mardi 12 mai 2015

Réforme du collège


Je ne parle pas souvent d'éducation sur ce blog. Je suis enseignant et je n'entends parler que de cela en Salle des Profs toute la journée et donc, si même moi, cela m'ennuie, il est probable que cela vous lasse encore davantage. Qui plus est, je ne sais absolument pas quelles réformes seraient nécessaires et je n'ai aucune imagination politique sur ce sujet (en dehors d'idées infaisables comme de réduire le nombre d'élèves par classe).

Libération a fait aujourd'hui plusieurs articles en faveur de la réforme prévue du collège. Pourquoi pas ? J'étais d'abord plutôt content d'entendre pour la première fois tinter ce proverbial son de cloche concurrent, différent de mes propres préjugés d'ancien élève de petite bourgeoisie (parents employés, dont l'un ayant terminé ses études en 4e) contre cette réforme.

Mais je suis déçu qu'ils aient choisi de ne faire aucun débat. Le dossier paraît donc une campagne unilatérale. 100% des 5 tribunes différentes étaient des défenses. Ils auraient pu sélectionner au moins une critique, même nuancée et cela n'aurait fait que rendre les défenses plus crédibles (l'édito parle seulement de "quelques maladresses dans le jargon"). On me dira que le débat viendra par la suite les jours suivants dans les réponses.

Ils commencent le dossier en disant que les adversaires de la réforme sont de droite (au lieu de dire, ce qui serait plus exact, que la droite fournit des bataillons des adversaires et que la droite attaque un type de réformes qu'elle a failli mettre elle-même en place) et reconnaissent seulement dans le corps du texte que la gauche est en fait très divisée sur le sujet (pour dire ensuite que ces gens de gauche qui sont contre sont des "bobos" hypocrites). Puis ils disent que si on veut défendre les options du latin et du grec, c'est qu'on est pour envoyer tous ceux qui ont des difficultés d'apprentissage dans la voie professionnelle. L'honnêteté de ces arguments m'échappe.

En un sens, ces articles de Libé ont été très contre-productifs. J'avais des doutes et à présent, je suis davantage convaincu contre la réforme. J'ignore si c'était leur but secret.

J'ai retenu deux arguments : (1) l'école est de plus en plus inégalitaire (c'est un problème fondamental que tout le monde reconnaît, mais je ne vois pas en quoi cette réforme la rend moins inégalitaire)
(2) si on met la Langue Vivante 2 dès la 5e pour tous, le dispositif bi-langues devient dès lors inutile (mais alors pourquoi ne pas mettre la LV2 pour tous dès la 6e ? le dispositif fonctionnait et ils reconnaissent eux-mêmes que la composition sociale n'y était pas aussi massivement privilégiée qu'on pourrait le croire - les 20% les plus favorisés fournissant 30% des élèves, mais de nombreux lycées de banlieue racontant comment ces classes bi-langues avaient aidé des zones à "dispositif particulier").

Certains des intervenants en "sciences de l'éducation" (qui sont souvent à l'éducation ce que la scientologie est à une science ou ce que l'astrologie est à l'astronomie) disent (en citant de brefs passages antérieurs dans l'enseignement secondaire avant d'aller méta-enseigner) que ces passerelles des Enseignements Personnalisés étaient réclamées par les enseignants eux-mêmes pour faire de "l'interdisciplinaire" (ou du "transdisciplinaire", je ne sais plus).

Entendez-vous vraiment les Professeurs de Lettres (de "Français") se plaindre de ne pas assez devoir faire cours commun avec leurs collègues d'Histoire-Géographie ? Ce gadget existe déjà, mais au Lycée. Ce qui ne marche que très mal (du moins dans mon expérience limitée) en Seconde sera donc reinjecté encore plus tôt, dès la 4e-3e au nom du "décloisonnement". On a tous tendance à croire qu'il faut plus de bases avant de pousser à ces programmes trop vagues ou confus et que des enseignants motivés pourraient déjà le faire sans transformer les humanités en une option plus superficielle et privée de grammaire. Cet interdisciplinaire, comme d'autres tendances, n'est pas du tout un "nivellement par le bas", c'est plutôt donner des exigences qui peuvent sembler démesurées par rapport aux réalisations moyennes qu'on pourrait en tirer.

Un peu étonné de ce ton, j'ai donc acheté pour la seconde fois de ma vie le Figaro, qui titrait aussi sur la même réforme, pour voir la qualité des arguments.

Comme on peut s'y attendre, la mauvaise foi est une chose bien répartie. Ce n'est guère mieux fait que dans Libération pour ce qui est de la sincérité. P. 10, ils disent que "Sarkozy est intervenu en 2010 pour maintenir l'Histoire en Terminale S". On est tout droit dans Orwell. C'est une manière extrêmement malhonnête de raconter que sous Sarkozy, on avait rendu l'Histoire optionnelle en Terminale S (prétendument pour revaloriser la série L, de même que la suppression des classes bi-langues doit revaloriser les classes unilangues ?). Dans quelques années, je propose que Libération écrive que "Mme Vallaud-Belkacem est intervenue en 2015 pour sauver les Langues anciennes" (en les maintenant comme un vestige mutilé).

Voir Sarkozy défendre les Humanités a quelque chose de très drôle. C'est lui qui avait déclaré il y a quelques années que si des parents voulaient que leurs enfants étudient des choses aussi inutiles que le latin et le grec qui n'apportaient rien au PIB de la nation, ils n'avaient qu'à payer par eux-mêmes - comme si la connaissance des bases de notre culture relevait du hobby comme la philatélie à peu près. Mais maintenant, une réduction horaire d'un tiers lui paraît une crise de civilisation, bien entendu. Mais on est habitué à ces revirements quand la droite est dans l'opposition. Elle tiendra le même discours libéral "adaptationniste" (l'école doit s'adapter au marché du travail), et cela parviendra à des résultats assez proches des visées "modernistes" qui se couvrent de la défense de l'égalité.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est bien connu, les enseignants sont tous des fainéants!

賈尼 a dit…

Excellent billet, sur le fond comme sur la forme. Et — hélas — confirmation qu'il faut bien parler d'UMPS (non comme les Bas-du-Front, mais comme la Gauche espagnole qui a créé le terme "PPSOE" pour désigner le bipartitisme stérile qui gouverne au-delà des Pyrénées).

Fabien Lyraud a dit…

La France est quand même le seul pays où la pédagogie est considérée comme un gros mot et où l'on est fier de permettre l'autoreproduction des élites. Il y a des tas de choses à revoir dans les programmes. Le mépris pour les sciences de l'éducation est quand même bien installé parmi les enseignants.
Le but de l'enseignement c'est quand même de former le futur citoyen. Comme disait Philippe Mérieux, il est plus utile de connaître le fonctionnement du pays, ou de savoir calculer une marge ou un prix de revient que de connaître le théorème de Thalés. Pour être un citoyen il faut maîtriser sa propre langue, savoir d'où l'on vient, où l'on va, connaître son environnement, apprendre à savoir qui l'on est. A partir de ses savoirs là et des savoir être associés on peut raisonner comme un citoyen. Sauf que ceux qui sont capables de penser en citoyen sont une minorité. L'UNESCO nous dit que pour être un citoyen il faut avoir un niveau de fin d'étude secondaire. En France niveau bac. Il y a beaucoup trop de travailleurs consommateurs et pas assez de citoyen. être citoyen c'est maitriser la langue, l'histoire, les sciences, connaître les langues étrangères pour comprendre les autres, savoir compter, maîtriser la technologie ....

Elias a dit…

@ Fabien Lyraud
"Le mépris pour les sciences de l'éducation est quand même bien installé parmi les enseignants. "

Bizarrement l'expérience du passage par l'IUFM a quelque responsabilité dans ce mépris. Il faudrait peut-être que les formateurs estampillés "sciences de l'éducation" s'appliquent leurs beaux préceptes et qu'ils s'interrogent sur leur pratique ... manifestement ces gens qui ne cessent de rabâcher qu'il faut donner du sens aux enseignements ont bien du mal à convaincre leur public du sens du leur ...

賈尼 a dit…

Le but de l'enseignement c'est quand même de former le futur citoyen.

Ah bon ? Ce n'est pas de transmettre les connaissances et le savoir ?

Phersv a dit…

L'un n'empêche pas l'autre, des savoirs pour mieux résister aux pouvoirs et aux endoctrinements.
Je ne résiste pas à l'envie de re-citer le texte que j'avais mis sur Facebook en janvier dernier : le but de l'Instruction tel que Condorcet le définissait était de former l'esprit critique sans pour autant faire de l'édification morale ou de la propagande pour la forme constitutionnelle (alors que le cours d'éducation civique risque toujours de dériver vers cela).
Condorcet, L'éducation publique doit se borner à l'instruction (1791) :
"Si on entend qu'il faut enseigner [une Constitution] comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle, ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de la juger ; si on leur dit : Voilà ce que vous devez adorer et croire, alors c'est une espèce de religion politique que l'on veut créer ; c'est une chaîne que l'on prépare aux esprits, et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés, sous prétexte d'apprendre à la chérir. Le but de l'instruction n'est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l'apprécier et de la corriger. Il ne s'agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison. "