dimanche 11 décembre 2011

Un test de 7 Wonders



Ne vous arrêtez pas. Montez ! montez encore !
Moi je rampe, et j'attends. Du couchant, de l'aurore,
Et du sud et du nord,
Tout vient à moi, le fait, l'être, la chose triste,
La chose heureuse ; et seul je vis, et seul j'existe,
Puisque je suis la mort.

La ruine est promise à tout ce qui s'élève.
Vous ne faites, palais qui croissez comme un rêve,
Frontons au dur ciment,
Que mettre un peu plus haut mon tas de nourriture,
Et que rendre plus grand, par plus d'architecture,
Le sombre écroulement.

7 Wonders est un des jeux de société les plus primés de notre époque et je dois reconnaître que j'ai été impressionné. Il a été créé par Antoine Bauza (qui est aussi l'auteur par exemple de Ghost Stories, que j'avais trouvé si difficile à maîtriser).

Une des grandes qualités de ce jeu est sa rapidité. Il promet des parties de 30 minutes et je pense que cela devient vite possible avec un peu d'habitude, même avec l'extension Leaders, qui ne doit ajouter que quelques minutes. Cela permet de rejouer assez vite et de s'habituer au système, malgré le grand nombre de possibilités. Il est remarquable d'avoir réussi à recréer un jeu un peu à la Civilization en 30 minutes alors que le célèbre vieux jeu durait tellement d'heures qu'on n'osait plus le sortir.

Le mécanisme rappelle en fait plutôt le grand classique du jeu européen, les Colons de Catane : il faut accumuler les bonnes ressources (Bois, Pierre, Briques, Verre, Or, Tissus, Papyrus) pour produire divers biens et notamment construire sa "Merveille", l'une des Sept Merveilles du monde antique (les Pyramides de Gizeh, les Jardins Suspendus de Semiramis à Babylone, le Mausolée d'Halicarnasse, l'Artemision d'Ephèse, le Colosse Hélios de Rhodes, le Zeus de chryséléphantine d'Olympie, le Phare d'Alexandrie). Mais contrairement à Katane, il n'y a pas de plateau, seulement des cartes et les interactions sont très simples puisqu'on n'interagit qu'avec le joueur à sa gauche et à sa droite. Le jeu est aussi très peu directement "agonistique" puisque on ne peut pas détruire quoi que ce soit chez les autres (une attaque militaire peut tout au plus faire gagner des points de victoire). Chacun bâtit dans son coin sans craindre de tout perdre, mais il y a quand même des interactions constantes, et même un commerce permanent, comme on doit vérifier de quoi les autres peuvent avoir besoin.


7 Wonders est un jeu de cartes et non de plateau. On a un joli panel (dessiné par Miguel Coimbra, qui faisait aussi Cyclades) représentant sa civilisation, ses ressources et la Merveille, plus des cartes qui peuvent être soit des ressources de base (cartes brunes), soit des marchés (cartes jaunes), des bâtiments (cartes bleues), des armées (cartes rouges), des avancées de la civilisation (bibliothèques, etc., cartes vertes). Les cartes vertes (investissements dans la culture) semblent vite rapporter beaucoup de points mais cela ne signifie pas que d'autres stratégies ne soient pas optimales selon la situation d'ensemble. Dans les deux parties que j'ai testées, les Cartes vertes ont rapporté le plus (et Alexandrie, par exemple, a intérêt à le privilégier) mais un joueur qui avait tenté un jeu agressif avec beaucoup d'invasions a pu gagner quand même au total des points (Rhodes et dans l'extension Rome ont plus intérêt à ce type de jeu militaire).

Chacun à tour de rôle reçoit une "main" (par exemple de 7 cartes), ne "recrute" qu'une seule carte (c'est ce principe qu'on appelle un jeu Draft) et passe la totalité des cartes restantes à son voisin, alors que son voisin a fait de même, et ainsi de suite. Cela fait que chacun a pu voir la totalité des cartes non-choisies par les autres au bout du cycle. Cela oblige à des choix hasardeux (on construit une stratégie avec ses cartes de départ en sachant lesquelles on a refusées mais sans savoir lesquelles vont arriver dans la main suivante). Mais cela peut aussi réduire l'impression d'une seule donne aléatoire.

Les tours se succèdent en trois "Âges" assez rapides et chaque époque a des cartes assez différentes. Le premier Âge est plus centré sur des ressources assez brutes qu'il va falloir sélectionner. Le second est encore un peu mixte entre l'exploitation économique et l'élaboration des progrès divers. Le troisième, qui est celui où vraiment les joueurs vont le plus se démarquer, donne de nombreux progrès mais plus aucune ressource nouvelle. Si on ne les a pas ou si on ne peut pas les acheter à ses voisins, on peut se trouver un peu bloqué. Il ne faut donc ni tout investir en ressources naturelles au Premier et Second Âge (sinon, on sera diversifié mais avec peu de progrès déjà accomplis), ni trop les négliger (sans quoi on ralentira son progrès au IIIe Âge). Mais il y a plusieurs stratégies mixtes (une civilisation avec des moyens commerciaux ou bien avec certains progrès bien choisis peut se passer de certaines ressources).


On a un peu reproché à 7 Wonders d'être un jeu abstrait "à l'allemande" mais notamment dans le très joli supplément Leaders, qui introduit des personnages individuels, je trouve que l'atmosphère de Civilization entre vraiment pleinement dans le jeu de cartes. Le thème n'est plus seulement une vague décoration et ce jeu français a donc réussi un compromis entre la facilité du jeu à l'allemande et le côté plus simulationniste des gros jeux à l'américaine. Chaque Leader apporte des capacités spéciales et permet d'affiner sa stratégie. Ils n'ont pas du tout à être équilibrés puisqu'on peut ne pas les choisir (je crains par exemple que le pouvoir de Platon, qui demande une grande diversification de sa Civilisation, soit peu rentable). Par exemple, j'avais l'architecte Imhotep et j'ai pu bâtir ma Merveille beaucoup plus rapidement que les autres. La Reine Hatshepsout (qui facilite le commerce avec ses voisins) a l'air vraiment puissante du point de vue économique. Crésus rapporte beaucoup d'argent immédiatement mais il ne me semble pas aussi rentable à long terme. Certains savants, comme Archimède, peuvent considérablement augmenter le score sur les cartes vertes d'avancées scientifiques.

Si je compare avec Cyclades, le jeu antique pour lequel j'avais craqué l'hiver dernier, 7 Wonders est plus facile à mettre en place (des cartes et non tout un plateau), même s'il y a encore plus de systèmes multiples à découvrir en cours de jeu par la suite. L'apparence me semble aussi beau dans les deux jeux (c'est le même illustrateur), avec bien entendu plus d'illustrations dans le jeu de cartes mais de très jolis pions dans Cyclades.

Cyclades peut contraindre à tenir davantage compte de l'aspect wargame, on ne peut pas complètement faire l'économie de se défendre au moins un peu (il faut donc quelques sacrifices à Arès), alors que 7 Wonders est bien plus paisible, on peut très bien gagner en ayant négligé sa protection militaire, même si son voisin est très impérialiste.

Cyclades me plaît plus par son thème mythologique (même si certains pouvoirs des créatures ont parfois peu de lien avec le thème supposé) et par son côté "tri-dimensionnel" sur le plateau, avec ses armées, ses galères et ses monstres (pour un jeu français, il se rapproche plus des gros jeux à la FFG). Mais même si 7 Wonders n'est pas vraiment "historique", le thème antique et les références sont finalement plus nombreuses.

7 Wonders me paraît plus rapide et permet donc plus de parties. Je ne saurais pas du tout juger lequel serait le moins aléatoire ou le plus stratégique. J'ai eu l'impression que 7 Wonders était quand même plus aléatoire que les Colons de Katane, mais ce n'est pas vraiment un défaut à mes yeux comme l'abstraction si austère et mathématique de Katane m'ennuie un peu.

6 commentaires:

賈尼 a dit…

Est-ce que, à ton avis, on peut y jouer en famille : avec des enfants, ou avec des adultes non-gamers ?

Phersv a dit…

L'ennui serait sans doute la première partie. Il y a vraiment beaucoup de systèmes différents à apprendre, beaucoup de symboles différents possibles et on a mis un peu de temps à assimiler les mécanismes.

Dès la deuxième partie, cela devient nettement plus intuitif. Ce n'est pas vraiment "complexe" mais il y a quand même un temps d'apprentissage plus long que pour bien des jeux "familiaux".

Certains logos continuaient à me laisser perplexe si je ne vérifiais pas dans les règles (il y a des pouvoirs qui peuvent porter sur des bonus à l'achat d'autres cartes, par exemple).

Je crains donc un peu que cela paraisse mystérieux et presque esotérique au début. Les non-gamers ne seraient peut-être pas assez indulgents pour attendre la seconde partie et vraiment exploiter le jeu.

Phersv a dit…

La boite dit "à partir de 10 ans". Je ne me rends pas compte mais cela a l'air raisonnable.

La phase finale d'addition des points de victoire (qui peuvent tourner autour de 50-75) peut être un peu fastidieuse.

Rappar a dit…

7 Wonders est un jeu que j'ai adoré dés ma deuxième partie. :) Il était épuisé, du coup je suis allé m'inscrire sur Brettspielwelt.de , un site (gratuit) qui permet de jouer aux jeux de plateau en ligne.

J'en suis maintenant dans les 135 parties. :)
Évidemment, le décompte final en ligne est très rapide, puisque fait par ordinateur...

Quelques précisions :
- toute l'essence de jeu, c'est "comment optimiser sa stratégie avec la main que l'on reçoit". On peut donc commencer avec une idée en tête, p.ex. "j'ai le Mausolée d'Halicarnasse qui me donne un tissu de base, je vais donc collectionner les cartes vertes (science)", puis s'apercevoir qu'elles sont "interceptées" par ses voisins, et décider de changer sa stratégie pour du rouge-bleu (LA combinaison) ou ressources/construction de merveilles.

C'est donc en quelque sorte un jeu de gestion de la pénurie... :)

- en débutant on ne joue surtout en regardant son plateau; avec l'expérience on commence à déchiffrer la stratégie de ses voisins, et savoir quelles cartes ne pas passer... :)

Il y a donc plusieurs niveaux de jeu dans la partie, ce qui fait qu'on ne se lasse pas.

- si le hasard n'est pas négligeable, un joueur expérimenté arrivera à prendre en compte assez de paramètres pour le maîtriser. P.ex. on peut estimer si une carte que l'on transfère peut n'intéresse personne d'autre que soi, et la voir "revenir" :)
Je pense donc que la chance est moins décisive que dans les Colons... :)

- les parties se jouent de 2 à 7 joueurs. Les meilleures parties amha se jouent entre 4 et 5.

- en choisissant de ne jouer qu'avec les faces "A" des civilisations, on s'épargne quantité des pouvoirs spéciaux qui obligent Phersv à consulter les règles ;)

Phersv a dit…

Je ne connaissais pas BSW. Ca a l'air plus simple que de télécharger des trucs sur Vassal (mais je n'ai jamais essayé sur Vassal, en pensant que cela exigeait d'avoir déjà le jeu). Est-ce que la version a aussi l'extension Leaders?

Dans le 7W qu'on a fait (à 6), les cartes ne pouvaient pas revenir, on avait juste une carte de plus que de nombre de participants et on arrêtait l'Âge à la sélection de l'avant-dernière carte.

Un type important de cartes que j'ai oubliées est les violettes, les Guildes. Cela a l'air de compter pas mal pour optimiser le décompte final, si on a pu avoir un alignement cohérent de ses cartes.

Rappar a dit…

7W sur BSW n'a pas l'extension Leaders, ni l'extension Mannekin-Pis. :)
Tant qu'à faire, et jouer aux dizaines d'autres jeux proposés, penser à installer le client BSW (une sorte de navigateur)

Oui, les cartes de Guildes sont essentielles, elles peuvent valoir entre 6 et 10 points chacune en fonction de l'environnement :) Comme il n'y en a qu'un exemplaire, il vaut mieux éviter de baser sa stratégie dessus, mais garder un oeil dessus au 3ème âge.