mardi 7 février 2012

Galimafrée



  • Je vais encore faire une prétérition de plus.

    Je n'ai plus envie de commenter toutes les saillies de notre Ministre de l'Intérieur. C'est un piège grossier, dans tous les sens du terme.

    Si on le commente, on prend au sérieux un prétendu débat, on commence à distinguer plusieurs sens à culture ou à civilisation ou à lui expliquer la contradiction performative de son propre énoncé qui rabaisse ce qu'il prétend réhausser. Ce serait faire trop d'honneur à ce personnage qu'on espère vite oublier.

    Si on s'indigne, de même, il aurait beau jeu de dire "Ah, vous voyez, j'avais raison de dire que ce n'était que des nihilistes / relativistes et autres mots en -istes qu'il ne faut pas être d'après mon ami Zemmour, de Mauvais Français Dhimmis Vendus de l'Anti-Valeur Civilisatrice".

    La seule réaction républicaine ou même saine d'esprit serait de rougir ou de se taire.

    On a honte collectivement de cet individu car il reflète peut-être un peu plus que son propre cynisme, mais cela ne changera rien. On a honte de ce piège grossier, honte de cette équipe, si on aime justement bien plus ce pays que ces individus qui se prétendent patriotes alors qu'ils ne sont que des défaitistes qui vendent la peur du déclin pour en faucher quelques bénéfices.

    Pour une fois, les pragmatistes ont raison : le sens de l'énoncé n'a rien à voir ici avec une signification intemporelle d'une proposition qu'il faudrait discuter ou analyser. On analyse des problèmes réels, on n'ergote pas sur de petits jeux tactiques à court terme. Le sens, ici, c'est seulement ce dont il se sert. C'est un instrument dans un contexte bien situé, pour lancer un petit signal et pouvoir jouir de la polémique prévisible, de quelques ondelettes de reprises pour titiller le complexe amygdalien jusqu'à la semaine prochaine. C'est tellement vain que cela ne mérite même plus de juste indignation.

    Y aura-t-il vraiment quelques pourcentages de fachistes qui lâcheront Le Pen pour Srkozy rien que pour ces petites libations à l'auto-glorification de notre ethnocentrisme ? On peut en douter. Donc cela n'est qu'un peu d'agitation, un petit sursaut de honte et de vanité dans la lassitude d'une démocratie avancée.

  • Guillermo avait déjà écrit ce qu'il fallait à ce sujet il y a 7 ans (et il le redit hier) : le relativisme peut lasser mais on sait bien ce qu'habille ici en l'occurrence l'anti-relativisme facile de la tribune. La rectitude politique existe mais on sent tout de suite ce qu'ont de nauséabond la plupart de ceux qui se disent avec naïveté aller "contre le politiquement correct" ou "contre la pensée unique", sans même se rendre compte du cliché.

    Toutes les moeurs ne se valent pas. L'esclavagisme a moins de valeur que l'abolitionnisme et le sacrifice humain a moins de valeur que la tarte aux pommes. Mais tout le monde sait (à part quelques trolls) qu'il ne s'agit absolument pas de cela. On ne va pas croire sur parole la défense de ceux qui disent que le Ministre pouvait soutenir cela devant l'UNI et les ultra-conservateurs du MIL sans une "intention", dans tout un réseau où il serait le défenseur de notre civilisation.

    Donc oui, on lui fait un "procès d'intention", et oui, l'intention est tellement criante qu'on n'a pas à surinterpréter, il l'affiche avec cette "maladresse calculée" qui fait tout l'esprit du sarkozysme en décomposition. Ce n'est pas une intention, cela relève du réflexe.

  • Oui, Alain Juppé a peut-être trouvé un moyen ingénieux de "pas de côté" en disant qu'on pouvait se demander quelle était l'échelle légitime d'une "civilisation" dans ce genre de propos. Au moins, le Musée Jacques Chirac des Arts Pas Récents aura peut-être servi à cette petite "prise de distance".

    Le sacrifice des veuves ou le castisme dans l'Hindouisme, ce n'est pas bien, mais j'aurais du mal à dire que tous les Upanishad sont contaminés comme un tout organique, ou que tout l'Art hindou devrait être hiérarchisé en-deçà de notre Art sans Castisme. Je ne sais si la géométrie grecque fait pardonner l'esclavage ou la misogynie. Et franchement, ce n'est pas une question à se poser.

    Dans la bouche de l'orateur devant l'UNI, la civilisation dont il parle, c'est, prétend-il, la civilisation française des Droits de l'homme, de la République, de la Laïcité (que le sarkozysme n'a cessé d'attaquer avant de l'instrumentaliser comme un nouveau fard de xénophobie). Mais cela ne vaut pas la peine de faire des distinguos entre "toutes les cultures / toutes les valeurs / toutes les pratiques". A quoi bon, alors que son seul but est de dire qu'on est un Ennemi de la Nation si on a le malheur de ne pas voir l'opportunité d'une loi de plus sur des vêtements.

  • Un ancien Premier ministre très justement oublié, Raffarin, dit que Guéant ferait un "mauvais ethnologue".

    Cher Raffarin,

    Va prendre ton argent auprès de la dictature chinoise mais ne prétend pas que c'est par humanisme montaignien ou parce que tu aurais lu Lévi-Strauss.

    Pour le coup, le "relativisme" si on veut lui faire son éternel procès, on le voit bien à droite, chez ce Président qui nous dit qu'il y a Plusieurs Vérités mais que lui ne croit qu'en son Authenticité. Il n'y a rien de plus toxique que ces relativistes qui se font passer pour le seul remède contre l'universelle relativisation.

  • Oui, tout ne se vaut pas : par exemple, une société où l'accès aux soins dépend de l'argent est barbare.

    Même si le marché aiguillonnait l'innovation comme ils nous le répètent, cela ne pourrait justifier qu'un individu doive être privé de soins nécessaires seulement en raison de ses revenus ou de ceux de ses parents. Dans un siècle ou dans deux, chacun en conviendra comme d'une évidence et même notre "Etat-Providence en Crise" paraîtra bien trop pingre et malthusien.

    Donc un Président de la République qui met en place une franchise médicale et saccage l'hôpital, a contribué à faire régresser le "Niveau de Civilisation" de notre pays, s'il veut parler en ces termes.

    Mais il se permettait un jour aux USA de donner des leçons à Obama à ce sujet.

    Mais oui, je suis stupide, je tombe dans le piège et je commence à en parler. On ne m'y reprendra plus.

  • La politique des allusions et des clins d'oeil est une spécialité du Parti républicain. Newt Gingrich a déclaré qu'Obama, c'était le "Président des Tickets d'aide alimentaire" (Food Stamp President). Gingrich peut prétendre qu'il voulait seulement dire que l'aide alimentaire avait augmenté.

    Mais toute personne qui connaît le racisme dans certains Etats n'a pas besoin de "procès d'intention" pour savoir ce avec quoi il jouait. Le but était de rappeler (au cas où l'électorat âgé des Primaires l'oubliait) qu'Obama représenterait certaines classes (des assistés, bien entendu, des "Reines de l'Etat-Providence" dont parlait Reagan) et plus précisément certains groupes à l'intérieur de certaines classes.

  • 7 commentaires:

    Cardamome : a dit…

    Je surlike, où peut-on liker ?

    Sinon, Copé a expliqué qu'il n'y avait pas de civilisation allemande mais que c'était plus large. Je n'y comprends plus rien. Ah non, il n'y a rien à comprendre, ok.

    Phersv a dit…

    Ah, c'est une civilisation rhénane alors ? Mais je soupçonne que c'est sans les Grecs.

    賈尼 a dit…

    Tu sais que j'habite à Boulogne Billancourt. Alors, par pitié, non, n'en parlons même pas, de Guéant.

    Phersv a dit…

    Ah, c'est vrai, j'imagine que le dissident UMP Thierry Solère n'arrivera pas à empêcher le Ministre d'avoir la circonscription. On va donc vraisemblablement continuer à le subir pendant 5 ans mais à l'Assemblée nationale (sauf s'il renonçait).

    Le Canard enchaîné a aussi raconté comment il a installé son fils François (36 ans), avocat fiscaliste dans une circonscription UMP à Ploërmel (56).

    Cardamome : a dit…

    En fait c'est resté pas clair, parce qu'il s'est fait reprendre par Bernard Guetta. Qui n'en a malheureusement pas profité pour l'enfermer dans ses contradictions.

    Rappar a dit…

    Ah, je ne serais pas aller regarder la définition de "prétérition" (qu'est-ce que l'on s'instruit en lisant ce blog), je serais parti sur "mais si il faut en parler!" :)

    Je préfère que Guéant et Jean-Marie Le Pen clament tout haut leurs valeurs, plutôt que d'avoir une Marine ou un Nicols qui se cachent, changent d'avis suivant le vent et les sondages, promettent sans intention de tenir, agissent sans suivi, disent des choses sans y croire et sans y penser....

    Je suis convaincu que l'on respecte in fine, dans ce pays, la réflexion et de l'explication. Si en réponse à une petite phrase, il se monte un débat et un argumentaire critique pour la démonter ou la relativiser, alors la plupart des gens distingueront le troll du pédagogue, et l'apporteur de savoir du philosophe de comptoir. :)

    Donc bien sûr il faut répondre et analyser. :) Finalement, il en va des petites piques de Guéant comme des questions innocentes des enfants ; c'est une occasion d'apprendre des trucs.

    Cela n'a rien à voir, mais me voilà par coïncidence en train de lire les différentes interprétations des paroles de l'entêtant tube de Foster The People. Que c'est passionnant et créatif de comparer les différentes interprétations! :)

    Fred MESTRE a dit…

    J'ai trouvé l'explication de notre inestimable ministre adorable : "[...] une civilisation qui asservit la femme, qui bafoue les libertés individuelles et politiques, qui permet la tyrannie [...]"

    Mais C'EST notre "civilisation" ! Bon, niveau asservissement des femmes, faut parler des salaires (travail égal tout ça) mais pour le reste, c'est notre bonne vieille France après 10 ans d'UMP...

    Libertés individuelles : combien de nouveaux fichiers policiers depuis 2007 ? Sans compter le célébrissime "fichiers des gens honnêtes"...

    Libertés politiques : les cambriolages suspects d'appartements, les fadettes, tout ça, tout ça... Et même la fille du ministre Boulin laisse tomber.

    Tyrannie : bon, on va pas reparler de la constitution européenne, (il me semble pourtant que le vote avait été clair...) Mais les amitiés françaises, de la Libye ou la Tunisie à la Syrie, sont hélas bien connues : oh, que des démocraties amies des droits de l'homme...

    Bref, on a Claude Guéant comme ministre de l'intérieur. Mais faut quand même être bêtes pour foncer dans le piège comme d'aucuns l'ont fait. Maintenant c'est à ses détracteurs de se justifier... Et l'on prépare une autre "attaque" de ce temps. Pas terrible.

    Bon OK, je tire un peu le trait. Mieux vaut être en France qu'en Russie en ce moment. Mais on pourrait être tellement mieux en France...