mardi 17 novembre 2015

Comment Daech tient ?


Un très bon article (d'un analyste anonyme) d'août dernier sur le mystère de Daech depuis ses origines il y a 12 ans : comment peut tenir une organisation qui s'aliène peu à peu tous ses alliés (même Al Qaeda et d'autres Sunnites sont à présent en guerre contre leur "takfirisme" virulent), qui restaure l'esclavage, semble se complaire dans son image de brutes monstrueuses aux bornes de toute norme universelle de la morale et dont les cadres ne paraissaient pas venir des élites sunnites ?

C'est une énigme assez effrayante et qui rendrait presque complotiste.

Au passage, l'auteur critique aussi l'idée que notre modèle d'intégration français serait plus susceptible d'attirer les militants. Les analyses récentes de ceux qui partent rejoindre Daech semblent montrer des personnes qui rêveraient plus directement de l'héroïne de la violence (Daech est une sorte de retour à une conception du Léviathan comme pure association de criminels) que de l'opium consolateur d'une secte. Le dogmatisme takfiriste conduit à la guerre civile contre les hérétiques mais la guerre n'est plus un moyen mais une fin en soi. Le fantasme du Grand Califat Réunifié utopique dont rêvent de nombreux jihadistes est remplacé par un Jihad perpétuel, y compris contre tous les autres musulmans jamais assez fidèles.

 "At first, the large number who came from Britain were blamed on the British government having made insufficient effort to assimilate immigrant communities; then France’s were blamed on the government pushing too hard for assimilation. But in truth, these new foreign fighters seemed to sprout from every conceivable political or economic system. They came from very poor countries (Yemen and Afghanistan) and from the wealthiest countries in the world (Norway and Qatar). Analysts who have argued that foreign fighters are created by social exclusion, poverty, or inequality should acknowledge that they emerge as much from the social democracies of Scandinavia as from monarchies (a thousand from Morocco), military states (Egypt), authoritarian democracies (Turkey), and liberal democracies (Canada)."

Olivier Roy nuance un peu cette idée que Daech a brulé les ponts avec tous ses alliés (y compris les Salafistes qui craignent un peu que Daech ne finisse par les discréditer). Mais au-delà des vrais alliés plus ou moins honteux (sans doute dans les pétromonarchies), il y a aussi l'alliance "objective".

Daech n'a pas beaucoup de vrais "amis" mais ses ennemis les trouvent quand même parfois utiles.

La Turquie est contente que Daech affaiblisse les Kurdes, les Kurdes d'Irak (qui se font massacrer autant que les Yézidis) espèrent quand même que Daech affaiblisse Baghdad, les Chiites d'Irak et leur allié iranien profitent de Daech pour ne pas intégrer les Sunnites, Bachar el-Assad et les Russes sont contents que Daech affaiblisse toute opposition respectable à Damas, les Pétromonarchies se disent que leur seul vrai ennemi reste la République iranienne et les Chiites... Daech est son propre ennemi mais son environnement avait créé un équilibre précaire pour permettre cette expansion incroyable.

 La fin de l'article de Roy est plutôt optimiste.

 "The attack against Hezbollah in Beirut, the attack against the Russians in Sharm el Sheikh and the attacks in Paris had the same goal: terror. But just as the execution of the Jordanian pilot sparked patriotism among even the heterogeneous population of Jordan, the attacks in Paris will turn the battle against ISIS into a national cause. ISIS will hit the same wall as Al Qaeda: Globalized terrorism is no more effective, strategically, than conducting aerial bombings without forces on the ground. Much like Al Qaeda, ISIS has no support among the Muslim people living in Europe. It recruits only at the margins."

10 commentaires:

賈尼 a dit…

Le Spiegel a publié le journal (glaçant) d'un Libyen vivant dans une ville « administrée » par Daech : en allemand (http://www.spiegel.de/politik/ausland/islamischer-staat-in-libyen-tagebuch-aus-dem-fegefeuer-a-1045861.html), traduction en catalan (http://www.eltemps.cat/ca/notices/2015/10/el-diari-de-l-estat-islamic-11885.php). Désolé je n'ai pas trouvé en français.

Phersv a dit…

Quand les Talibans étaient au pouvoir vers 2000, qu'ils détruisaient les statues et interdisaient la musique, la danse ou les jeux, on se disait qu'on verrait difficilement pire et même l'Arabie saoudite les attaquait comme rétrogrades. Et depuis, Daech a restauré l'esclavage, n'a pas caché la pratique du viol et des ethnocides contre Chiites, Chrétiens et Yézidis.

Hume dit (contre les théories du Contrat social) que les Etats ne sont fondés que sur des violences qui finissent ensuite par être oubliées pour passer de la conquête à l'autorité traditionnelle. Je me demande si Daech aurait pu un jour se "normaliser" (comme Lévi Strauss se demandait ce que serait devenu le Troisième Reich un siècle après).

Mais il est certain que dans les livres d'histoire, ils passeront pour des Méchants manichéens de bandes dessinées et qu'on aura même du mal à croire à cet anachronisme d'une organisation étatique qui ne sait pas faire semblant de ne pas être la continuation du crime par d'autres moyens.

Elias a dit…

"Je me demande si Daech aurait pu un jour se "normaliser""

Le conditionnel passé témoigne de votre optimisme.

Michel Goya proposait il y a quelques mois une comparaison intéressante avec la Russie bolchevik : une entité politique qui n'a originellement que des ennemis mais qui finit par être reconnue de fait.
http://lavoiedelepee.blogspot.fr/2015/07/detruire-daech-ou-laisser-vivre-letat.html

Les attentats que Daech commandite hors de son territoire rendent, je suppose, ce scénario moins probable.

Phersv a dit…

Non, je n'exclus pas que Daech puisse durer (du moins comme organisation criminelle). Leur volonté d'être un grand territoire ne peut fonctionner car elle demanderait d'abandonner les stratégies asymétriques qui sont à leur avantage (même s'ils y ont aussi un intérêt économique en rackettant les ressources).

Phersv a dit…

Daech comme un Repaire de Pirates, hybride de la politique et de la prédation.

Unknown a dit…

C'est le début de la troisieme guerre mondiale! Le conflit entre l'Occident et le perfide Moyen Orient!

Phersv a dit…

Ivresse ou troll ?

En l'occurrence, c'est surtout un conflit interne au Moyen-Orient (même s'il est traversé des interêts occidentaux).

Anonyme a dit…

S'il s'agit d'un conflit au Moyen Orient, il vaudrait mieux les laisser entre eux. Le pire, ce serait une armée islamique déferlant sur l'Occident.

Je a dit…

"C'est une énigme assez effrayante et qui rendrait presque complotiste.".

Mais qu'attendez-vous pour franchir enfin le dernier pas ?!
Plus c'est gros et plus ça passe, dit-on.

Des noms ? Arabie Saoudite, Qatar ... D'autres noms ? Leurs partenaires économiques : Etats-Unis d'Amérique et leurs alliés : Royaume-Uni, France, ...

Poutine posait la question dernièrement : Pourquoi l'OTAN continue-t-il à exister alors que le Pacte de Varsovie n'existe plus ? Et pourquoi l'OTAN s'étent-il ?

Même Star Wars a repris l'idée : quand on n'a plus d'ennemi à combattre, on s'en invente un et on légitime la surenchère aux armements.

A eux seuls, les Etats-Unis d'Amérique dépensent plus de 40% du budget mondial pour la défense (près de 700 milliards de $). La France arrive 3ème avec moins d'un dixième de cette somme colossale. Et nous sommes dans l'OTAN, donc sous contrôle américain.

Je a dit…

Interne au Moyen-Orient ?!

Mais qui a détruit l'Irak, la Lybie et attaque aujourd'hui la Syrie ? Qui a étouffé la naissance de la démocratie dans les années 1950 ?

Un rappel historique s'impose : http://justemonopinion-jeronimo.blogspot.com/2015/04/die-anstalt-la-lutte-contre-le.html