jeudi 16 juillet 2015

Different Worlds #4 (août-septembre 1979)


La couverture est de Paul Jaquays, qui me semble adopter ici un style plus humoristique à la Vaughn Bodé.

L'éditorial de Tadashi Ehara se plaint que les jeux de rôle n'aient pas été très "innovateurs" en 1979 alors qu'il y avait encore de nombreux genres qui n'ont pas été couverts. Il cite notamment l'espionnage (genre archi-utilisé depuis, de James Bond à Wilderness of Mirrors) et les Indiens d'Amérique (existe-t-il encore aujourd'hui un bon jeu sur ce thème en dehors des Westerns ?).

"Selling Your Game Design: Games To Gold" Rudy Kraft (p. 4-6)
Une liste des compagnies qui acceptent des propositions de nouveaux jeux avec quelques conseils pour se faire publier (en n'oubliant pas de faire copyrighter le jeu d'abord).
Un détail qui me fait rire est que FGU répond qu'ils publieront à peu près n'importe quoi dans tous les genres, à part des suppléments pour leurs jeux qu'ils laissent à Judges Guild. C'est un modèle économique qui ne s'est absolument pas maintenu, même avec l'Open Gaming License. L'idée qu'une compagnie de jeux ne fasse que la "base" et refuse de faire vivre son jeu ensuite paraît presque suicidaire rétrospectivement. A l'inverse, Judges Guild fait un choix intéressant en cherchant à n'être que la compagnie de tous les suppléments pour tous les jeux dont ils obtiennent une licence (aussi bien D&D qu'Empire of Petal Throne, Superhero 2044TravellerRunequest ou plus tard DragonQuest). La coupure jeu/supplément fait un peu penser à celle entre hardware et software et la suite a donné raison aux compagnies se spécialisant dans le software. Quand Judges Guild avait proposé à TSR de faire des suppléments D&D, ils obtinrent les droits parce que Gygax n'avait pas encore deviné le marché que cela représenterait. Mike Mornard raconte que Gygax avait été surpris que les joueurs soient prêts à payer pour des scénarios au lieu de les écrire eux-mêmes.

"Beginner's Brew: Mastering Your First Adventure" Charlie Krank (p. 7-8)
Il faut bien connaître les règles et bien préparer ses premiers scénarios avant ensuite d'apprendre à plus improviser. Il faut aussi penser aux conséquences à long terme dans la jurisprudence quand on interprète les règles et ne pas déséquilibrer le jeu en donnant trop vite des pouvoirs disproportionnés. Il faut faire un débriefing après le scénario pour savoir évoluer et apprendre de ses erreurs.

"A Star Trek Scenario Report: Kirk On Karit 2" Emmet F. Milestone (p. 9-11)
Une ébauche de scénario joué en convention DunDraCon pour le jeu Star Trek (1978) de chez Heritage (par Michael J. Scott) qui utilise comme adversaires les Dreenoi de Star Guard!.
Cela se termine par une règle de "Romance" pas inintéressante pour simuler les scènes où Kirk tombe amoureux d'une nouvelle femme dans chaque épisode et tente de la séduire. Different Worlds #18 aura un nouveau supplément (par Paul Crabaugh) pour le même jeu, qui sera quasiment l'unique extension de toute son histoire.

"Enchanted Weapons Table" John T. Sapienza, Jr. (p. 12-25)
Des pages et des pages de tables de génération aléatoire d'armes à la place de celles du Dungeon Masters Guide. Je ne vois guère qu'un aspect original : on tire aussi la couleur et la forme décorative de l'arme (par exemple, pommeau en forme de chat). On pourrait s'étonner qu'ils aient gâché 35% de ce numéro sur cela (et les articles de ce genre par Sapienza vont continuer encore assez longtemps) mais le DMG ne paraît justement que pendant ce mois d'août 1979 pour la GenCon XII. Et dans le courrier des lecteurs de DW n°6, Greg Stafford, lecteur charitable, écrira que l'article, bien que prévu pour D&D, lui a donné des idées pour sa campagne de Runequest/Heroquest.

Quick Plugs (p. 25 + p. 33)
Quelques annonces de nouvelles parutions, dont Villains & Vigilantes et Snakepipe Hollow. Mais un petit détail est un livre obscur pour D&D baptisé GM1 T.H.E. NPC, un livret de règles pour "générer des choix de PNJ", co-écrit par un certain "L.W. Willis" chez Martian Games (compagnie du Texas). J'imaginais que ce devait être le même que Lynn Willis, qui avait déjà publié plusieurs wargames chez Metagaming (1976-1979) et qui était rédacteur adjoint de Different Worlds mais dans ce cas, il semble étrange de ne pas le dire. Lynn Willis deviendra l'un des principaux auteurs de Chaosium, pour Basic Role-Playing et Call of Cthulhu.

"The Way of the Gamer: A Perspective on Role-Play" Stephen L. Lortz (p. 26-28)
Ces articles de Stephen Lortz dans DW sont parmi les premiers à tenter une "théorisation" du jeu de rôle. Ils ont donc assez mal vieilli mais il faut aussi se souvenir qu'il était alors un pionnier.
Lortz développe ici ce qu'il avait déjà expliqué plus informellement dans l'article My Life & RPGs du n°1. Il se demande pourquoi le jeu de rôle comme "récréation pour adultes" est un phénomène si récent. Il oppose les deux sources du XXe siècle que sont la formalisation du jeu de rôle (dans la thérapie du psychodrame de Jacob Levy Moreno ou dans la sociologie) et les origines ludiques dans le wargame de figurine.
Raymond Corsini dans Roleplaying in Business and Industry (1961) distingue 4 sens au jeu de rôle :
(1) théâtral (suivre un texte prédéterminé), (2) sociologique (le comportement socialement structuré), (3) de dissimulation (tenter de se faire passer pour ce qu'on n'est pas. (4) éducatif (où les participants s'engagent dans un rôle pour en tirer des informations ou une formation ("entraînement à la réalité"). Or dans ce dernier sens, le jeu de rôle n'informe pas seulement sur le rôle "objectif" dans lequel s'insère le joueur mais aussi sur ses propres perspectives "subjectives" s'il était inséré dans un tel rôle.
Le jeu de rôle ludique pour adultes est récent même si les conditions de narration et de jeu étaient présentes depuis longtemps (et si les enfants ont toujours eu des formes de jeu de rôle avant la formalisation de cela). La réponse de Lortz, qui me paraît un peu trop spéculative mais est intéressante, est que ce type de jeu n'a pu apparaître que dans une culture au changement technologique rapide et seulement à partir du moment où le rôle social est suffisamment indéterminé pour qu'on en arrive à interroger sa perspective subjective sur le rôle. Le jeu de rôle serait donc nécessairement moderne en ce sens.
Lortz ajoute ensuite une histoire de toute la métaphysique occidentale d'inspiration vaguement whiteheadienne : la science moderne aurait rompu avec un point de vue absolutiste issu de la théologie et de la vision du monde newtonienne, et nous serions dans un état de crise de nos référentiels qui rendrait possible le jeu de rôle. Nos rôles sociaux se transforment de manière continue assez rapidement pour que cela devienne une nécessité pratique pour les adultes de s'adapter à une récréation dans le changement des rôles et avec un cadre probabiliste tiré de la science moderne. Le jeu de rôle participerait à une vision du monde moderne où le sujet participe essentiellement à la construction de la réalité. C'est assez large pour être difficile à évaluer. Plus directement, je crois que le jeu de rôle dans sa version éducative (qui en un sens est le plus proche du jeu de rôle ludique dans les quatre énumérés) vient surtout d'une thèse du pragmatisme de John Dewey : apprendre, c'est faire, et donc apprendre, c'est aussi simuler.

"HeroQuest Sneak Preview: Waha's Quest" Greg Stafford (p. 29-33)
21 ans (!) avant que Heroquest ne sorte enfin, Greg Stafford donne une des premières explications publiques de ce qu'est une Quête héroïque. Il distingue bien des aventures préliminaires dans le Monde et le passage de l'Autre Côté. Il s'agit ici d'une quête de la culture praxienne où le héros culturel Waha a appris différents secrets liés à l'élevage des bêtes. Le système rest en gros celui de Runequest et il n'y a pas encore de Passions, par exemple. Cette Quête est rééditée dans Book of Drastic Resolutions n°2. Stafford termine en rendant aussi hommage aux tentatives de Quêtes héroïques de Steve Marsh dans le fanzine Wild Hunt.

Different Views p. 34-37
Le courrier des lecteurs est parfois très critique. Comme dans le numéro précédent, beaucoup trouvent que DW devrait parler moins de D&D puisque The Dragon le fait déjà. Ce pauvre Steve Lortz se fait pas mal insulter : on juge ses articles trop abstraits et inutilisables (et c'était avant celui de ce numéro !), Rudy Kraft supplie qu'on arrête la rubrique de Lortz et Greg Costikyan attaque la recension de Legacy par Lortz. Lortz écrira encore dans le n°5 mais ce sera son dernier (l'année suivante, Chaosium publiera encore le wargame parodique de Stephen Lortz, PanzerPranks). Scott Bizar écrit pour répondre à Gigi que lui sait ce que Rose Chun a en commun avec Bizar et Greg Stafford (elle est leur belle-mère à tous les deux).

"A Letter From Gigi" "Gigi D'Arn" (p. 38-39)
Tim Kask (rédacteur en chef de The Dragon, qui atteint 8000 exemplaires) et Ken St André ont tous les deux eu un enfant et Brian J. Blume de TSR vient de se marier. Le premier numéro de Journal of Traveller's Aid Society vient de paraître - Gigi se moque de White Dwarf (qui en est au numéro 14) en disant qu'un tiers des pages sont des publicités mais cela sonne comme de la jalousie pour DW qui commence encore à peine à avoir quelques annonces (en gros seulement Judges Guild, FGU et quelques jeux par correspondance).
Les nouveaux jeux annoncés sont chez FGU Gangsters et Villains & Vigilantes (dont l'un des deux auteurs, Jeff Dee, n'a que 17 ans), plus deux suppléments d'Ed Simbalist pour Chivalry & Sorcery : Arden et Saurians.
Steve Perrin serait chargé par Heritage Models de faire le jeu de rôle sur les Terres du Milieu mentioné la dernière fois (on sait que cela n'a pas eu lieu - l'histoire du jeu de rôle aurait été assez différente si Runequest était devenu le système officiel pour Tolkien à cette époque). Si Heritage avait pu garder à la fois la license Star Trek et celle de Tolkien, ils auraient pu sérieusement concurrencer les autres compagnies de jeu de rôle.

2 commentaires:

JeFF a dit…

ça n'a rien à voir ...
http://www.geeknative.com/52707/a-mostly-accurate-norse-god-family-tree-infographic/

Phersv a dit…

Joli mais c'est dommage de ne pas plus insister sur la différence entre Aesir et Vanir dans l'arbre.