient sans doute nettement moins insistantes.

On est dans la situation étrange où la politique américaine est prise entre deux chantages opposés mais solidaires : les Agences de notation exigent de baisser les dépenses pour les plus pauvres et les Républicains exigent de baisser les rentrées sur les plus riches. Il est rare qu'un parti d'opposition soit ainsi en situation de profiter de la destruction qu'il aura lui-même en partie causé. Plus il s'oppose à toute relance et même à toute hausse des dépenses, plus l'économie s'effondre, plus il en tirera avantage. C'est une situation où il gagne à tous les coups, du moins à court terme. Et à long terme, comme disait Keynes, je crois, on est tous des hordes de mutants mad-maxiens dans des ruines somaliennes de l'Etat minarchique.

Il faut seulement espérer que le demi-taré Mitt Romney l'emporte sur les plus tarés comme Rick Perry ou Michele Bachmann et que s'il prend l'un des tarés comme Vice-Président(e) il puisse vivre au moins 4 ans en attendant que ce cycle anti-Etat ne dure pas encore une génération. Mais il suffit d'aller dans une librairie dans le rayon Idées, où on ne trouve plus que du Libertarianisme depuis quelques temps, pour voir qu'on entre dans un long automne pour l'interventionnisme de l'Etat. La crise des dettes rendra inéluctable ce que l'idéologie nous prépare à trouver nécessaire.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous vous souvenez de l'hystérie anti Obamacare d'il y a deux étés? Au final un deal a été trouvé qui préservait l'essentiel, les Républicains sont devenus otages des Tea Partyers et Obama est crédité d'une réforme qui aurait été parfaite sans ces irresponsables de Républicains mais qui est assez bonne pour que même Krugman la soutienne. Mon impression est que dès le début des négociations, le plan de POTUS était de laisser l'opposition prendre ostensiblement l'Amérique en otage, de leur concéder le maximum qu'il demanderaient tout en sachant qu'ils ne l'accepteraient pas puis de trouver une manière de faire passer ce qu'il veut tout en passant pour le type raisonnable qui n'a pas craint de déplaire à ses amis dans l'intérêt de son pays mais qui est résolu à prendre des décisions unilatérales s'il le faut. L'avis des libéraux comme Krugman ne l'intéresse pas du tout parce qu'il sait que ces derniers voteront de toute manière pour lui. En revanche, s'il arrive à installer l'idée que le GOP est l'otage d'une poignée de dingues irresponsables, il aura le vote des indépendants et des Gopers modéré qui est le seul qui lui importe.

Oui, je sais, je prête beaucoup de machiavélisme à BHO mais je suis persuadé que ce type est un animal à sang froid qui élabore des plans compliqués et est assez arrogant pour penser qu'il peut les mettre en oeuvre avec succès. C'est ça ou alors, c'est juste un très mauvais négociateur qui a quand même réussi à faire passer une réforme de la santé importante et que les présidents US n'arrivaient pas à faire passer depuis NIxon au moins.

Ceci dit, il semble que la possibilité d'un défaut fasse vraiment peur aux gens: une amie américaine m'a écrit en me disant qu'elle envisageait de transférer une partie de son argent vers son compte français au cas où...

PS: En revanche, j'avoue que je ne comprend pas du tout pourquoi ils n'ont pas osé présenter un plan de relance suffisant. L'argument de Summers selon lequel personne n'aurait voté pour un déficit aussi vertigineux me parait malavisé: une fois un certain niveau atteint, on fait plus la différence entre 750, 1500 ou même 3000 milliards, dans tous les cas, ce qui compte, c'est que c'est une somme stupéfiante. Et on la vote avec stupéfaction parce qu'on a peur d'une catastrophe imminente!

MB a dit…

Votre phrase "La crise des dettes rendra inéluctable ce que l'idéologie nous prépare à trouver nécessaire" est glaçante mais est sans doute exacte. Une précision en revanche sur la question du Mur de l'Argent : pour le gouvernement américain, ce mur n'existe tout simplement pas en dehors de l’idéologie. Dans la vraie vie, les bons à cinq ans du trésor américain trouvent preneurs avec un rendement négatif.

hadyba, que pensez-vous de cette critique de la théorie du "11-Dimensional Chess" ?

Anonyme a dit…

Oh, Moi qui me croyais original, je ne savais pas que cette forme de défense avait déjà un nom! Merci MB.

Je suis d'accord que ça expliquerait beaucoup de choses... mais il me semble que l'Obamacare n'aurait pas eu lieu si BHO avait été un Républicain tapi dans le camp démocrate. Ceci dit, d'une part, c'est Romney qui a mis en place la sécu du Massachusetts et d'autre part, je pense que par tempérament, BHO est bien plus centriste que nous ne le souhaiterions. Il semble vraiment croire en un capitalisme relativement dérégulé. Mais il me semble que ce qu'il faut regarder, c'est si des choses comme le retrait de DADT et le mariage gay, une vraie réforme de l'immigration ou la couverture maladie universelle sont effectivement mises en oeuvre, si oui, on est bien obligé de penser qu'il est du bon coté de la force.

PS: Je reconnais que moi aussi, je suis frustré par sa manière de gérer les affaires mais qui suis-je pour questionner Le Messie :-)?

Phersv a dit…

Même s'il était en secret plus à gauche ou bien un néo-libéral à la droite de Clinton, il dépendait du Congrès de 2009-2010, l'un des plus réformateurs jamais vu mais qui ne pouvait quand même pas atteindre la supermajorité.

Mais Obama ne semblait plus vouloir persuader sa base du sens de ses choix.

Par exemple pour la réforme de la santé inspirée des anciens projets républicains, la solution avec Option Publique n'aurait peut-être pas pu passer mais elle avait moins d'effet pervers que la solution avec contrainte d'acheter une assurance privée en échange de quelques protections. Au moins, elle est passée et c'est une réalisation impressionnante.

Les Américains n'auront peut-être jamais mieux, tout ça parce qu'ils ne l'ont pas eu à temps en même temps que les pays européens, sous Harry Truman.

HB L'avis des libéraux comme Krugman ne l'intéresse pas du tout parce qu'il sait que ces derniers voteront de toute manière pour lui.

Oui, mais il y a un "écart dans l'enthousiasme" pour les élections. Il ne faut pas seulement élargir son camp mais être certain que sa propre base se déplace. Obama ne peut pas susciter le même enthousiasme qu'à sa première élection mais il ne faut pas qu'il risque de s'aliéner la base dans la participation.

Personne ne peut lui reprocher de faire des déçus. Faire de la politique, c'est toujours décevoir des espérances vagues.

Il faut mesurer l'étendue des compromis. Le fait de toucher aux retraites me paraît un Gambit dangereux car l'un des arguments des Démocrates qu'ils répétaient tout le temps était qu'eux au moins protégeraient les retraites contre les Républicains.

MB : Dans la vraie vie, les bons à cinq ans du trésor américain trouvent preneurs avec un rendement négatif.

Mais cela va-t-il durer ? Les marchés acceptent assez bien l'Assouplissement quantitatif de la Banque fédérale américaine qui rachète les bons du Trésor à court et moyen terme mais cela semble quand même les inquiéter.

On a l'impression d'être dans un piège bien pire que la Crise des années 30 pour les USA et l'Europe. Finalement, on a de la chance que le Brésil et la Chine s'en sortent pas mal pour éviter une synchronisation des dépressions.

MB a dit…

En tant que Français, je trouve difficile de se faire une opinion sur ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique tant les différences culturelles paraissent gigantesques. Le délire anti-fiscaliste des Républicains est incompréhensible.

La seule chose à peu près sûre est que le régime présidentiel est gravement dysfonctionnel et que c’est uniquement par un étonnant concours de circonstances qu’il a pu tenir deux cents ans là-bas. Dieu nous préserve d’importer ce truc ici.

Je ne pense pas non plus que BHO soit Républicain qui ferait de l’entrisme chez les Démocrates. Peut-être est-ce simplement un opportuniste sans convictions bien profondes et un très mauvais négociateur ? Il est clairement plus centriste que les bloggeurs américains liberals que je lis. Est-ce que sa stratégie de séduction des centristes au détriment de son aile gauche sera payante ? Nous verrons cela l’an prochain.

Il y a un moment où les discours et les intentions n’ont plus d’importance. Ce que l’on demande à un chef, c’est de réussir, pas d’avoir raison. C’est pourquoi je suis moins sévère que phersv sur le fait de définir BHO comme un simple loser et rien d’autre. Est-ce si injuste ? Si l’on reste dans l’histoire américaine, on pense à la phrase du général Albert S. Johnston avant la bataille de Shiloh : « The test of merit in my profession with the people is success. It is a hard rule, but I think it is right ». Le plus triste, c’est sans doute que de même qu’il sera plus difficile en France pour une femme d’avoir des fonctions de premier plan après l’échec de Mme Cresson, il sera très difficile d’avoir un autre président des Etats-Unis Noir si BHO est carterisé.

J’ai du mal à critiquer BHO sur l’économie parce que je ne suis pas certain qu’une autre politique aurait été plus appropriée. Je suis en revanche consterné par ses résultats en politique étrangère et en matière de libertés publiques où la différence entre Bush le Jeune (II) et Obama (I) me semble indiscernable.

MB a dit…

phersv, mon commentaire a croisé le vôtre.

Je ne suis pas économiste et même si je l’étais, je ne me risquerai sans doute pas à faire des prévisions. Tout ce que l’on peut constater pour le moment c’est qu’il y a un problème réel, qui est le marasme économique et le chômage, et un problème purement potentiel, qui serait une hausse des taux d’intérêts. Il semble plus rationnel de s’attaquer aux problèmes qui existent plutôt qu’à ceux qui pourraient exister.

Pour le reste, je suis un lecteur de Krugman, qui semble avoir raison sur l’essentiel depuis le début de la crise. Cela fait deux ans que l’on prédit une hausse massive des taux d’intérêts et une hyperinflation et l’on ne voit toujours rien venir. Peut-être cela finira-t-il par arriver mais peut-être est-ce juste que les néo-keynésiens ont raison et les autres tort ? Selon ce que j’ai compris, l’idée serait que les gens qui ont de l’argent ne sauraient pas quoi en faire. Faute de demande solvable, il n’y a pas d’investissements intéressants à réaliser dans le secteur privé. Alors la seule chose que vous puissiez faire de vos milliards, c’est de les prêter au gouvernement, même si cela ne vous rapporte presque rien.

Et puis les risques d’insolvabilité du gouvernement américain sont nuls. D’abord, il emprunte en dollars ; donc, si nécessaire, il lui suffit d’imprimer de nouveaux dollars (ou de créer de nouvelles pièces de platine de 1.000.000.000.000 de dollars) pour payer ses dettes en dollars. Ensuite, les prélèvements obligatoires sont tellement faibles qu’il suffirait de les porter au niveau européen pour dégager des ressources considérables.

Phersv a dit…

Oh, j'étais d'accord sur le diagnostic keynésien (autant que je puisse le comprendre via Krugman). Je ne parlais que de la perception hooverienne des "Gens Très Sérieux".

Ca y est, le compromis semble être une victoire presque totale des Républicains dans ce budget.

Ce sera donc une baisse de toutes les dépenses au moment où le pays retombe dans une petite récession, et aucune hausse d'impôt.

Ezra Klein tombe de se remonter le moral en disant qu'au moins les Bush Tax Cuts pourront expirer d'eux-mêmes à la fin 2012 mais il y a quand même le risque que le Président-élu Romney ne les prolonge dès janvier 2013 en les faisant passer pour une politique de relance.

Thierry Lhôte a dit…

Croire qu'une relance Keynésienne plus forte aurait tout raccommodé est de l'ordre de la drogue dure.

Un Président des Etats-Unis n'est pas un haut fonctionnaire qui échoue parce qu'il n'a pas eu le budget voulu.

Gouverner c'est autre chose que de jouer sur les assemblées.

Le problème d'Obama date de l'origine,
1. Il aurait du imposer dès le départ une vision et une structure générale de l'Obamacare. Et ne pas laisser les assemblées se dépatouiller toutes seules.
2. Dés le début, avec le bailout qu'il a signé, et les personnes qu'il avait prises dans son staff, on savait qu'il allait faire entre autre la politique de la finance privée américaine

Surque les TeaParty et les Répulicains se sont engouffrés dans ces failles.
C'est justement d'un leadership sur son camp et une résistance sur ses bailleurs de fond électoraux qu'il aurait du démontrer dès le début.

FDR était loin d'être un ange mais sa poigne de fer et ses décisions étaient hors de discussion. Acceter d'avoir du leadership c'est aussi s'engager quand même et montrer la voie quand on sait que cela n'est pas populaire ou ne plait pas à ses propres alliés (Mitterrand par exemple.)
Obama s'est retrouvé piégé dès le début.

Votre perception est fausse, car finalement en politique, vos adversaires n'inventent pas vos faiblesses, ils ne peuvent s'engouffrer que dans les portes que vous laissez ouvertes.
Surtout quand vous avez l'avantage d'être au sommet de l'exécutif. Obama n'a pas disposé du poste le moins puissant dans la structure.

Et vous voudriez qu'en plus je pleure ?

Thierry Lhôte a dit…

Lisez plutôt cet article, il est dur avec les TeaParty, il est dur avec les Républicains, mais il est dur aussi avec Obama.

Et c'est normal, au niveau exécutif où il est, on ne défend pas un compromis avec des gars qui veulent vous faire la peau, on prend le peuple à témoin certes, mais on dépose une vision pour les 10 ans qui viennent, clairement argumentée et avec des repères fiables.
Et là, je crois que pratiquement tout le monde était d'accord et que les Républicains pouvaient perdre pour les 12 années à venir et refaire leur parti.

http://www.northjersey.com/columnists/doblin/doblin_072911.html

Je me demande encore comment on a pu passer en 3 ans de "Hope" et de "Change" à "compromise".

Anonyme a dit…

"Ca y est, le compromis semble être une victoire presque totale des Républicains dans ce budget."

C'est infiniment triste, je trouve.