samedi 26 novembre 2011

L'ontologie de Ditko



Le grand dessinateur des années 1960 Steve Ditko est tombé il y a des décennies sous la coupe de la secte "randienne" et il est devenu légendaire pour sa rigidité dogmatique totale (Rorschach représentant Ditko dans Watchmen et ce cartoon résume toute sa vision qu'on n'a même pas besoin de simplifier). L'un des crédos "Objectivistes" de la gourou (qui ne connaissait que très peu de choses en philosophie) est que tous les malheurs du monde viennent du refus de la Dialectique moderne d'accepter le Principe de Contradiction d'Aristote. Je ne suis pas très enthousiasmé par l'idée de douter du Principe de Contradiction non plus mais de cela, elle conclut que l'égoïsme forcené est la conclusion logique nécessaire de ce qu'elle appelle "l'aristotélisme". Bien entendu, l'aristotélisme n'est qu'une caricature, un simple mot dans lequel elle projette sa propre vision rudimentaire qu'elle appelle une "philosophie" (qui est en gros le réalisme direct en épistémologie et un libertarianisme amoral en éthique).

Dans ce souvenir, le scénariste Jim Shooter demande à Ditko de dessiner un comic-book Dark Dominion (pas terrible par ailleurs), une histoire de science-fiction avec des dimensions différentes. Ditko va finalement claquer la porte dès le numéro #0 mais avec un argument métaphysique :


Halfway through the book, Steve came to the office to see me. He gave me the pages he’d done and said he couldn’t do the rest of the story.

“Why not?!’

Because, he said, the story and the character were Platonic and he was Aristotelian.

“You’re gonna have to explain that to me, Steve.”

Simple. Plato believed in the world one can’t see as well as the world one can. Aristotle believed that what you see is what you get. Period.

Dark Dominion was Platonic, and therefore, anathema.

Que le co-créateur de Doctor Strange et ses "décors si insolites et grandioses" comme dirait Gotlib n'ait plus envie de dessiner une histoire avec des mondes "irréels" pourrait être une simple question de changement de "goût" mais ici Ditko en fait un choix "ontologique" fondamental. Le simple fait de représenter une histoire avec d'autres mondes serait un crime contre la réalité aristotélicienne et l'unicité absolue du réel, ce serait déjà se compromettre avec des arrière-mondes et risquer une duplication du monde...

Il pousse très loin l'idée de mimesis mais, au lieu de faire uniquement du documentaire ou de l'auto-biographie, cela le conduit à des allégories plus pesant (voir celle citée plus haut) encore que toute la propagande évangéliste de Jack Chick.

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