samedi 24 janvier 2015

[JDR] Les Six Eglises d'Empire Galactique


Jéronimo m'a demandé de parler des religions du jeu de rôle français Empire Galactique. Je n'ai hélas pas d'expérience en termes de jeu de ce point de background (ce n'est qu'en jouant qu'on commence à saisir si cela marche bien) mais comme je m'intéresse aux mythologies, cette création montre comment un jeu peut organiser un système fictif ou ici une théologie imaginaire (comme si elles ne l'étaient pas toutes).

La première édition n'avait pas vraiment développé sa classe des Prêtres et on savait seulement qu'ils étaient en gros des praticiens de pouvoirs Psioniques (je crois qu'on avait déjà mentionné le nom de "l'Eglise de la Conscience Universelle"). L'inspiration devait venir à peu près d'ordres de Dune de Frank Herbert comme les Bene Gesserit, ou les cultes dans les bd de Jodorowsky sur l'Incal mais en une version plus "bénigne" et peu détaillée (et chez Jodorowsky, les Technos étaient une Eglise nihiliste, pas seulement un mouvement technocratique).

Dans l'Encyclopédie Galactique vol. 2 (1987), p. 69-71, le regretté François Nédélec (1954-2009) s'adonne à son esprit très systématique qui aime créer des combinaisons "symboliques" (comme dans son autre jeu Avant Charlemagne). J'imagine que ce doit être lui l'auteur de ce chapitre, plus que l'un de ses co-auteurs comme les Rodriguez ou Pierre Zaplotny, même si je n'ai pas de preuve directe. [Par la suite, une des dernières contributions de Nédélec au jeu de rôle fut sur le jeu des Métabarons d'après Jodorowsky.]

L'idée était de créer des cultes pour tout l'Univers et contrairement à Frank Herbert, Nédélec choisit de ne pas simplement faire d'extensions ou transformations des religions terrestres (comme les exilés Frémens qui sont censés être en gros des Musulmans Sunnites messianistes influencés par le Bouddhisme Zen, en lutte contre l'Oecuménisme syncrétique plus ou moins Néo-Catholique de l'Imperium), mais de créer des religions nouvelles sans rapport direct.

Il part d'une combinatoire de 3 Axes : le Beau (Désir, esthétique), le Vrai (Connaissance, épistémologie), le Bien (Action, éthique). Ce sont certains de ce qu'on appelait au Moyen-Âge les Transcendantaux (on y ajoutait l'Un, notamment). Dans la philosophie néo-platonicienne, tout ce qui est participe des Formes ou Idées mais l'Idée du Bien et l'Un seraient donc au-delà des Formes elles-mêmes, au-delà de toute essence des étants (car dans cette conception, ce qui est, "l'étant" est "bon" dans la mesure où l'être est mieux que le néant, donc le Bien lui-même ne peut pas être un étant).

Il ajoute à ces 3 Axes les 4 éléments traditionnels de la pensée grecque d'Empédocle et Aristote (ou des catégories bachelardiennes de l'Imaginaire) : l'Air, la Terre, le Feu et l'Eau.

Cela devrait donc donner 12 Eglises mais il réduit celà à 6 (le jeu est toujours fondé sur ce nombre quasi-mystique, tout va par six et Avant Charlemagne développa encore ces hexalogies). Il déroule même ces six mouvements dans un ordre qu'il prétend chronologique, comme si c'était une sorte de processus entre notre XXe siècle et le centième siècle d'Empire Galactique. Chaque courant est à chaque fois espacé d'environ vingt siècles comme une sorte de cycles d'éons ou de stades de conscience).

1 Air + Beau : des hédonistes individualistes assez dionysiaques. La religion la plus ancienne, qui doit représenter notre état actuel après la mort de Dieu.
2 Terre + Vrai : des adorateurs de la Grande Déesse (et donc de la Shakti) assez militaristes
3 Feu + Bien : des Juges intransigeants, intègres et inquisitoriaux mais aussi des arbitres des questions commerciales (Prêtres-Marchands)
4 Eau + Beau : des immoralistes extatiques qui atteignent l'illumination dans la transgression des règles éthiques (comme certains Gnostiques antinomiens), et prétendent dépasser la Conscience vers les profondeurs obscures de l'Inconscient. Une version bien plus ambiguë que les artistes du 1er mouvement (et il existe des courants criminels qui feraient penser à une sorte de satanisme), et clairement opposés aux juges du 3e mouvement.
5 Air + Vrai : des idéalistes qui luttent pour l'égalité de tout être conscient. Pacifistes et même presque quiétistes, ce qui les opposerait donc aux gardiens du 2e mouvement et même un peu aux juges du 3e mouvement. Courant dominant dans le présent.
6 Terre + Bien : la description de ce nouveau courant semble représenter (ce qui est assez original en 1987) une sorte de transhumanisme scientiste qui stockerait l'information et préserverait l'être sous une nouvelle forme éternelle. Cela les opposerait aux spiritualistes du 5e mouvement.

Les nom de ces six mouvements dans cet ordre sont :
- Liberté Cosmique
- Fils de l'Homme
- Glorieuse Volonté
- Lumière intérieure
- Conscience Universelle
- Connaissance Totale.

Si on était dans D&D, on pourrait aussi s'amuser à voir des correspondances avec le tableau des 9 alignements moraux, car Nédélec semble relier plus ou moins le pôle du Beau avec celui du Chaos (en tout cas pour Air+Beau et Eau+Beau). 1 est clairement chaotique (bon ? neutre ?), 2 doit être neutre ou loyal, 3 est loyal neutre, 4 est chaotique (mauvais pour la secte de la Vertu Démoniaque ou neutre), 5 est loyal bon ou neutre bon, 6 doit être neutre absolu.

 Le cycle des 4 éléments semble impliquer que les 6 moments futurs seraient donc :
7 Feu + Beau
8 Eau + Vrai
9 Air + Bien
10 Terre + Beau
11 Feu + Vrai
12 Eau + Bien

On peut laisser en exercice ce que donneraient ces schémas et leurs polarités avec les six précédents. :)

Le problème d'une telle organisation des Six Eglises est aussi sa force : cet ordre suggère une sorte de "logique objective", comme dirait Hegel, qui dépasserait des contenus de chacune de ces visions du monde, chacune n'étant donc qu'un fragment incomplet de ces 12 moments.

Parfois, je trouve cela un peu arbitraire. La Connaissance totale (6e mouvement) me paraît plus lié au Vrai et la Grande Déesse (2e mouvement) me paraît plus liée au Bien mais ce n'est pas très clair.

Et on peut trouver que les Quatre Eléments alchimiques peuvent détonner dans un jeu de science-fiction si on ne veut pas trop suivre le New Age jungien à la Jodorowsky.

On pourrait alors utiliser plutôt une traduction plus pseudo-science-fictionnesque, comme celle qu'utilisait Mystara, où au lieu de Air, Terre, Feu, Eau, on avait Pensée, Matière, Energie, Temps (avec l'Entropie comme cinquième domaine). Mais on pourrait objecter que la distinction Matière-Energie ou Energie-Entropie peut être discutable, même dans un cadre pseudo-scientifique (on pourrait faire Pensée, Energie, Espace-Temps, Vide ?).

Il est aussi dommage de ne pas relier plus précisément les Eglises avec la question cosmologique du "Triche-Lumière" (qui semble invalider dans le jeu une conception matérialiste étroite puisque seuls des êtres conscients, et non des sensors ou des machines peuvent accéder à des informations dans cette dimension).

Alternity Star*Drive avait fait cela en créant une Eglise (Orlamu) qui adorait l'Hyperespace et reliait en fait les deux anomalies dans les lois physiques, le Psi et les Tachyons (Warhammer 40K fait cela aussi mais de manière plus négative en reliant l'Hyperespace et la Magie au Chaos).

vendredi 23 janvier 2015

Dynastie des Saoud


J'imagine que des articles de journaux expliqueront cela avec de meilleurs schémas mais comme je n'en trouve pas, je voulais saisir à nouveau la dynastie des Saoud qui a réussi à convaincre les géographes de donner son nom de famille à son pays (seul cas sans doute sur la planète).
Il n'y a eu depuis un siècle en Arabie Saoudite que deux générations au pouvoir (même si cela représente littéralement des milliers de membres de la famille élargie).

1 Ibn Saoud
On a d'abord le fondateur Abdulaziz Ibn Saoud (1876-1953), père de tous les six Rois qui ont régné sur la péninsule arabe depuis 1953, avec à chaque fois une douzaine d'années de règne :
  Saoud (1953-1964, renversé)
  Faisal (1964-1975, assassiné)
  Khalid (1975-1982)
  Fahd (1982-2005 mais il n'avait plus le pouvoir réel depuis 1995)
  Abdullah (2005-2015)
  Salman

Sur ces six Rois, il n'y en a que deux qui ont la même mère, Fahd et, depuis ce matin, Salman.

Au début, les Saoud ne règnent pas du tout sur la région critique de la côte ouest (la "Barrière", le Hedjaz) où se trouvent les deux villes saintes de la Mecque et Médine, ou la ville de Djeddah.

Le village des Saoud s'appelle "Les Jardins" (ar-Riyāḍ), plus au centre du désert dans le Haut-Plateau (Najd), et la dynastie n'avait guère été puissante, malgré toute son alliance avec un groupe réligieux de réforme fondamentaliste, les Wahabhites depuis le XVIIIe siècle. Les Ottomans les avaient écrasés plusieurs fois et quand Abdulaziz ibn Saoud est jeune, le royaume ennemi des Al-Rashid (tribu de Shammar, Emirat de la cité de Ha'il au nord de Riyadh) conquiert leur territoire. Il n'avait alors guère qu'une centaine de guerriers et vivra en exil sur la côte orientale, sur les rives du Golfe persique, de ses 15 ans à ses 25 ans en 1902 quand il reprend Riyadh aux Al-Rashid.

Les Britanniques ne soutiennent pas au début les Saoud et préfèrent la famille des Hachémites qui va contrôler les Lieux Saints et le Hedjaz (ils donneront ensuite les Rois d'Irak et encore actuellement la monarchie de Jordanie).

Mais avec la Grande Guerre, comme les Ottomans sont plutôt aux côtés des Al-Rashid, les Britanniques vont commencer à augmenter le soutien aux Saoud. C'est la période où Ibn Saoud commence à mêler ses forces militaires avec une première alliance de Bédouins jihadistes wahabhites, la Confrérie (Ikhwan, nom qu'on retrouvera vingt ans plus tard aussi chez les Frères musulmans égyptiens).

Tout va basculer après la Grande Guerre. Saoud élimine d'abord ses ennemis jurés, les Al-Rashid, en 1922, et épouse une de leurs princesses (parmi leur fils, il y aura le futur Roi Abdallah qui vient de mourir). Ils finissent par vaincre les Rois Hachémites quelques années plus tard et les Hachémites, Gardiens des Lieux Saints, vont être chassés de tout le Hedjaz. Les Bédouins du Najd ont conquis la côte de la Mer rouge et les Britaniques laissent tomber leurs alliés hachémites et signent un traité avec les Saoud. Ce gain n'est donc pas que territorial : les Saoud ont acquis une légitimité nouvelle en tant que nouveaux Gardiens des Deux Mosquées et la partie de l'Arabie qu'ils ont conquise va prendre leur nom tribal.

La Confrérie des Bédouins se rebelle alors dans les années 1930 contre le Roi car elle veut continuer sa guerre sainte vers l'Irak sous protection britannique, et ses razzias lucratives contre les côtes et les protectorats des Infidèles. Ibn Saoud est soupçonné d'être trop "moderniste" sur certains aspects dans son alliance avec les Grandes Puissances Occidentales, et il massacre la Confrérie après plusieurs batailles. C'est la première fois que les Rois Saoud vont découvrir que le militantisme religieux qu'ils protègent peut très bien se retourner contre eux. C'est une leçon qui reviendra souvent comme signe de la fragilité de leur despotisme prêt à bien des compromis économiques, en tension avec leur idéologie théocratique du Wahabhisme.

Mais c'est alors que va commencer une sorte de "miracle" géologique et même géopolitique les plus importants de tout le XXe siècle. Toute l'économie industrielle de la planète va devenir dépendante des progrès dans la production énergétique (et cela est encore loin d'être fini) et l'Arabie sous la tutelle des Saoud va découvrir avec la Standard Oil américaine d'immenses gisements pétroliers sur la côte orientale en 1938 (mais en réalité la vraie exploitation exportatrice ne commencera qu'en 1949). Dès lors, l'alliance britannique décline au profit des Américains (les Britanniques tenteront de demeurer plus influents en Perse).

Il est rare de voir une telle accélération de l'Histoire. Les Bédouins du Najd d'un pays quasi-désertique et peu développé vont devenir en une seule génération un "acteur" global, l'un des alliés principaux des USA et ils vont voir affluer des fortunes qu'ils vont utiliser pour exporter leurs interprétations fondamentalistes dans tous les pays musulmans, transformant à la fois les mentalités de nombreux Musulmans (même certains qui sont critiques contre le salafisme) et l'image même de l'Islam. Pendant que l'Europe s'autodétruit après la Crise économique et les dictatures militaristes, un pays qui n'avait que 2 millions d'habitants à sa fondation va monter jusqu'à environ 30 millions aujourd'hui (dont un tiers d'immigrés), les nomades vont se sédentariser très rapidement dans d'immenses cités modernes et son PIB va exploser.

Ibn Saoud a réussi à se débarrasser de son père et de ses frères trop remuants, par la guerre. Il aurait eu au moins 36 Princes (qui auraient survécu). Les futurs Rois sont tous nés dans les périodes des guerres d'unification, de 1902, naissance de Saoud, à 1935, naissance de l'actuel Salman).

2 Saoud (1953-1964)
Le premier héritier de Abdulaziz va être le seul à finir détrôné pour ses excès financiers alors que son Royaume court à la ruine. On lui reproche par exemple la construction d'un énorme palais luxueux au moment où le trésor public est encore prêt de la banqueroute.

Alors qu'il avait soutenu les Frères musulmans égyptiens contre Nasser et que Nasser avait soutenu un mouvement dit des "Jeunes Princes Libéraux" (certains de ses frères qui voulaient le renverser), le Roi Saoud finira exilé en 1964 et ira avec sa centaine d'enfants déshérités réclamer le trône en exil en Egypte et ailleurs jusqu'à sa mort en 1969.

3 Faisal (1964-1975)
C'est plus Faisal (né en 1906) que son demi-frère Saoud qui va stabiliser le Royaume saoudite et connaître son essor économique des années 1960 jusqu'au Choc Pétrolier.

Il était son Premier ministre (c'est lui qui abolit l'esclavage en 1962) et il renverse Saoud en 1964 pendant qu'il est à l'étranger. Les finances vont s'améliorer et le rôle de l'Arabie Saoudite comme soutien à des doctrines pan-islamiques va se développer. L'obsession de Faisal est que son Royaume ne termine pas comme tant d'autres (Egypte, Irak, Libye...) sous un coup d'Etat militaire et il va réussir à assurer le contrôle par sa famille de l'Armée. Mais il doit lutter aussi contre les critiques croissantes de certains prêtres et ulémas contre son régime.

Une réforme technique comme la mise en place de la Télévision en 1966 va conduire à des émeutes de fanatiques et un de ses neveux va même y participer et y trouver la mort. Neuf années plus tard, un jeune frère de ce neveu assassine le Roi Faisal, peut-être par vengeance ou folie. Le Pakistan reçut tellement d'argent saoudien qu'ils rebaptisèrent peu après une de leurs grandes villes "Faisalabad".

4 Khalid (1975-1982)
Khalid, né en 1913, demi-frère de Faisal, continua sa politique mais peut-être à cause des circonstances de l'assassinat de son prédécesseur, il devint aussi plus dépendant du soutien des Princes Royaux, et notamment Fahd, Premier ministre, et Abdallah, qui dirigeait les services de sécurité de la Garde royale. Il autorisa l'exécution de sa jeune petite nièce en 1977 pour adultère. Des attentats islamistes commencèrent à se développer contre la dynastie, comme la prise en 1979 de la Grande Mosquée de la Mecque par un groupe de 600 Frères traditionalistes qui disent qu'ils ont vu arriver la figure messianique du Mahdi. Ils se font exterminer mais cela conduit le régime à une intensification de la surveillance religieuse de la vie quotidienne - mais la Police religieuse de la Vertu et du Vice (hay'ah, muṭawwiʿīn), existe depuis le règne d'Ibn Saoud.

5 Fahd (1982-2005)
Fahd était né en 1921 et il était l'aîné des "Sept Sudairi", les sept princes considérés comme les plus puissants dans le gouvernement de la dynastie. La mère d'Abdulaziz ibn Saoud était déjà une membre de la Tribu des Sudairi, vieux alliés des Saoud, et il avait aussi épousé une Sudairi, qu'il avait d'ailleurs enlevée à l'un de ses frères. Elle fut l'une de ses épouses favorites et lui avait donné sept fils : Fahd, Sultan, Abdul Rahman, Nayef, Turki, Salman et Ahmed. Fahd avait été le Ministre de l'Intérieur sous le règne de Faisal et Premier ministre sous Khalid. Faisal mena une politique où il lutta à la fois contre ceux qui tentaient de moderniser le régime et contre les Islamistes qui commencèrent à l'attaquer violemment après la (Première) Guerre d'Irak, quand il accepta des troupes américaines sur le territoire. A partir de 1995, il eut une attaque et son demi-frère Abdallah commença à exercer le pouvoir, même s'il ne régna officiellement qu'à partir de 2005.

6 Abdullah (2005-2015)
Abdallah était né en 1924 et sa mère était une princesse liée plutôt à la famille ennemie des al-Rashid. Son rôle de Prince aurait pu être assez mineur à cause de ce lignage mais quand il devint chef de la sécurité, son importance grandit. Son règne est marqué par la Seconde Guerre d'Irak, la déstabilisation de toute la région, la montée du pouvoir iranien, l'effritement de l'alliance solide avec les USA (surtout sous Obama), le regain de terrorisme islamiste, le Printemps arabe qui menaça jusqu'à certaines monarchies voisines comme le Bahreïn ou le Yémen. Malgré son long règne, il ne semble pas avoir réussi à marquer des réformes. Abdallah nomma comme héritiers Sultan, 2e des Sept Princes Sudairis, puis Nayef, 4e des Sept (en sautant donc la position du 3e, Abdul Rahman, qui exprime son mécontentement en vain) mais Sultan et Nayef moururent tous les deux avant Abdallah.

7 Salman (depuis aujourd'hui)

Salman, né en 1935 (il a 79 ans, 3 ans de moins que Jacques Chirac), est donc un des frères de Fahd, le sixième des Sept Sudairi et son arrivée au pouvoir comme 7e Roi est un compromis entre sa branche si influente et le Roi Abdallah (de nombreux autres Princes auraient pu prétendre à un droit d'aînesse si la coutume n'était pas devenue que le Conseil des Princes choisit l'héritier indépendamment de l'ordre). Il était le Ministre de la Défense et il est considéré comme un "arbitre" dans les différends politiques entre les 4000 Princes de la dynastie. Une rumeur dit qu'il est déjà malade et assez faible.

Le nouveau Prince héritier est désormais un autre demi-frère de Salman, Muqrin ou Moqran (né en 1945 d'une épouse yéménite d'Abdulaziz). Il a dix ans de moins que Salman, ce qui fait qu'il serait le dernier des "gérontocrates" selon Jean-Pierre Perrin. Si Salman a vraiment des traces de démence sénile, Moqran va exercer le pouvoir assez vite.

Il est difficile d'imaginer que le Roi actuel d'Arabie avait un père qui est né sous la Reine Victoria ou le Président MacMahon. Le père d'Elizabeth II, George VI, était né 20 ans après Abdulaziz ibn Saoud mais il mourut à peu près à la même période que le fondateur saoudite (c'était d'ailleurs le Prince Fahd qui était présent au couronnement d'Elizabeth).

Voir aussi sur ce blog L'Héritier secret d'Oman (et comment bien distinguer les Pétromonarchies du Golfe), et Les réformes d'Abdullah

lundi 19 janvier 2015

Calidar


Calidar: in Stranger Skies est le nom du nouveau supplément (132 pages) de Bruce Heard, un des principaux créateurs de Mystara. Comme Mystara est restée la propriété de Wizards of the Coast, ce nouvel univers de Calidar permet à Bruce Heard de continuer à développer ses propres arrières-fonds si détaillés sans craindre que cela ne soit ensuite renié par le cadre "officiel".

Sur Calidar, on a du Pétrole mais on a aussi des Esprits

Calidar est le nom d'un continent en forme d'immense caldeira. L'ambiance générale est une sorte de fantasy spatiale comme dans le module M1, dans Princess Ark ou Spelljammer. Le fait que Calidar appartienne à un système solaire (décrit comme "l'Ephéméride" des positions) n'est pas qu'un décor mais est un trait essentiel de la cosmologie.

L'univers de Mystara avait un de ses Grands Secrets sur la Source de la Magie, et la Côte sauvage de Mystara (Red Steel) avait introduit un élément rare comme nouvelle source d'une Magie exotique mais ici un des thèmes est tout un "écosystème" magique.

En effet, chaque planète, chaque lune et le soleil de ce système possède sa propre "Âme du Monde" avec sa propre source de Magie et un lien avec l'eschatologie et la mythologie.

Calidar a ainsi une sorte d'Hypothèse Gaïa où l'Âme du Monde tend à protéger sa nature en intervenant contre toute altération profonde de l'état naturel. Le processus de Civilisation ou d'exploration coloniale s'est donc fait contre ces zones hantées par des contre-coups des esprits de l'Âme du Monde, les "Terres de Terreur" (Dreadlands) où la Nature peut se défendre contre la Culture.

Ces effets et fantômes jouent un rôle essentiel puisque certains spectres maudits sont prisonniers d'une substance matérielle présente comme "sang du monde", le seitha, le "pétrole" magique qui permet, après combustion, de faire fonctionner les Nefs volantes (mais en libérant donc des spectres hostiles comme "pollution" de l'environnement).

C'est un peu la ruée vers l'Or noir de ce sang du monde car Calidar est un "Nouveau" Monde colonisé par ses trois Lunes, et qui vient à peine d'obtenir son indépendance depuis quelques siècles. Les principaux gisements disponibles sont maintenant sur Calidar comme les Lunes ont épuisé leurs ressources et que le reste du Monde est encore dans des Terres de Terreur. Le Vol spatial est donc à la fois la cause et le but de l'exploitation de ce Nouveau Monde.

Chacune des trois Lunes avait sa propre espèce (Humains, Elfes, Nains) et l'espèce autochtone de Calidar ressemblerait plus à des sortes de Halflings sauvages et animistes nommés les Déchus (Fellfolks). Il y a d'autres planètes d'où viennent les autres espèces majeures : Dragons (qui viennent d'une planète creuse), Goblinoïdes (qui viennent d'un astre errant dirigé par de Grands Anciens), Félins et Canidés plus quelques autres astres dont une Barsoom plus orientale.

Cartographie
Thorfinn Tait a commencé comme cartographe amateur sur Mystara mais ses réalisations me semblent meilleures et plus détaillées que celles qu'on trouve dans la plupart des produits professionnels.



Calidar a dix territoires principaux. Le Royaume par défaut tout au sud du Caldeira de Calidar est l'archipel de Meryath, une "hérocratie" qui ressemble un peu à un mélange de Polynésie et de pays féodal de fantasy avec une hiérarchie de Tueurs de Dragons.

Si on suit l'ordre des aiguilles d'une montre, Meryath est lié à l'Empire d'Ellyrion au sud-ouest du cratère (Byzance), qui a imposé une religion "monolâtre" de l'Âme du Soleil, Teos.
A l'ouest du cratère se trouvent les forêts elfiques d'Alfdaín,
Au nord-ouest, c'est la République de Belledor qui abrite encore beaucoup des autochtones Déchus ainsi que des Gnomes persécutés par les Nains et les Elfes.
Au nord, c'est le Nordheim avec ses Vikings (et ses Ours-Garous), puis au nord-est, la Magiocratie de Caldwen et ses nécromanciens.
A l'est, c'est la République ploutocratique d'Osriel. Au sud-est, ce sont les étendues désertiques de Narwan, avec d'autres monothéistes qui tiennent plus du Proche-Orient (et qui adore aussi un autre aspect du même dieu solaire unique).
Enfin, au centre de tout ce grand atoll se trouve les Monts des Nains d'Araldûr et une théocratie demi-elfe dirigée par les Oracles ("Sémocratie", pouvoir des présages et des devins) de Phrydias.



En très gros, cela peut faire d'abord penser à des analogies mystariennes. Alfdaín serait Alfheim, Araldûr serait Rockhome, la magiocratie de Caldwen serait les principautés de Glantri, Ellyrion serait Thyatis, Narwan l'Emirat d'Ylaruam, Nordheim les Northern Reaches, Osriel Darokin (avec quelques touches de Glantri aussi). Le Royaume de Meryath comme cadre conventionnel de départ tient plus de l'archipel d'Ierendi que de Karameikos.

Les planètes avec des Canidés et des Félidés font aussi penser à des Royaumes de l'ouest de Mystara. Les armées draconiques joueraient un peu le rôle des Chevaliers Heldanniques et de leurs Nefs volantes. Je ne vois en revanche pas d'analogues clairs pour la République de Belledor (Five Shires ?) et Phrydias. Je suis un peu surpris qu'il n'y ait pas vraiment d'équivalent des Broken Lands si ce n'est sur une autre planète qui peut venir frôler l'orbite quand le MJ le désire.

Pourquoi des Aventuriers ?

Une des questions que posent les mondes de jeu de rôle est de justifier l'existence d'Aventuriers comme un des groupes de personnages les plus courants pour les joueurs. Dans un univers proche de nos conceptions d'une réalité, l'Aventurier serait soit très rare, soit un simple brigand ou mercenaire peu héroïque. [J'avais bien aimé la solution imaginée par exemple par Gargentihr avec son organisation de Chevaliers Errants / Explorateurs / Illuminati.]

Mais Calidar a une explication interne pour le Royaume de Meryath qui adore comme divinité principale une protectrice des Aventuriers. Un des effets magiques créés par une notoriété légendaire - si on est assez chanté par des Bardes - est d'arrêter le viellissement. [Pour les fans de Glorantha, cela reviendrait à imaginer que les Brithini aient une caste d'Aventuriers puisque les commandements de chaque caste rendent immortels si on les suit bien.]

Woody Allen était connu pour avoir dit "I don't want to achieve immortality through my work; I want to achieve immortality through not dying", et la solution du jeu relie donc immortalité métaphorique par la mémoire et la Gloire et une (relative) immortalité ou du moins une longévité accrue des Héros. Il faut que cette notoriété soit positive et elle ne peut pas être obtenue non plus simplement par des actes de philanthropie, il faut une part d'exploration du Mystère et de l'Inconnu. Oh, et il faut aussi occire du Dragon, on ne sait pas pourquoi le dracocide a l'air particulièrement efficace pour ne pas vieillir, ce qui doit créer des vocations malgré les risques (bien que Meryath soit désormais vidée de la plupart de ses Dragons). Les Héros courent certes plus de périls que la normal mais ils ont aussi des chances de connaître une forme de canonisation ou d'apothéose de leur vivant, et le Royaume de Meryath donne même des avantages politiques pour cette nouvelle aristocratie de Héros quasi-immortels.

Pour en savoir plus, le blog de Bruce Heard explore en ce moment les différents panthéons des Colonies de Calidar et il y a aussi un forum sur The Piazza.

dimanche 18 janvier 2015

L'empathie et le sentiment du sacré


Quand certains comparent les massacres des 7-9/01 à un 11/09, ils veulent parfois dire que l'esprit (de dérision) serait l'équivalent pour la France du Mammon du Capitalisme qu'était le World Trade Center et que donc la castration symbolique serait similaire (même si les seuils sont différents, 3000 morts, même peu connus, doivent plus terrifier qu'une vingtaine, dont certains illustres). Quand on se rappelle la période de 2001-2002 dans le New York Times, on avait l'impression que des névroses peuvent être collectives et qu'une grande partie des Américains avaient semblé presque perdre la raison (comme Andrew Sullivan disant que toute critique de la guerre ne venait que d'une Cinquième Colonne travaillant pour Al Qaeda). Nous avons le même risque d'hystérie de tous les côtés (montée des agressions judéophobes et islamophobes, affirmations que ce contexte islamophobe justifierait ensuite une nouvelle limitation de la liberté d'expression par simple maxime de prudence, affirmations maximalistes en retour chez un prof qu'il faudrait donc obliger tout le monde à voir les caricatures).

Nous voyons d'autres analogies entre ces deux dates, comme immédiatement le complotisme des Truthers - la comparaison avec le 11 Septembre n'a pas du tout la même connotation quand elle est utilisée par l'extrême droite, les dieudonnistes et certains islamistes.

Je ne sais pas si c'est général mais j'ai l'impression qu'on reçoit moins de courriers directs comme si les esprits étaient ailleurs. Le SAMU racontait même qu'ils avaient eu une suspension irréelle de tout appel pendant quelques temps, ce qui ne leur arrivait jamais pour d'autres faits d'actualité en dehors du 11 septembre 2001. Je vois à l'inverse de nombreux amis placarder sans cesse sur des réseaux sociaux alors qu'ils n'y allaient jamais comme s'ils avaient besoin d'exorciser un malaise par la communication ou un peu de lien social.

Et bien que j'aie été contaminé par le même désir sur Facebook par mimétisme, j'interromps un blog de divertissement pour répéter les mêmes perplexités désordonnées comme si j'avais honte de revenir à la normalité, comme s'il y avait un devoir "sacré" de deuil et de gravité (ce qui est une des nombreuses contradictions sur cette affaire concernant l'humour et le sarcasme).

Elias a fait plusieurs contrefactuels et je prends dans la plupart des cas l'interprétation assez "pessimiste" que non, il y a eu une part de contingence dans l'évaluation de nos jugements ou de "(mal)chance morale" au sens de Bernard Williams (pour qui le rôle du hasard doit prouver que nos jugements moraux sur la responsabilité sont souvent très dépendants de circonstances particulières).

Par exemple, si les auteurs avaient survécu (2e contrefactuel, cas de la chance) et surtout si Cabu avait survécu ou que le massacre eût été quantitativement différent (1er contrefactuel), la réaction hostile ou méprisante à leur égard aurait été plus immédiate alors qu'elle n'apparaît que maintenant (comme dans les propos de Delfeil de Ton qui reproche à Charb son imprudence ou son puritanisme laïc, ou les propos du Pape François qui ont poussé les Jésuites à retirer les caricatures anti-chrétiennes qu'ils avaient affichées sur la revue des Etudes).

Les indignations morales sont censées ne pas dépendre de la quantité ou de la distance mais ces contrefactuels rappellent que ce n'est pas le cas. Il y a des seuils assez confus qui expliquent la réaction de la semaine dernière dont on perçoit déjà qu'elle est en train de se dissiper derrière le retour de nos scissions antérieures.

J'aimerais prétendre que j'ai manifesté pour un "Principe", comme le Principe de la Liberté d'expression, mais je dois reconnaître à l'argument souvent utilisé aussi par la droite contre les "Bobos De Gauche Bien-Pensants" que je ne serais pas allé manifester pour la plupart des provocateurs ou trolls avec lesquels on compare Charlie Hebdo.

Non, (selon le 4e contrefactuel des questions d'Elias ci-dessus) je ne serais pas sorti pour Minute, pour Zemmour ou pour Dieudonné, et (pour ajouter l'argument de la distance en plus de la qualité), je n'ai pas manifesté pour Theo Van Gogh. J'ai un peu de honte de le reconnaître, bien que du pur point de vue du Principe de la liberté d'expression la situation aurait été assez proche.

Je ne serais pas allé jusqu'à dire "Tant mieux" mais j'aurais simplement manqué d'empathie en hôchant les épaules, ce qui serait revenu à peu près au même qu'une lâche acceptation. Il est clair que la qualité consensuelle d'un Cabu, ou la vieille réputation de Wolinski, malgré toutes les provocations jouait un rôle (ou dans mon cas, le fait que je lisais Charlie Hebdo et étais globalement d'accord avec leurs positions même quand ils ne me faisaient pas rire). Charb était à peu près communiste, Wolinski l'avait été (même si son hédonisme se distinguait des exigences de Charb, bien plus intellectuel dans ses éditoriaux), Bernard Maris était un écologiste de gauche et la gauche savait bien que c'était en partie elle et pas n'importe quelle liberté d'expression qui avait été atteinte (même si Laurent Joffrin a été grotesque en laissant entendre le lendemain de l'attentat que les islamistes laissaient intentionnellement vivre des opposants d'extrême droite en ressentant inconsciemment plus de connivence secrète avec d'autres diviseurs qui pouvaient être leurs alliés objectifs).

J'ai vu des manifestantes voilées le dimanche 11 janvier qui avaient une affiche "Oui à la liberté d'expression MAIS dans le respect" et je redoutais que ce "Mais" ouvre la voie à bien des ambiguïtés (d'où l'idée de bien séparer respect des droits des personnes et absence de respect pour des opinions ou bien absence d'estime de principe pour des personnes publiques ou mythiques qu'on peut brocarder ou "charger" - étymologie de "caricature").

Mais en un sens, quelles que soient mes propres passions anti-religieuses, j'admirais surtout ces religieux de mettre la question de Principe au-dessus de toute question de sympathie puisque je savais que c'était infiniment plus facile pour moi qui ressentais une émotion immédiate.

Nous tentons à présent d'expliquer - mais en grande partie en vain - à nos élèves rendus très libertaires ou bien aux Américains, qu'on peut distinguer la satire "obscurantophobe" de Charlie et les appels judéophobes de Dieudonné. Le discours dominant restera que nous ne serions que des hypocrites qui font deux poids deux mesures et la distinction paraît trop difficile ou relative pour être admise par ceux qui ne la soutiennent pas d'emblée.

Le philosophe britannique Brian Klug ironisait sur les manifestants qui croient être du côté d'un "Principe sacré que Rien ne serait sacré", alors qu'ils se contrediraient pour la plupart si on faisait une série de sketchs de profanation des victimes. J'imagine que son but est de dire que nous nous illusionnons alors en croyant être si peu susceptibles ou si tolérants (même s'il se trompe en partie, certains dessinateurs ont tenté ensuite de faire des plaisanteries plus ou moins heureuses ou de bon goût sur le sujet en disant reprendre l'esprit de Charlie).

Pour tenter une autre "expérience" et se mettre à la place du choc que semblent éprouver d'autres cultures sur le sacré, on peut aller voir le concours de cartoons négationnistes sur l'Holocauste organisés par un journal iranien en 2006 (théoriquement en "réponse" aux cartoons sur le Prophète alors que les caricatures étaient danoises ou françaises, pas particulièrement juives, israéliennes ou allemandes). La plupart des cartoons qui ont gagné la compétition minimisent le génocide des juifs d'Europe par rapport aux violences en Palestine et il y a quelques dessins clairement négationnistes ou bien (ce n'est pas parmi les gagnants) de la provocation profanatrice sur Anne Frank qui réussit à mettre mal à l'aise. L'enfance ici permet de montrer ici peut-être des traces d'un Sacré qui ne relève pas seulement d'un rapport à un massacre de masse près de nous (alors que les dessins de Charlie Hebdo sur les jeunes victimes de Boko Haram, qu'on peut juger si cruels dans l'humour noir, visaient plus les discours conservateurs des Manifs pour Tous, contrairement à ce que les lecteurs étrangers ont cru). Le grand dessinateur Ruben Bolling en a fait une parodie pour désamorcer cette violence.

Le Président turc Erdogan achève de se ridiculiser et déclare que ce nouveau numéro de Charlie (où le nom du personnage en couverture n'est pourtant pas précisé) "sème la Terreur" alors que nous jugions la couverture ("Tout est pardonné") presque trop consensuelle. Les représailles commencent contre des églises dans certaines manifestations pour rappeler que la mondialisation accroît des polarisations binaires, où la plupart des Musulmans indignés ne reçoivent l'information sur des plaisanteries que comme une guerre sainte inter-religieuse. La plupart des graffitis anti-musulmans ou attaques contre les Mosquées viennent de personnes d'extrême droite (avec des dessins de croix gammée) qui n'ont bien entendu aucune sympathie avec Charlie et qui n'y voient qu'un signal ou un prétexte pour justifier leur ressentiment.

Mais là où j'ai le plus de mal à avoir de l'empathie est encore d'imaginer toutes ces personnes qui se seraient tapées dessus pour avoir le nouveau numéro de Charlie Hebdo ou qui vont le revendre pour des centaines d'euros sur eBay. Ce consumérisme "désacralisé" et sans jugement illustre à un moindre degré une autre forme de nihilisme encore que la soif de néant de ceux qui se détruisent en assassinant.

vendredi 16 janvier 2015

Nocturnes


Deux poèmes de Jules Supervielle extraits de La Fable du monde (1938) :

Quand dorment les soleils sous nos humbles manteaux
Dans l'univers obscur qui forme notre corps,
Les nerfs qui voient en nous ce que nos yeux ignorent
Nous précèdent au fond de notre chair plus lente,
Ils peuplent nos lointains de leurs herbes luisantes
Arrachant à la chair de tremblantes aurores.

C'est le monde où l'espace est fait de notre sang.
Des oiseaux teints de rouge et toujours renaissants
Ont du mal à voler près du cœur qui les mène
Et ne peuvent s'en éloigner qu'en périssant
Car c'est en nous que sont les plus cruelles plaines
Où l'on périt de soif près de fausses Fontaines.

Et nous allons ainsi, parmi les autres hommes,
Les uns parlant parfois à l'oreille des autres.


 Encore frissonnant
 Sous la peau des ténèbres
 Tous les matins je dois
 Recomposer un homme
 Avec tout ce mélange
 De mes jours précédents
 Et le peu qui me reste
 De mes jours à venir.

 Me voici tout entier,
 Je vais vers la fenêtre.
 Lumière de ce jour,
 Je viens du fond des temps,
 Respecte avec douceur
 Mes minutes obscures,
 Épargne encore un peu
 Ce que j’ai de nocturne,
 D’étoilé en dedans
 Et de prêt à mourir
 Sous le soleil montant
 Qui ne sait que grandir.

samedi 10 janvier 2015

Retombées de l'élan

Luz, un des survivants qui doit sans doute la vie au hasard d'un retard, sur les conséquences à long terme de la mobilisation sur le coup de l'émotion.

Mais dans un an, que restera-t-il de ce grand élan plutôt progressiste sur la liberté d’expression ? Est ce qu’il va y avoir des aides à la presse particulières ? Est ce que des gens vont s’opposer à la fermeture des journaux ? Des kiosques ? Est ce que les gens vont acheter des journaux ? Que restera-t-il de cet élan ? Peut-être quelque chose. Mais peut-être rien.

Il me semble extraordinaire de lucidité (no pun intended) juste après ce meurtre.

vendredi 9 janvier 2015

Pluralisme absolu et catholicité



Dans l'Utopie de Thomas More (1516, Chapitre 9), Utopus interdit toute intolérance religieuse avec un argument qui ressemblerait à un relativisme particulier :

This law was made by Utopus, not only for preserving the public peace, which he saw suffered much by daily contentions and irreconcilable heats, but because he thought the interest of religion itself required it. He judged it not fit to determine anything rashly; and seemed to doubt whether those different forms of religion might not all come from God, who might inspire man in a different manner, and be pleased with this variety; he therefore thought it indecent and foolish for any man to threaten and terrify another to make him believe what did not appear to him to be true.

D'habitude, on fonde le pluralisme théologique soit sur un scepticisme (comment savoir si notre perspective n'est pas une opinion erronée ou même s'il est possible d'avoir un critère rationnel pour les départager) ou bien une sorte de réalisme "à variables cachées" (Dieu est Un mais chaque perspective n'en a saisi qu'une partie qu'il faudrait ensuite tenter de réconcilier comme dans la parabole de l'Eléphant et des Aveugles) alors qu'ici l'Absolu voudrait lui-même se dévoiler tout en se cachant ou en se divisant au point que toute orthodoxie dogmatique deviendrait un blasphème contre son intention originellement pluraliste (un peu comme dans la métaphysique anti-monothéiste que défend Alain Daniélou).

Ce type de doctrine est possible dans certains mouvements protestants comme l'Unitarisme et les Quakers (pour qui chaque individu doit chercher son propre rapport à l'Esprit saint) - mais More était catholique.

Add.
On m'a cité un verset intéressant du Coran, extrait de la 5e Sourate du Coran, dite de la Table du Repas (al-Maidah, sourate où il donne les règles de la nourriture halal au verset 3 et qui est surtout consacré aux rapports avec les juifs et les chrétiens).
5.48. À toi aussi Nous avons révélé le Coran, expression de la pure Vérité, qui est venu confirmer les Écritures antérieures et les préserver de toute altération.
Juge donc entre eux d'après ce que Dieu t'a révélé.
Ne suis pas leurs passions, loin de la Vérité qui t'est parvenue.
À chacun de vous Nous avons tracé un itinéraire et établi une règle de conduite qui lui est propre.
Et si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté , mais Il a voulu vous éprouver pour voir l'usage que chaque communauté ferait de ce qu'Il lui a donné.
Rivalisez donc d'efforts dans l'accomplissement de bonnes œuvres, car c'est vers Dieu que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l'origine de vos disputes.

C'est une des dernières Sourates de la Révélation (112e sur 114, fin de la période médinoise) et elle n'est donc pas "abrogée" comme d'autres versets tolérants (comme le si souvent cité 2, 256 "Pas de contrainte en religion !"). Elle a l'air assez irénique de prime abord. Dieu aurait voulu qu'il y ait plusieurs communautés religieuses pour les mettre en "concurrence" ou en saine émulation et qu'ils exercent leur libre arbitre vers plus de bonnes oeuvres.

L'idée - si on voulait isoler le verset du reste du texte - pourrait alors fonder une sorte de pluralisme sur l'hypothèse éthique "perfectionniste" qu'Allah n'aurait pas voulu que la Communauté des Vrais Croyants s'enferme sur la complaisance.

Mais le reste de la Sourate 5 n'est pas du tout aussi pluraliste que ce verset 48. Il insiste bien sur la supériorité de droit d'une communauté qui a reçu le Messager et la Révélation du Coran, sur le fait qu'il faudra punir surtout les chrétiens et les juifs qui ne suivent pas l'Islam (avec parfois l'idée paradoxale que les prêtres, moines et rabbins seraient plus susceptibles d'accepter le Coran comme réalisation de la Torah et de l'Evangile que d'autres fidèles considérés comme motivés plus par le péché).

Le texte répète tout le temps (environ dix fois sur les 120 versets) qu'Allah peut être miséricordieux et leur pardonner mais pour préciser que ce n'est pas le rôle du fidèle que d'être aussi miséricordieux tant qu'ils n'ont pas de preuves du repentir (verset 45 : "quiconque renonce à la Loi du Talion, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d'après ce qu'Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes.").

En un sens, c'est l'inverse de notre présupposé moderne que les humains devraient pardonner en ignorant si l'au-delà juge ou non autrement.

Mauvaise foi


Sur de nombreux médias sociaux aujourd'hui :

"There is something feeble and a little contemptible about a man who cannot face the perils of life without the help of comfortable myths. Almost inevitably some part of him is aware that they are myths and that he believes them only because they are comforting. But he dares not face this thought! Moreover, since he is aware, however dimly, that his opinions are not rational, he becomes furious when they are disputed."
-- Bertrand Russell, Human Society in Ethics and Politics (1954)

Le problème n'est pas vraiment le réconfort qu'il croit y trouver si c'était vraiment un placébo innocent mais qu'il croie que cela exige ensuite un droit de le préserver à n'importe quel moyen.

Témoin


Mourir
Si on ne croit pas vraiment dans des équivalents laïcs de la résurrection, on peut être mal à l'aise avec l'expression religieuse de "martyr" de la liberté d'expression. Le martyr est censé "confirmer" et donc valider sa croyance par son "témoignage" (le mot grec signifiait pouvoir montrer quelque chose comme si c'était pas sa présence, comme si on y avait assisté). Et quand on traduit le terme de l'arabe شهيد,, l'idée a l'air proche de "profession de foi".

Dans ce crime du 7 janvier, ces journalistes et dessinateurs ont certes manifesté un rare courage et une conscience aiguë de ce qu'ils faisaient (il suffit de lire les innombrables textes de Charb). Mais ils sont des héros (par les risques pris, qui ne me semblent pas inconsidérés ou téméraires) et des victimes de la haine et de la stupidité, non des "martyrs" de la liberté d'expression. Cette mort n'a aucune vertu transformative et elle ne valide rien si ce n'est nos craintes.

Ceux qui croient que notre éphémère unité nationale sous l'émotion aura au moins quelques vertus s'illusionnent. Très vite, les haines et les ressentiments reprendront le dessus. Certains xénophobes récupéreront l'événement pour vendre la méfiance envers des cultes exotiques. A l'opposé, un autre ressentiment conservateur (comme Donohue le président de la Catholic League aux USA) ou ayant de l'indulgence pour les religions finira par répéter qu'ils "l'avaient bien cherché". Les violences islamophobes qui prendront cela comme prétexte feront vite oublier l'unité nationale. Et dans un an, ils seront morts une seconde fois quand ils auront été salis par certains éloges ou bien par une négligence trop rapide.

On dit "Charlie" vivra. Tout dépend de ce qu'on y met mais on peut en douter. Charlie serait sans doute mort en grande partie avec la mort naturelle de Cabu. Charlie atteindra des chiffres de vente records la semaine prochaine. Il y aura même une heureuse réconciliation avec Siné. Mais Luz, Catherine et Riss, même avec tout leur talent et avec des renforts qui viendront sans doute, ce ne sera plus exactement les éditoriaux de Charb et le style de Cabu.

Donc oui, les abrutis ont gagné.

Charlie est vraiment mort et ils voulaient attiser des haines et ils auront en partie ce qu'ils voulaient. Certes leurs cibles sont rentrées dans l'histoire mais l'histoire n'est pas une rédemption pour un tel assassinat.

Je crains même que la mort des assassins aujourd'hui réussisse à les faire passer pour d'autres "martyrs" chez d'autres et fondera à nouveau d'ignobles et crétines théories du complot. Ils diront encore qu'on les a tués pour cacher le procès. Ils referont le Coup du Chaudron en disant 1° que Charlie Hebdo le méritait pour avoir insulté le Prophète, 2° mais que bien sûr cela ne peut pas avoir été réellement fait par ceux qu'on croit, et que cela doit être en réalité un complot juif ou américain - ce qui, pour ces islamo-fascistes vaguement "tiers-mondistes" ou "anti-impérialistes", est à peu près la même chose maintenant.

Les grands mots
Mais ce ne sont pas ces individus fascisants qui pourraient tuer la liberté d'expression en tuant une poignée de créateurs.

Ce serait uniquement nos propres renoncements à expliquer la différence entre droit au blasphème et un vrai appel à la haine, notre propre crainte que la critique du contenu doctrinal ou d'un code de loi soit prise pour une dénonciation essentialiste de tout individu qui participerait à une culture liée à cette tradition. C'est plus nous ou nos propres atermoiements que je crains que d'autres répliques et ce cycle du ressentiment.

Sur le fil
Dans ce pays, chacun sait que les Musulmans font l'objet de certaines discriminations de fait, dans le logement, l'emploi ou dans des préjugés généraux (même s'ils souffrent sans doute moins que les Roms). C'est un fait - même si ces discriminations de facto n'atteignent pas les violences institutionnelles dont font l'objet les libres-penseurs, les Dhimmis, les Yezidis, les Bahais, les Animistes ou Zoroastriens dans la plupart des Etats musulmans où il devient difficile d'exercer une autre religion et surtout impossible d'abandonner la religion officielle si on est né dedans.

Ces discriminations contre les Musulmans et la montée de la xénophobie implique toujours de la prudence dans la manière dont on risque d'interpréter toute critique. J'imagine que les raisonnements de ceux qui, à gauche, bien que non-religieux, dénoncent de "l'islamophobie" partout est que la critique devrait porter plus sur les dominants que sur des populations plus ou moins discriminées (de fait).

Il y a donc une frontière difficile.
(1) D'un côté, l'obsession nationale sur le sujet risque de paraître suspecte et de relever du fantasme (c'est la thèse d'Olivier Cyran qui avait quitté Charlie Hebdo en trouvant que les idées de Caroline Fourest y étaient devenues trop influentes).
(2) Mais de l'autre, s'auto-censurer pour éviter de choquer revient à dire qu'on n'a plus le droit de critiquer une religion de crainte d'indisposer une communauté diverse d'individus. Il faut du tact face à des individus, on n'insulte pas sans raison. Mais une croyance ou une tradition historique ne méritent jamais un respect absolu.

Le droit de ne pas dire "Oui, mais..."

Je n'ai jamais fermé les commentaires ici (sauf avec le temps) mais je dois avouer que malgré les deux jours pour supporter cette nouvelle, je n'ai toujours pas très envie de discuter sur Cabu (pour ne prendre qu'un parmi les victimes, en plus d'Honoré ou Bernard Maris).

C'est la première fois qu'un attentat ne me semble pas frapper seulement des individus ou un symbole mais quelqu'un que j'avais toujours eu l'impression de considérer comme un ami sans le connaître, depuis les vieux Pilote de 1968. Cela n'aide pas tellement à permettre une débat dépassionné.

Cabu n'était pas seulement quelqu'un de visiblement si bon. Il était peut-être le plus grand dessinateur de presse français de tout le siècle dernier (qui pourrait lui être comparé ?) et il savait saisir quelque chose dans sa caricature qui devait paraître forcément violent dans sa vérité. Il dessinait sans cesse et tout talent ne peut que choquer car il semblait réussir à éviter les pudeurs de l'auto-censure (même s'il n'a cessé de réfléchir à certains cas limites et finit par renoncer par exemple à l'humour noir facile qui se servait de racourcis sur certains handicaps physiques).

La question est celle du sacré dans nos sociétés sécularisées. On nous accuse de ne rien garder de sacré, de ne plus avoir le sens du sacré et aujourd'hui on entend certains se moquer du fait qu'on aurait sacralisé les blasphémateurs. Mais c'est que le droit au blasphème devient d'autant plus sacré qu'on veut mettre quelque chose en dehors de toute critique. Si on veut interdire le blasphème par politesse ou courtoisie en craignant de blesser ce qui relève du sacré, on arrive aussi à interdire la critique en général. Charb et Cabu ne cessaient d'expliquer cette pente et quand on dit qu'ils mettaient de l'huile sur le feu ou qu'ils étaient irresponsables on oublie encore que ce qu'ils faisaient n'était pas que de la provocation gratuite mais bien quelque chose de nécessaire.

Ce style de dessin n'existe pas dans de nombreuses traditions graphiques - les Américains n'ont pas vraiment d'équivalent par exemple, ce qui explique souvent leur incompréhension et je m'étonne d'ailleurs finalement que certains humoristes comme Jon Stewart aient pu quand même si vite comprendre les enjeux pour apporter un soutien aussi inconditionnel.

vendredi 2 janvier 2015

Demon Knights #1-23


On peut faire certains reproches à DC depuis leur énième redémarrage en 2011 (comme une ambiance déprimante ou le fait d'avoir réabsorbé les comics Vertigo dans leur Multivers) mais il faut reconnaître que les titres de ces derniers temps ont fait une vague tentative de "diversité" des Genres - en faisant en variant assez le Genre superhéros pour réessayer d'autres recettes qui avaient pu fonctionner avant l'hégémonie des superhéros, du Western (All-Star Western, 4 numéros), de la Guerre (Men of War, GI Combat), du Fantastique bizarre (Frankenstein, agent of S.H.A.D.E. ou I, Vampire), de la Politique (The Movement), de l'Heroic Fantasy (Sword of Sorcery ou Demon Knights).

Mais d'un autre côté, c'étaient des coups d'épée dans l'eau comme on leur laissait rarement plus d'un an avant d'être supprimés à un rythme endiablé (plus de 52 titres créés et supprimés ces trois dernières années).

Demon Knights (sept. 2011-août 2013) a au moins eu droit à deux ans de vie et non pas seulement 8 épisodes, même si son créateur, le britannique Paul Cornell était parti après 16 épisodes pour être remplacé par Robert Venditti (#16-23).

Cadre

On est au Moyen-Âge à une époque assez floue ("The Dark Ages") et le contexte est généralement plus proche d'une fantasy à la D&D que des allusions historiques qu'on trouvait dans Arak, Son of Thunder de Roy Thomas. Le créateur, Paul Cornell, dit quelque part qu'on est au "IXe siècle" et son successeur au n°16 précise au contraire "XIe" mais il n'y a pas vraiment de Renaissance carolingienne et la présence de Goths semble bien plus archaïque, pas si longtemps après l'arrivée des Saxons mais certes avant 1066.

On dit qu'on est dans une période "après la Chute de Camelot" mais il est expliqué que Camelot est plus un Modèle ou une Idée qu'un seul événement et qu'il y a eu plusieurs Camelot, au moins une galloise et une autre plus médiévale. C'est un cadre qui permet à la fois d'utiliser la Matière de Bretagne sans y être totalement lié.

Venditti précisera même (dans le #22) une inversion intéressante : chaque Camelot recherche le Graal mais c'est en fait le Graal (par son pouvoir vital, qu'il soit un Chaudron Celtique, une Corne d'Abondance ou un Saint Calice Christique) qui rend possible chaque Camelot. La relation de Quête n'est donc pas celle qu'on croit puisqu'un Camelot est créé par "son" Graal.



Le monde est si vague qu'il pourrait aussi bien s'agir d'un autre monde parallèle. On est au début dans un royaume franc imaginaire appelé "Alba Sarum" (rien à voir avec la Sarum en Albion, Salisbury), cité où règnent Les Deux Princesses Alba et Sarum, anciennes aventurières qui tentent de recréer un Nouveau Camelot. On peut penser que leur Cité est dans les Pyrénées (peut-être près du Château de Fer d'Atlante ?), en tout cas dans une région très montagneuse et pas très loin de la mer.

Les Sept Chevaliers Démons

Les héros de cette histoire sont 7, 3 hommes (car on peut compter le Démon et Jason comme un seul mâle), 3 femmes et un androgyne ambigu (Ystin). Il n'y a que les deux premiers qui sont des créations originales de cette série :

(1) Al-Jabr (Le Chiffre) : un Magicien rationaliste sarrasin. Le seul des Sept à ne pas avoir reçu l'Immortalité. Il deviendra Emir d'Al-Wadi, une Cité de la Science en Andalousie.
(2) La Cavalière : une femme mystérieuse (Sarah) qui est paralysée des jambes (des chevaux les auraient brisées en tuant aussi ses parents) mais qui peut invoquer un cheval avec lequel elle se lie. Elle peut parler aux animaux. Excellente archère et sans doute la plus proche d'une Robin des Bois idéaliste et compatissante. Peut-être un avatar humain d'Epona.
(3) Nimue, une des Dames du Lac, demi-soeur d'Arthur et soeur de Morgane, plus connue sous le nom de Dame de Xanadu, une des disciples de Merlin. Amoureuse de Jason Blood, elle feint (?) d'aimer aussi son démon Etrigan.
(4) Etrigan :  un Démon cracheur de feu et rimeur (il est contraint par son statut de faire rimer ses phrases). Il a été lié par Melin avec le corps d'un autre de ses disciples, Jason Blood de Norfolk, et les deux doivent périodiquement alterner leur corps (Jason est aux Enfers pendant qu'Etrigan est sur Terre, et vice versa).
(5) Exoristè (improprement orthographiée Exoristos, L'Exilée) : une Amazone de Themiscyra armée d'un marteau de guerre (ce qui en ferait donc la Naine du groupe malgré sa haute taille). Amante de l'ambigu et preux Sir Ystin.
(6) Vandal Savage : un Immortel de la préhistoire, cynique et amoral, mais qui semble vouloir participer à cette quête par goût de l'aventure. Moins mégalomane que les versions habituelles de Vandal Savage dans l'Univers DC mais il redevient plus clairement un sadique à partir du n°16.
(7) Le Chevalier Etincelant : Sir Ystin, un(e) guerrièr(e) gallois(e) d'un autre Camelot antérieur qui semble ignorer son propre sexe et révèle même dans le n°14 qu'il/elle est hermaphrodite. Il/elle a bu du Graal et est donc immortel(le). Il/elle possède un Cheval ailé et parlant, Vanguard. Merlin lui a prédit qu'il/elle serait pris(e) par le Mal avant de trouver le Graal.

Synopsis

En deux ans, la série a eu en gros trois "arcs" narratifs.

Dans le premier récit (épisodes 1-7), Paul Cornell faisait sa parodie des Sept Samourais. Les Sept Chevaliers-Démons tentaient de protéger un petit village, Petite-Source, qui se trouvait devant la Horde qui venait détruire Alba Sarum. La Horde, qui comprend de nombreux mercenaires barbares et des Dinosaures, est menée par la Questing Queen (qui n'est pas Morgane, mais son identité réelle reste mystérieuse) et par son assistant le sorcier Mordru (qui deviendra le sorcier quasi-omnipotent qui affronte la Légion des Superhéros au XXXIe siècle). Ils cherchent à trouver les reliques de Camelot qui seraient à Alba Sarum, notamment Merlin, fils de Lucifer, et le Graal. Les Chevaliers réussissent à tenir le village jusqu'à l'arrivée des renforts d'Alba Sarum mais c'est une victoire à la Pyrrhus comme le village est presque entièrement détruit.

Dans le second arc (épisodes 8-15), après la mort de Merlin, ils repartent vers la Grande-Bretagne pour retrouver le chemin d'Avalon. Le Démon propose à Lucifer de lui offrir Avalon en échange de sa libération du lien avec Jason Blood. Les Chevaliers retrouvent le Roi Arthur Pendragon (ou une version d'Arthur) et se retrouvent dans un conflit à trois armées, entre la Horde, Lucifer et Avalon (dont les forces sont composées d'un corps appelé les Chevaliers Silencieux - comme le héros du même nom, ce qui revient donc à transformer un héros en une fonction, un peu comme pour Green Lantern ou Captain Britain). Lucifer tente l'Exilée en lui offrant le Diamant noir qui contient toute la Haine du monde. Merlin ressuscite et sauve Avalon (en prophétisant que l'équipe des Sept Chevaliers Démons annonce une autre équipe de superhéros à venir qui sera Stormwatch). Les Chevaliers se dispersent.

Dans le troisième arc (épisodes 16-23), 30 ans après l'histoire initiale, Caïn et ses Vampires dévastent les Balkans à la recherche du Graal (et prennent le contrôle d'une tribu nomade nommée les Monteurs de Bisons). Les Chevaliers Démoniaques (sans Al Jabr devenu Roi de sa propre Cité au nom assez "avalonesque", Al Wadi, La Vallée), viennent sauver l'Île des Amazones qui est envahie par les Vampires. La Reine Hippolytè leur indique l'Île des Géants qui contient le Graal (ainsi que de nombreuses autres reliques comme la Peau du Lion de Némée ou la Corne d'Abondance). Ils rapportent le Graal à Al Wadi mais l'armée des Géants vient assiéger la Cité. Ils la sauvent grâce au Diamant noir et tentent d'arrêter ses effets maléfiques par le Graal.

Critique
L'idée de départ d'une équipe non-manichéenne autour du personnage du Démon ne me semble pas entièrement tenue. Très vite, les personnages les plus maléfiques comme Vandal Savage et même celui, plus central, du Démon semblent marginalisés et on se retrouve avec une équipe de superhéros au Moyen-Âge avec certes un peu plus de trahisons dans le groupe.

Le problème plus vaste est qu'il ne s'agit plus vraiment d'un titre de Heroic Fantasy comme c'était annoncé mais d'un Prequel de Stormwatch. Cela montre aussi une erreur profonde d'une nouvel univers DC : avoir forcé l'intégration de l'univers de l'éditeur Wildstorm avec celui de DC au lieu de le laisser sur la Terre-50 qui lui avait été attribuée. Dans l'univers Wildstorm, les superhéros contrôlent l'Humanité dans de vastes complots occultes (un peu comme les jeux de rôle World of Darkness) et on ne peut plus avoir l'atmosphère plus bienveillante de la Terre-1 mainstream). La Ligue de Justice n'apparaît plus alors qu'un paravent ou un vague alibi superficiel derrière le complot multiséculaire de Stormwatch qui manipule l'Humanité depuis mille ans. Le dosage d'un univers fictif est difficile et ici, la greffe de l'élément étranger (l'univers si sombre Wildstorm) destabilise l'équilibre de DC vers des tropes sinistres à la Warren Ellis. Il n'y a rien de mal à vouloir lire ce genre d'histoires, bien entendu, mais elles finissent par remplacer les autres et à devenir la nouvelle norme où l'innocence idéaliste de Superman ne peut plus qu'avoir l'air ridicule et où même Batman ne serait plus assez paranoïaque.

Une des réussites en revanche est le sens épique lors de certaines batailles comme celle en Avalon dans le 2e arc (la parodie des Sept Mercenaires de la première histoire y arrive moins). Le problème d'Avalon est qu'en réintroduisant Arthur et Merlin, on risque de perdre l'importance des personnages moins célèbres que les Chevaliers de la Table ronde, et de perdre le concept de départ (des héros post-arthuriens).

Les dessins de Diogenes Neves (#1-8) et Bernard Chang (#8-19) sont très agréables (je crois avoir une préférence pour le second, déjà remarqué avec un style un peu différent sur Wonder Woman).

jeudi 1 janvier 2015

Doom Patrol (8) Doom Patrol vol. 1, n°86

prologue#80#81#82, #83, #84, 85.


Mars 1964. 7e épisode de la Patrouille par Drake et Premiani et My Greatest Adventure change de titre pour prendre celui de son équipe de superhéros, en abandonnant sa fonction d'anthologie fantastique (même si cela ne change pas immédiatement : il y a 17 pages pour la Patrouille, plus 8 pages d'une histoire en "featurette"). Cela m'amuse toujours d'opposer cette époque où on continuait souvent des numérotations précédentes alors qu'aujourd'hui la spéculation de collectionneurs multiplie les numéros 1.

J'ignore s'il y avait à cette époque un coût suppémentaire à créer de nouveaux numéros 1 mais il se peut aussi que les éditeurs redoutaient simplement qu'un numéro 1 paraisse peu "fiable". DC - ou National Comics comme on les appelait aussi - avait alors la coutume de mettre de nouvelles histoires dans un magazine qui n'était consacré qu'à être la "vitrine" des de ce genre d'expériences de l'éditeur, Showcase où commencèrent Flash en 1956, les Challengers of the Unknown en 1957, Adam Strange en 1958, Rip Hunter et Green Lantern en 1959, Atom en 1961, Metal Men en 1962, ou les Inferior Five en mai 1966. Quand DC commença la nouvelle série Flash de l'Âge d'Argent, ils reprirent la numérotation de la série de l'Âge d'Or au numéro 105, comme si près d'une décennie ne s'était pas écoulée entre les deux numéros.

Synchronicité
C'est aussi dans cet épisode qu'a lieu une des plus célèbres coïncidences avec les X-Men : en ce même mois de mars 1964, la Doom Patrol affronte l'équipe de supercriminels qui va les poursuivre jusqu'à leur mort, la Brotherhood of Evil, et les X-Men rencontrent pour la première fois l'équipe de Magneto, la Brotherhood of Evil Mutants.

La Confrérie du Mal de la Doom Patrol est décrite comme un syndicat international mais sans but idéologique (malgré le nom de "Madame Rouge") alors que la Confrérie des Mauvais Mutants a une ambiguïté entre un mouvement terroriste / sécessionniste pro-mutant et le bras armé des ambitions personnelles de Magneto (puisque Magneto est encore décrit à cette époque comme cynique dans son suprémacisme pro-mutant).

La Confrérie du Mal est basée à Paris et compte trois membres : le Cerveau (qui vit dans une cuve et sans corps), Madame Rouge (une enseignante d'une école privée, dotée de capacité de déguisement qui vont devenir par la suite un superpouvoir dans le #90), Monsieur Mallah (un gorille rendu intelligent par Le Cerveau pour qui il montre une certaine dévotion - Grodd, l'autre gorille intelligent maléfique de DC avait été créé dans Flash n°106, avril 1959).  On n'expliquera jamais pourquoi Le Cerveau préfère rester sans corps alors qu'il semble avoir la technologie pour imiter Robotman.

La Confrérie des Mauvais Mutants a 5 membres aux pouvoirs plus spectaculaires : Magneto, le Crapaud, Mastermind (qui fut traduit "Le Cerveau" en français !), Vif-Argent et la Sorcière Rouge. Dans cette première apparition, Magneto prend le contrôle d'une république d'Amérique latine, "San Marco", avec les pouvoirs d'illusionniste de Mastermind.

Autre coïncidence entre ces deux numéros : la Patrouille fait un gâteau d'anniversaire pour le Chef en ignorant sa date de naissance (et dans une scène très mièvre, ils tombent juste par hasard...)  et le Professeur Xavier fait un gâteau pour Marvel Girl pour célébrer les progrès de ses élèves.

Synopsis
Un criminel nommé Morden a volé un robot géant appartenant au gouvernement américain, "Rog" pour passer une épreuve pour entrer dans la Confrérie. Le Chef explique qu'il avait fabriqué Rog pour un projet d'exploration lunaire (on a déjà vu la station Moon City dans le n°82). Morden tente de s'en servir pour voler la Statue de la Liberté mais Elasti-Girl vainc le Robot.

Morden ne sera pas recruté par la Confrérie à la fin de cet épisode (Rog revient dans le n°93) mais il réapparaîtra 25 ans plus tard chez Grant Morrison dans Doom Patrol (vol. 2) n°26 (sept. 1989) comme Mr Nobody, fondateur de la nouvelle version avant-gardiste, la Brotherhood of Dada (et sans trop spoiler, il réapparaît dans un rôle majeur à nouveau dans la récente série Doom Patrol, vol. 5 en Mr Somebody).

Quant à la Confrérie du Mal, elle fusionnera par la suite avec les opérations du Général Immortus (#96), ce qui aura le défaut de mettre la Patrouille presque toujours contre les mêmes adversaires répétitifs. Cet épisode fait d'ailleurs déjà un peu d'anticipation en annonçant le secret de la vraie apparence horrible de Negative Man (#87) et des Origines Secrètes du Chef (#88).

Featurette : "A Medal for Go Buggy 3" (écrit et dessiné par Howard Purcell)
L'astronaute, Major Scott Reed, tombe dans le Pacifique. Un Japonais irradié par un test nucléaire arrive alors sous la forme d'une tornade vivante et se fait passer pour Reed pour être ramené en Amérique et se venger de ce pays. Scott Reed s'irradie volontairement et acquiert les mêmes pouvoirs que le Japonais Nagawa. Il réussit à vaincre l'Homme-tornade et prend un antidote pour redevenir normal. Il y a peut-être une influence d'Ulthoon (the Tornado Tyrant) de Mystery in Space #61, 1960, qui devint bien plus tard le héros Red Tornado en 1968.

Ce numéro ne fut à ma connaissance jamais traduit en français.

Arédit commença sa traduction de la "Patrouille Z / Patrouille du Destin / Patrouille Maudite" seulement à partir du n°89, donc le dixième épisode de la Doom Patrol (dans Spectre n°1, avril 1967).

Pour ceux qui s'intéresseraient aux traductions françaises et les sources les plus obscures de l'Âge d'Or et de l'Âge d'Argent, je viens de découvrir, en googlant la Patrouille Z, les chroniques du très érudit Jean-Michel Ferragati chez ComicBox qui a déjà fait plusieurs articles sur la Doom Patrol : numéro 133, numéro 151 (sur la Confrérie du Mal), numéro 192 (sur Arnold Drake), numéro 193 (comment X-Men #9 semble imiter Doom Patrol #88), numéro 209 (avec les débuts de Mento dans le #91).

Uncanny X-Men n°4 fut traduit par LUG dans Strange n°4 (avril 1970) avec la célèbre couverture de Jack Kirby.

Chris Claremont aura plus tard la bonne idée de changer le nom de la Confrérie des Mauvais Mutants en "Freedom Force".(Uncanny X-Men n°199, 1985), ce qui paraît plus porteur pour un mouvement de mutants qui se veut "idéologique". Louise Simonson sera encore plus explicitement politique avec un "Front de Libération des Mutants (M.L.F.)" dans The New Mutants #86 (1990).

La Brotherhood of Evil aussi essaya brièvement un nouveau nom mais avec des connotations toujours aussi "immoralistes" dans un épisode (New Titans Annual n°6, 1990) "Society of Sin" qu'ils abandonnèrent aussitôt. On comprend mieux pourquoi Morrison va apporter cette Confrérie de DADA en mélangeant sans doute ce qu'il connaissait du surréalisme français à la place de cette sorte de culte mafieux trop manichéen.