mardi 25 juillet 2017

Le monde d'Aria de Weyland (3)


Voir partie 1 ; partie 2

  Tome 30 : Renaissance (2008)

Aria est envoyée en mission par l'Arnolite en Overon, un pays conquis par les Trigyres, comme l'Arnolite avait failli l'être par les Gervères. En plein orage, Aria, en tentant de libérer un chat d'un arbre, est foudroyée et brulée vive. Après une longue convalescence et avoir soignée grâce aux bêtes cicatrisantes de Pharaclès, elle est désormais possédée par l'âme de Sacrale, une jeune fille qui avait tenté de soulever les Overoniens contre les Trigyres et qui avait été brulée vive à 18 ans sur le bûcher cinquante ans avant. Elle est conduite à la mère de Sacrale, Chazanne et au Maussolée où elle retrouve la mémoire d'Aria en revivant la mort de l'héroïne. Aria, bien qu'elle avoue ne plus porter l'âme de Sacrale, est jugée comme sa réincarnation et elle accepte de mener la révolte contre les Trigyres.

J'ai l'impression que Weyland voulait repartir de zéro avec cette "Renaissance" au n°30 et il y a sans doute une reprise assez directe du vol. 15 où Aria était devenue l'héroïne arnolitaine luttant contre l'Empire gervère et héritant de l'âme du barde Vendéric. Aria a commencé comme une "Asterix" résistant aux "Romains". Le thème de la métempsychose avait été traité assez ironiquement dans le vol. 16 (où une femme découvre que son "âme soeur" ne l'aime plus) mais ici la métempsychose est vue comme la transmission de l'âme d'un peuple, comme le symbole de la préservation d'une culture. C'est donc un album ambigu. Les dessins y sont particulièrement réussis mais le contenu politique me semble parfois assez peu "crypté", notamment lorsque l'auteur décrit "une lente invasion qui prend le contrôle des Finances et remplace notre culture". Sans vouloir être trop paranoïaque, c'est un ensemble de références assez identifiables (même si l'Overon précise bien qu'ils étaient très ouverts aux autres immigrations en dehors de l'envahisseur trigyre, le chef de la Résistance est de peau noire et les Ovéroniens sont multi-raciaux). Sacrale est clairement Jeanne d'Arc (avec un peu de Boadicée) et Aria a toujours eu cet aspect de Libératrice luttant contre les Empires oppressifs (et notamment contre l'autorité patriarcale : les Trigyres sont décrits avant tout comme un despotisme sexiste, comme souvent dans la série). Le côté "néo-païen" New Age hippie du début commence ici un peu à basculer dans une crainte "identitaire", le différentialisme de la fantasy folklorique néo-celtique vire vers la Nouvelle Droite. Quand l'auteur énumère les vices des Trigyres (mariages forcés, crimes d'honneur, droit pénal sanguinaires), il est clair qu'il y a des allusions à l'actualité. Heureusement, le volume suivant aura au moins un personnage positif d'origine sans doute trigyre qui lutte contre le pouvoir théocratique et sexiste.


Ce dessin reprend le n°20 où elle avait déjà retrouvé la mémoire (l'amnésie était alors liée à la drogue, non à un choc aussi violent que la foudre). Aria est un personnage qui ne cesse de se baigner dans le Léthé pour se souvenir d'autres incarnations.

  Tome 31 : La Mamaïtha (2009)



Aria est devenue membre de la Résistance d'Overon, dirigée par Cartagne. Une des prêtresses guérisseuses, la Mamaïtha (qu'on avait entrevue avec Pharaclès dans le volume précédent et dont on dit qu'elle est la fille d'un dieu inconnu), a accumulé tellement de maux qu'elle absorbe auprès de ses patients qu'elle en a fait un philtre, un hallucinogène pleins de tous les maux et cauchemars. Aria a pour mission d'aller empoisonner le chef Dragannath et sa secte de barbus, son Nouvel Ordre Trigyre, en plein mariage de sa fille. Elle réussit sa mission non sans avoir elle-même respiré de la même potion et en ayant affronté Dragannath dans un songe hallucinatoire. Quand le Nouvel Ordre Trigyre s'écroule, Aria apprend que c'était la femme de Dragannath Taganne qui aidait la Résistance pour lutter contre l'oppression patriarcale.

Dans l'énumération des chefs trigyres, la dénonciation de leur système d'éducation obligatoire comme conditionnement paraît à nouveau être une référence un peu forcée à la politique. J'ai trouvé que Cartagne, avec son bandeau, ressemblait un peu à Nick Fury (version cinéma, avec Samuel Jackson) mais cela doit être seulement une coïncidence (sauf si Weyland a des références plus américaines que je ne crois et qu'il a vu Iron Man en 2008 où Nick Fury a un cameo).

  Tome 32 : Le Diable Recomposé (2010)



Grâce aux Krylfes qui étaient restés avec son fils Sacham (vol. 28), Aria (qui allait repartir vers l'Arnolite après son séjour en Ovéron) apprend qu'il a eu une rechute. Sa compagne Marvèle l'a quitté et il a à nouveau perdu ses pouvoirs en se recouvrant d'écailles (il est devenu le "Diable recomposé" du titre, lui qui était "l'Ange griffu" dans le vol. 21). Il est poursuivi car on le prend pour un pestiféré. Montega le chasseur et ses chiens ("Magdo & Madof"... Malbouffe et Manigance) pourchassent Aria et Sacham à travers la campagne. Grâce à l'amour d'Aria, Sacham guérit et perd à nouveau sa mutation, juste à temps pour pouvoir guérir Aria d'une blessure mortelle. Marvèle revient à nouveau pour s'excuser d'avoir abandonné Sacham une première fois.

J'avais aimé le vol. 27 mais ce volume 32, seulement 5 ans après, ressemble trop à une répétition du même épisode, y compris la conclusion avec le retour de Marvèle. On apprend un élément nouveau, qui est que le venin des Krylfes est en train de décliner et qu'il n'est plus mortel (quand ils piquent Sacham pendant une de ses crises de folie).

  Tome 33 : Les Rescapés du Souvenir (2011)



Episode psychanalytique où Aria fait grâce à une sorcière un voyage vers son passé et vers la mort de ses parents. En revivant le passé, elle va découvrir qu'ils ont en réalité survécu quinze ans avant et les Frônes les ont réunis.

Le happy ending gâche un peu, je trouve, le but même de la thérapie qui était censé réconcilier Aria avec son traumatisme refoulé et la disparition de ses parents. Aria, qui avait commencé orpheline amnésiaque et apatride, commence à avoir une famille nombreuse dans son entourage. Le père d'Aria, Ferrabar, a un long discours sur le fait que toute la civilisation a été gâchée par le Moi cupide et il est clair que Weyland voulait incorporer une dénonciation morale.

  Tome 34 : Le Ventre de la Mort (2012)

Toujours en Arnolite avec ses parents, Aria affronte Caralcar, tueur en série et notable de la ville qui a assassiné son oncle, Xynon, le frère de Ferrabar. Avec l'aide de ses parents, elle réussit à se venger de Caralcar qui sera finalement exécuté par la veuve de Xynon, Thyrève. Aria hérite ainsi d'un trésor de son aïeul venu d'une île près de l'Améronne, l'urne d'un oiseau divin.

  Tome 35 : Le Pouvoir des cendres (2013)



Début d'une trilogie astrakalienne. Hantée par l'âme de Belgral l'oiseau phénix contenu dans l'urne des cendres, Aria doit trouver un moyen de le libérer. Ce dieu oiseau vient en fait d'Astrakale, une île près de l'Améronne, peuplée d'indigènes (les "Abos") qui commencent à être colonisés. Aidée par Zouky, un  petit aborigène astrakalien qui séjourne en Arnolite, Aria part à dos de "goévent" (des sortes de grands lamas-oiseaux bipède et volants que Zouky guide par sa flute) vers l'Astrakale. Malgré l'hostilité d'un prêtre sexiste, elle trouve le temple de Belgral où elle libère ses cendres et où il renaît avec une forme de perroquet.

L'album a à nouveau un long sermon sur le dualisme et l'irréductibilité de l'âme au corps. Les goévents sont une des faunes les plus originales de la série depuis les krylfes. Belgral donne aussi une cosmogonie qui mentionne deux dieux suprêmes, le Créateur et son Epouse, dont tous les dieux sont les enfants.

  Tome 36 : Le Chemin des crêtes (2014)



A dos d'alpagnons (un lama-cheval), Aria traverse la forêt centrale d'Astrakale et renverse par accident un Humelfe fugueur, Olibri, qui disparaît. Elle est capturée par des Humelfes, créatures sylvestres mi-végétales qui la conduisent à Pulsan, un ancien maître d'armes humain qui a rallié leur cause et les entraîne pour lutter contre les colons humains des côtes. Aria mettra du temps à reconnaître que Pulsan n'est autre que Ch'i, qui lui a enseigné, avec sa femme Nostrane, les arts martiaux dans sa jeunesse quand elle avait fui (tome 18); Avec Pulsan, Aria part libérer plusieurs prisonniers "abos" réduits en esclavage par les colons qui veulent leur faire avouer le secret du "parklot", le bois magique qui donne une lumière plus éclatante que tout bois normal et dont seuls les Humelfes détiennent les secrets.

  Tome 37 : Faites taire l'accusée (2015)



Aria quitte les Humelfes et est prise pour une autre femme blonde, Kartzy, dont la tête a été mise à prix par les autorités coloniales pour avoir tué son mari en légitime défense. Une bande de chasseurs, aidé d'un guide aborigène, tente de la ramener mais avec l'aide des Krylfes astrakaliens (qui vivent associés aux Humelfes) et de la vraie Kartzy, qui s'est installée chez les Aborigènes, elle finit par se débarasser de tous ces soldats qui avait massacré tout un village. Elle retrouve enfin Zouky (plus vu depuis le tome 35) pour repartir sur ses goévents en ramenant Kartzy.

Encore un épisode violent de chasse à l'homme un peu comme celui du tome 32 ou le long combat du tome 29. On peut remarquer aussi qu'ici elle ramène Kartzy avec qui on l'avait confondue alors que dans le tome 12, c'était l'inverse, on la déportait en Améronne en la prenant pour quelqu'un d'autre (Ganièle). J'ai bien aimé le fait que le guide aborigène (qui utilise un boomerang alors qu'ils utilisaient des bolas dans le volume précédent) semble corrompu par l'argent colonial avant de commencer à s'indigner et se révolter en refusant d'être "dénaturé", ce qui renouvelle un peu le thème du Bon Sauvage. Mais les conquistadors, eux, sont sans doute "réalistes" mais tous uniformément immondes.

  Tome 38 : Le Trône du Diable (2017)



Aria est revenue en Arnolite et elle tombe amoureuse d'un jeune échanson étranger, Fieber. Le jeune homme est bègue et complexé, victime de son père qui l'avait offert en sacrifice pour s'attirer la faveur des dieux. Il est endoctriné par un mouvement, les Chevaliers de l'Ordre Cosmique, qui recrutent des jeunes volontaires (certes drogués) pour rejoindre leur combat dans le pays voisin, la Tzarkie et son tyran, Jural. Aria, par amour pour Fieber et parce qu'elle craint que les autorités arnolitaines ne fassent rien, l'accompagne et découvre un complot. Loin de participer à la rebellion contre le tyran de Tzarkie, les Chevaliers travaillent pour Ramdolf, riche entrepreneur qui a besoin d'esclaves pour des carrières d'une substance appelée "ossements de dragons" qui donne à la fois une sorte de marbre mais aussi des effets secondaires toxiques et hallucinogènes. Malgré des crises d'hallucinations où elle croit voir le Diable plusieurs fois, et grâce à l'aide de Gdaléa, fille de Ramdolf, Aria réussit à délivrer Fieber qui trouve enfin confiance en lui et partage enfin les sentiments d'Aria. L'armée arnolitaine intervient en Tzarkie (avec l'accord de Jural) contre les prêcheurs des Chevaliers du Cosmos. Aria trouve aussi un fossile rempli de circuits imprimés et déduit qu'il a nécessairement existé une civilisation très avancée dans le passé.

Après quelques années de thrillers au rythme un peu lent, je trouve que ce nouveau numéro retrouve un souffle plus intéressant. Weyland s'amuse à superposer beaucoup de références déjà vues dans la série. Le départ des jeunes en Tzarkie est évidemment une allusion à l'actualité et au jihad en Syrie mais la satire du prétendu Etat Islamique est assez décalée (Chevaliers des deux sexes à la place de Jihadistes sexistes) pour que cela ne sonne pas comme de la propagande pro-Assad et on est loin des côtés qui m'avaient tant gêné dans le tome 30. L'Ordre de Chevalerie ou de Pélerins qui cache un piège deshumanisant, comme la Croisade des Enfants, était déjà dans le vol. 4 (Les Chevaliers d'Aquarius) et il y a même une allusion discrète p. 32 dans les rêves d'Aria. Il y avait aussi des esclaves dans une carrière dans le volume 8. L'exploitation de la foi par la cupidité et en utilisant la drogue était déjà par exemple dans le vol; 26 (Le Jardin de Baohm) - l'idée d'une "narcocratie" où les religions utilisent littéralement de l'opium pour contrôler leurs ouailles est récurrent dans la plupart des épisodes - et Aria venait d'affronter un autre chef de secte (le "Nouvel ordre trigyre" en Ovéron) tout en étant victime d'hallucinations dans le vol. 31. Fieber sacrifié par son père rappelle par exemple Guévrenne qui vampirisait ses enfants dans le vol. 17.. Aria est aidée encore une fois par l'enfant du Méchant (comme dans le vol. 9). Cela faisait très longtemps qu'Aria n'était pas tombée amoureuse (en dehors de son amour d'enfance Tigron dans les volumes 20-21).

J'en profite pour citer mes volumes favoris sur la série avant ce 38.

Dans les 15 premiers volumes chez Le Lombard, j'aime bien le 2 (qui reste l'un des plus "féérique"), le 4 (avec le dénouement dans le 5), les 10-11-12 (cycle d'Oeil d'Ange), et surtout le 15 Vendéric, qui opère une jolie inversion d'Asterix où c'est Assurancetourix qui fait tomber l'Empire romain.

Dans les 23 suivants chez Dupuis, mon favori est l'étrange volume sur la réincarnation, le 16, et l'horrible 20 La Fleur au Ventre sur la grossesse comme aliénation ou le 21 avec la naissance de Sacham, ou le 27 sur les problèmes de Sacham, mais d'un point de vue de continuité de la série il faut sans doute lire le 18 sur ses origines - le 33 est plus dispensable car il n'ajoute rien en dehors du retour des parents.

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