mardi 25 novembre 2014

Doom Patrol (1)


Pourquoi la Doom Patrol ?


La Doom Patrol serait un groupe de superhéros sans doute très mineur et peu connu mais ils sont peut-être le premier cas où DC Comics avait tenté d'imiter clairement le style de Marvel en juin 1963. Les superhéros DC étaient ce mélange assez innocent de policier et de science-fiction (un conte pseudo-scientifique), ceux de Marvel avaient incorporé dans leurs nouveaux superhéros depuis 1961 deux nouveaux genres qui étaient surtout la nouvelle d'horreur sur des Monstres (Spiderman et The Thing) et un tout petit peu de romance à l'eau de rose (du soap opera mélodramatique dans la science fiction). De ce côté, la Doom Patrol ressemble à une parodie des Fantastic Four, un écho ou une transplantation du style de Marvel chez DC.

Pour ce printemps 1963 (la date de "juin" est sans doute post-datée d'un trimestre comme d'habitude), la Doom Patrol arrive parmi les premières équipes de l'Âge d'Argent : les Challengers of the Unknown (un des modèles des Fantastic Four et de la Doom Patrol) datent de février 1957, la Justice League of America est de novembre 1960, les Metal-Men (qui ont des héros robots, comme un des membres cyborg de la Patrouille) de mars 1962. Chez les concurrents de Marvel, il n'y a guère que les Fantastic Four qui datent de novembre 1961 et les Avengers n'arriveront que peu de temps après la Doom Patrol, en septembre 1963 en même temps que les X-Men avec lesquels on va si souvent - non sans raison - les comparer.

La Doom Patrol eu de plus la particularité d'être un des rares groupes de superhéros à se faire tous tuer dans leur dernier numéro (dans ce qui ressemblait en plus presque à un suicide vraiment "altruiste" au sens premier, et non en un kamikaze). C'était au bout de seulement 5 ans (Doom Patrol #121, octobre 1968). Ils étaient tombés à "seulement" 100 000 exemplaires, ce qui passerait pour un énorme succès populaire dans nos critères actuels où les comic-books dépassent rarement les 30 000 exemplaires mais paraissait ridicule pour DC dans les années 1960. Ce trépas dramatique explique à la fois leur obscurité (ils furent un peu oubliés) et leur originalité (on se souvint surtout de leur évanescence qui justifiait rétroactivement leur nom).

Oh, certes, comme tous les personnages de comic books, ils ressuscitèrent au bout de quelques années (Robotman ne resta mort qu'environ 9 ans, je crois) mais demeurèrent dans des limbes comme un des rares deuils durables dans l'histoire des comics (la membre féminine, Elasti-Girl, ne revint quand même que 35 ans après et son décès fut longtemps un des tabous comme ceux de Bucky ou de Barry Allen - tous transgressés depuis).

La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Le comic-book a engendré un sous-genre dans l'industrie de la Nostalgie et la Doom Patrol repose en partie sur un perpétuel regret mélancolique sur la possibilité de sa disparition. Tout récemment, l'auteur à la nostalgie si agressive Geoff Johns ne les a re-re-ressuscités dans Justice League #27 (2014) que pour massacrer à nouveau une partie de ce commando suicide, comme si toute leur fonction n'était de revenir que pour mourir ou pour rappeler le frisson de la finitude dans un monde de fantasmes de puissances.

Ils ont d'ailleurs réussi à instiller en moi comme lecteur un peu de cette "nostalgie" paradoxale pour un passé que je n'ai absolument pas connu, ou plutôt pour une possibilité de passé qui ne se serait produit que s'ils n'avaient pas disparu.Mais je dois dire que mon affection est plus due aux dessins de l'Italien Bruno Premiani, qui venait des comics de romance et qui savait donc intégrer un charme élégant assez désuet dans le superhéros, qu'aux scénarios mélodramatiques d'Arnold Drake.

L'Avant-Garde

Mais je plaisante.

La vraie raison de leur renommée n'a rien à voir avec leurs origines étranges des années 1960 mais avec une révision radicale de leur image quand ils furent finalement transformés dans les années 1990 avec les scénarios du Britannique Grant Morrison. C'est cette série qui servit, en même temps que Sandman, à définir ce qui allait devenir la collection pour adultes Vertigo chez DC Comics.

Morrison tentait de rivaliser dans les références de l'Avant-Garde du XXe siècle avec Alan Moore (le premier à mettre des collages de William Burroughs dans Watchmen) mais malgré tout le jeu parfois si ingénieux, le parcours de Morrison tend à me tomber des mains - même s'il faut reconnaître que ces ambitions démesurées furent historiquement importantes dans l'histoire du superhéros. Le romancier et théoricien John Barth distingue parfois le "modernisme" (comme tentative révolutionnaire d'innovation formelle) et le "post-modernisme" (comme tentative de subvertir la forme traditionnelle de manière ironique tout en gardant certaines structures traditionnelles).

Le Sandman de Neil Gaiman est délicieusement post-moderne, du fantastique très classique avec des jeux ironiques, alors que dans cette période, la Doom Patrol de Morrison a un côté d'hommage au Situationnisme parfois trop appuyé ou dérivatif, entre l'aspect illisible du modernisme expérimental et un aspect trop récupéré de la simple reprise post-moderne déjà "digérée" ou artificielle. Comme s'il répétait : "Regardez, c'est sérieux, je fais de la littérature".

We are all Doomed

Le nom du groupe me fait penser que ce mot "Doom" devait être assez vendeur dans les années 1960. En effet, ils sont apparus  dans My Greatest Adventure #80, juin 1963, qui auparavant était une anthologie d'histoires courtes de science-fiction, sans continuité, et ce magazine avait souvent eu ce même terme sur le titre ou sur la couverture comme symbole du suspense avant de se concentrer sur cette équipe de superhéros ; j'en compte près d'une vingtaine sur une douzaine d'années :
"I had a date with DOOM" (My Greatest Adventure #4, 1955), "I Fought the Clocks of DOOM!" (My Greatest Adventure #14, 1957), "I DOOMED the World!" (#17), "...or the whole solar system is DOOMED" et "We were DOOMED dy the Metal-Eating Monster" (My Greatest Adventure #21), "I Battled the DOOM from the Deep!" (#30), "We battled the hand of DOOM!" (#32), "I was bewitched by Lady DOOM" (#36), "I was a Prophet of DOOM" (#44), "We Were Prisoners Of The Sundial Of DOOM" (#46), "I Made a Deal with DOOM" (#51), "No matter who wins, I'm DOOMED!" (#53), "If I stay on Earth, I'm DOOMED!"(#69), "I Won The DOOM Castle" (#70), "The Mountain's Anger will DOOM us!" (#73) et dès le mois suivant "DOOM was my inheritance" (#74).

Manifestement, c'est un terme qui n'a pas d'équivalent direct car, malgré Chéri-Bibi, je ne pense pas que des Pulps français auraient fatalitas! aussi souvent.

Z idcirco Appius Claudius detestatur, quod Dentes Mortui, dum exprimitur, imitatur

En France, la Doom Patrol avait été traduite dans les petits titres en Noir & Blanc de chez Aredit-Artima parfois "Patrouille du Destin" (littéralement à peu près exact mais quand même assez curieux - "Patrouille Fatale" ne serait pas mieux) ou bien le plus souvent "Patrouille Z". Ce choix du Z leur donnait un statut encore plus marginal si on pense tout de suite à "série Z" (expression qui apparaît seulement deux ans avant, dès 1965 pour parler des films de Roger Corman). Mais j'ignore si cette connotation était déjà implicite (et non, je ne crois pas à une référence à Z comme Zorglub de 1959).

J'ai longtemps cru que cet ajout du "Z" était simplement un gag ou une allusion du traducteur qui voulait ironiser sur leur ressemblance avec le X des X-Men et accentuer la similitude. Mais c'est en fait assez douteux quand on regarde la chronologie.

C'est sous ce nom de Patrouille Z qu'ils apparaissent en français dans Spectre n°1 (avril 1967, traduction de Doom Patrol #89 d'août 1964). Les Uncanny X-Men créés en septembre 1963 (donc trois mois après la Doom Patrol) ne furent, eux, traduits en français que dans Strange n°1 (janviers 1970) et Arédit-Artima n'a donc nulle raison en 1967 de penser à critiquer cette concurrence des Mutants.

Et il ne faut pas faire d'anachronisme : c'est difficile à croire aujourd'hui où les X-Men sont le leader des ventes depuis plus de 40 ans mais les Mutants de cette période ne furent pas un succès populaire avant l'arrivée des New X-Men en 1975. Ils virent même leur série devenir bimestrielle puis s'arrêter faute de ventes (à partir du #66 de mars 1970) un peu plus d'un an après la Doom Patrol (mais sans un terme aussi fatal que nos Patrouilleurs). Et ironiquement juste à la disparition de la Doom Patrol, Marvel jugea bien de faire venir leur créateur Arnold Drake pour devenir le nouveau scénariste des X-Men pendant 8 numéros (Uncanny X-Men #47-54, datés d'août 1968 à mars 1969).

Ce qui dut accroître la confusion pour les lecteurs français est qu'Arédit-Artima publia une partie des VF dans Etranges Aventures où ils mélangeaient parfois des traductions de DC et de Marvel. Par exemple, les numéros 1-20 sont surtout du DC, puis 21-25 du Marvel, et les 26-27 (août 1972) sont consacrés à la Doom Patrol, puis le magazine revient vers Marvel pour les n°30-70 avant de finir son parcours à nouveau par du DC dans les derniers numéros, si bien qu'un lecteur devait ignorer l'éditeur américain.

Sur la Patrouille Z, voir cet article synthétique (tiens, Beast Boy était traduit "Zoo Boy" - le Z est-il à cause de cela ?) et quelques extraits chez Artemus Dada.

2 commentaires:

John Warsen a dit…

Excellent article. Je propose derechef qu'on crée une chaire de comixologie et qu'on t'en octroie la présidence à vie, car ton érudition est toujours passionnante sans être ennuyeuse, au contraire de beaucoup de professeurs d'explications de ma connaissance.

Anonyme a dit…

Et le tout avec finesse d'analyse,pedagogie et probité.