jeudi 5 janvier 2017

Soins des liens


La philosophe Nancy Fraser (qui allie la critique féministe à la critique sociale) considère qu'un des aspects de nos problèmes sociaux est aussi ce qu'elle appelle la crise du soin : des familles où tous les partenaires doivent travailler à plein temps n'ont plus autant de temps pour assurer "le lien social", la transmission, l'éducation ou s'occuper des personnes âgées. Le soin est en crise de burn-out, tout comme certains parlent d'une crise de l'attention. L'État social-démocrate intervenait pour compenser cela en partie mais le démantèlement de l'État-Providence par le néo-libéralisme aurait alors pour conséquence de privatiser toutes ces relations de manière qu'elles deviennent monétarisées au lieu d'être gérées collectivement.

Là où je ne suis pas sûr de comprendre sa thèse est qu'elle semble à la fois ironiser contre cet État-Providence en disant que c'était bien trop insuffisant et dire qu'il faudrait que l'État ne laisse pas toutes ces relations essentielles qui assurent la possibilité même d'une société sans des compensations financières (ce qui revient alors à entériner l'idée qu'il faut les "monétariser").

Add.

Ce n'est pas une question de l'article originel mais dans cette discussion de l'article sur MetaFilter, un des commentateurs (que je ne retrouve d'ailleurs pas à présent, cela a-t-il été retiré ? était-ce une Gedankenexperiment que j'avais mal comprise ?) avait l'air d'impliquer qu'il faudrait que les pères (même en dehors de toute pension alimentaire) payent une somme de "dédommagement" (et non pas seulement par exemple une compensation par le soin ou l'éducation dans un congé parental) pour les douleurs de l'enfantement, en raison d'un préjudice dans l'inégalité de condition genrée. La droite a souvent le défaut de vouloir "naturaliser" les problèmes sociaux (cf. Hayek disant que l'injustice sociale n'a pas plus à être prise en compte dans la gestion collective que des catastrophes naturelles) mais ce dernier raisonnement sur les réparations semble aller loin dans le sens inverse d'une socialisation d'une inégalité naturelle.

4 commentaires:

Elias a dit…

"il faudrait que les pères [...]payent une somme de "dédommagement" [...] pour les douleurs de l'enfantement, en raison d'un préjudice dans l'inégalité de condition genrée"
C'est un peu le symétrique des arguments (qu'on croise parfois) invoquant la différence de longévité pour justifier que les hommes aient une retraite plus avantageuse.
Ceci dit on peut discuter sérieusement l'idée ... je suppose qu'on pourrait contester la compensation proposée en arguant que les femmes disposent de la possibilité de refuser la grossesse.

Rappar a dit…

C'est rigolo que tu rapproches les soins de l'Etat-Providence et la maternité, car effectivement si le gouvernement voulait que les Françaises aient des enfants, non seulement il faudrait les dédommager de leur grossesse (les douleurs de l'accouchement -> péridurale) :), - exactement au tarif des mères porteuses, fixé par l'offre et la demande ! - mais il faudrait leur payer par la suite des gouvernantes qui s'occuperaient des mioches, de façon à empêcher qu'elles perdent du temps libre ! :) (cette perte-là aussi est un préjudice)

Phersv a dit…

On dit souvent que la faible natalité allemande s'explique en partie par la faiblesse des crêches mais cela ne marche pas en Suède où les crêches (et congés paternels) sont nombreux.

La bonne natalité française (qui ne s'explique pas par l'immigration) avec le pessimisme des Français est un mystère complet pour moi. Comment peuvent-ils faire plus d'enfants que d'autres pays (latins, par exemple) tout en étant si pessimistes ?? La France est un pays bizarre parce que sur certains points, ce n'est pas du tout un pays "catholique latin" comme l'Espagne ou l'Italie, peut-être parce que l'Etat-Providence depuis 45 était finalement plus "scandinave" ou disons, "bénéluxien".

Rappar a dit…

Tiens ben les statistiques viennent de sortir et le nombre de naissances s'effondre! Il va falloir inventer et payer des incitations... ou créer les enfants dans des matrices, à la Brave New World...