mardi 17 décembre 2019

La Geôle et la Gargouille


Quand on lit beaucoup de titres Marvel faits avant Fantastic Four #1, des anthologies d'histoires de monstres, on lit des récits "à chute" à la Twilight Zone qui ne sont pas vraiment des histoires d'horreur, même s'il y a quelques thèmes qu'on voyait déjà dans les titres EC des années 1950. Il y a sans aucun doute une "voix" Marvel qui préfigure beaucoup des thèmes que Stan Lee et ses co-auteurs utiliseront tant dans les comics de superhéros par la suite, des Monstres aux Phénomènes de Cirque ou aux Mutants pourchassés. Et c'est une longue tradition qui remonte aux premiers anti-héros de cet éditeur, depuis Namor le Submariner.

Par exemple, un des thèmes est la marginalité, marginalité du prisonnier, marginalité du monstre et marginalité du monde souterrain. Et on peut voir comment l'imagination du prolifique Stan Lee tisse et recycle les mêmes thèmes.


  • Tales of Suspense 12 (nov. 1960, traduit en français dans Namor n°7, 1980)

Un geôlier sadique veut faire souffrir un prisonnier en lui donnant de faux espoirs. Il lui donne un livre sur une civilisation inhumaine utopique qui serait dissimulée loin dans les profondeurs sous la prison et le livre décrit une machine pour y aller. Le prisonnier construit vraiment la machine et tout se révèle vrai. Les créatures - qui ressemblent beaucoup aux Hommes-Taupes de Fantastic Four - accueillent le prisonnier et le protégeront. Le geôlier frustré est puni en cherchant en vain éternellement à rejoindre cette utopie qu'il a ouverte malgré lui pour le prisonnier. 
Les dessins fiévreux et expressionnistes de Steve Ditko donnent une cruauté cauchemardesque.

(J'avais cru que l'histoire était une allusion au roman pseudo-autobiographique Papillon car le Prisonnier semble être francophone en quelque Île du Diable tropicale mais c'est impossible comme le livre ne date que de 1969 et le film de 1973).


  • Amazing Fantasy 12 (mai 1962) "I, The Gargoyle"

Un homme à l'aspect monstrueux qui est rejeté de tous s'enfonce dans les profondeurs chtoniennes sous la Terre et sera accueilli par un peuple de créatures aveugles qui sont les seules à l'accepter parce qu'elles n'en restent pas à son apparence. 

On reconnaît là à la fois les origines de l'Homme-Taupe (si ce n'est qu'il n'est pas aussi bon que la Gargouille dans ses premières apparitions) et le rapport entre Benjamin Grimm et Alicia, l'artiste aveugle qui est la seule à pouvoir l'aimer. Ces mondes des abysses deviennent avant tout comme dans l'histoire précédente des refuges, des lieux de fuite et d'asile (tout comme les égouts des Morlocks) au lieu d'être des enfers démoniaques (ce qu'ils redeviennent plus tard avec les Deviants et Lémuriens de Jack Kirby).


  • Amazing Fantasy 11 (avril 1962)

Un criminel s'enfuit vers un monde considéré comme utopique parce qu'il croit qu'ils n'auront aucun système pénal. Il y est arrêté et enfermé dans un monde virtuel où il croit s'être évadé, sans aucun espoir d'évasion réelle puisqu'il ignore même son aliénation. 

Comme dit Michael Moorcock dans son célèbre essai "Epic Pooh", le Geôlier aime l'escapisme quand il permet d'éviter l'évasion. Au delà du vieux thème de l'Allégorie de la Caverne (il n'est pire esclavage que celui qu'on ignore), cela me semble être une inversion de l'histoire de Tales of Suspense de 1960. Dans la première, le Geôlier croyait pouvoir punir en utilisant une fiction d'évasion alors qu'elle devient réelle. Dans la seconde, le Geôlier réussit à faire croire à cette fiction pour qu'elle ne puisse être réelle. Mais dans les deux histoires, on part du point de vue du prisonnier pour conclure par celui du Geôlier.

2 commentaires:

Jim a dit…

Je note le Tales of Suspense 12 a lire pour la probable francité du personnage.
D'ailleurs une question : en l'occurence il s'agit de tes vieilles VF que tu relis ?
Et/Ou de recherches en ligne ? (je pense aussi aux Amazing Adventures avec The Beast)

Phersv a dit…

Le Tales of Suspense en VF est un souvenir d'enfance qui m'avait marqué.

Les Amazing Adventures sont reproduits dans l'Epic Collection récent sur les X-Men des années 1970 (Darker Before Dawn).