lundi 27 septembre 2021

Fleur de Lune



Les paroles de Fleur de Lune sont de Françoise Hardy d'après la chanson Song of Winter de Mick Jones des Foreigners (1969, elle l'a aussi refaite par la suite en allemand, Höre auf den Nachtwind). 

C'est extrait de l'album Soleil (1970), qui contient d'autres chansons aux titres aussi platoniciens que Soleil comme L'Ombre ou bien Mon Monde n'est pas Vrai. Le son a une réminiscence d'un contexte gainsbourgien. 

Et ici, "viens dans ma cage, ma prison, mon mirage, (...) mon nid" est une référence claire au mythe platonicien, alors que sa voix devient celle des Sirènes

Or on sait depuis Proclus, Commentaire de la République II, 239, qu'il y a une ambiguïté platonicienne sur la Sirène
En effet on peut opposer, comme pour les deux Aphrodite du Banquet, des Sirènes Infernales, Muses inversées qui nous attachent dans les "Faux-semblants" du Sensible, les Sirènes de l'Eau qui dort (la Lorelei qui vient ici d'Hyperborée) et les Sirènes Ouraniennes qui nous pourraient nous élever dans la Musique des Sphères supra-lunaires, entre le végétatif et l'âme du monde, entre l'Algue et l'Etoile (Etoile de Mer/du Ciel, effet de reflet entre le microcosme et le macrocosme), entre les Vagues de Sang (allusion à Ouranos engendrant Aphrodite et en même temps aux Sirènes chthoniennes des abysses qui dévorent les marins) et le Ciel de Pluie (passage à Zeus), voir aussi Plutarque, Propos de table, 9, 14, 6 qui est perplexe sur cette obliquité divine des Sirènes chez Platon, presque identifiées aux Moires et aux Muses ; Jamblique, Vie de Pythagore 82 "l'Oracle de Delphes (...) est la Tetractys, l'Harmonie où séjournent les Sirènes". 

Suis-je la fleur de lune
Ou bien l'eau qui dort?
Je suis née dans une brume
Là où le vent vient du nord
Suis-je l'herbe sauvage
Ou le ciel de pluie?
Viens te prendre à mon mirage
Te noyer dans mes yeux gris
Où que tu sois je t'appelle
Je sais que tu m'entends
Je sais qu'il faudra que tu viennes
Ma cage est grande ouverte
Et ma prison t'attend
Suis-je l'étoile ou l'algue?
Suis-je le faux semblant?
Viens t'enrouler dans mes vagues
Elles ont comme un goût de sang
Où que tu sois je t'appelle
Je sais que tu m'entends
Je sais qu'il faudra que tu viennes
Ma cage est grande ouverte
Et ma prison t'attend
Suis-je la fleur de lune
Ou bien l'eau qui dort?
Suis-je l'herbe sauvage
Ou le ciel de pluie?
Viens dans mon mirage
Au fond de mon nid


En revanche, non, je ne crois pas que les yeux gris soient une allusion à Athéna et donc à la sagesse des chouettes en conflit avec ces sirènes d'ici-bas. 

dimanche 5 septembre 2021

Dragons of Camelot

Sans doute une des pires adaptations du mythe arthurien, c'est un petit film (2014) qui paraît presque amateur, sans budget, sans costume, avec des batailles épiques avec 4 guerriers mais quelques secondes de CGI avec des dragons relativement convaincants. 

Arthur se meurt (dans son lit à Camelot). Il a réuni Guenièvre, leur fils Galaad, Merlin et Gauvain. Il demande pardon d'avoir exilé Lancelot et révèle au jeune Galaad qu'il est un bâtard et que son vrai père est Lancelot. Il lui confie Excalibur. Morgane la fée envahit alors Camelot avec trois dragons et l'aide du traître Gauvain (qui joue donc ici le rôle du Mordred et n'a pas l'air très satisfait que Galaad soit l'héritier s'il est le fils de Lancelot). Excalibur est brisée. Galaad s'enfuit mais rencontre trois brigands, Bohort, Perceval et sa soeur Dindrane (qui sont devenus brigands depuis qu'ils ont échoué à trouver le Graal). Ils retrouvent Lancelot, devenu une épave alcoolique. Galaad remet Excalibur (brisée) dans la Pierre et demande à Lancelot de la sortir. Celui-ci échoue et Galaad la ressort réparée. Lancelot reprend l'épée et tue les dragons (mais ils ont le temps de tuer Bohort et Perceval, je crois, je ne sais pas, j'ai accéléré la fin). Merlin et Morgane s'entre-tuent et Galaad, après avoir tué Gauvain, est sacré Roi, épouse Dindrane, avec son père Lancelot comme Champion du Roi, qui pourra convoler avec la Reine-Mère. Pour gâcher ce happy ending, Galaad retourne au Lac jeter Excalibur et elle tombe au fond de l'eau sans aucune main pour s'en saisir. 

Le film est nul et n'a aucune dignité chevaleresque, faisant plus penser à du post-apo/western. Galaad est joué par un acteur peu charismatique et un peu trop vieux pour le rôle alors que tout le monde lui dit tout le temps qu'il n'est qu'un gamin trop jeune pour régner. Mais il reste que ce Galaad est plus sympathique que d'habitude en n'étant pas un ascète chrétien mais un meneur d'hommes dont la fonction est de remonter le moral de Lancelot, le Chevalier déshonoré. Je ne me souviens pas d'avoir jamais vu une version où Guenièvre (et non Elaine) était sa mère mais c'est la bonne idée du film. Dindrane (la soeur de Perceval dans les versions de la Vulgate) a préfiguré le personnage d'Elaine de Corbenic, fille du Roi Pêcheur, qui devient dans les versions standards la mère de Galahad. 

Guenièvre dit au début à Gauvain qu'elle sait qu'il a encore du Bien en lui et je m'attendais à un Pistolet de Chekhov avec un arc de rédemption. Mais non, il reste un Mordred jusqu'au bout et j'imagine que l'autre scène est une incohérence d'une étape du scénario. 

Les personnages n'ont pas d'armure sauf l'un d'entre eux qui commente qu'elle est belle, ce qui ne fait qu'accentuer à quel point on dirait juste un capot de voiture. 

jeudi 2 septembre 2021

Arthuriana dans FATE/Apocrypha

Les fictions japonaises ne sont pas fondées sur un principe de continuité suivie mais souvent plutôt sur un jeu de variation : on reprend les mêmes "personnages" comme des "rôles" ou des silhouettes schématiques et on redéfinit le contexte. 

Après les premiers FATE, qui avaient posé les règles générales (7 couples Maîtres-Serviteurs, Guerre du Graal, érotisation et inversion sexuelle des Héros), Fate/apocrypha (2012) est dans une version "parallèle" où la Troisième Guerre du Graal s'est passée différemment : un Clan de sorciers de Transylvanie avait pu prendre le Graal (qui est uniquement une source d'énergie magique sans lien christique) avant la Seconde Guerre mondiale (même si je ne comprends pas bien pourquoi ils n'avaient pas pu accomplir leurs voeux dès cette époque) et cette fois, au lieu d'opposer 7 Maîtres-Mages entre eux, la Guerre du Graal va opposer deux camps, les 7 Mages de cette famille roumaine (ici appelé les 7 "Noirs") contre les 7 sorciers envoyés par l'Association des autres Mages (les 7 "Rouges"). Aucune des deux factions n'est clairement "bonne" ou "mauvaise", il y a des Mages ambigus des deux côtés même si certains des Esprits héroïques comme Astolfo et Siegfried sont plus clairement positifs. 

A ces 14 Héros (les 7 classes de Héros : Saber, Archer, Lancer, Rider, Caster, Berserker, Assassin) s'ajoutent deux Héros particuliers. 
Jeanne d'Arc (qui était déjà évoquée par Gilles de Rais dans Fate/Zero) a été convoquée directement par le Graal comme arbitre du combat ("Ruler") et est incarnée en un corps d'une Humaine comme elle n'a aucun Mage pour l'alimenter en mana
Le Prêtre catholique Kotomine Shiro (propre à la mythologie interne de la série, arbitre survivant de la Guerre du Graal précédente) est un mélange dans cette dimension entre l'Inquisiteur Kotomine de FATE/Zero et l'héroïque Shiro de FATE/stay night et il a pris le contrôle de presque toute la faction Rouge (sauf le Nécromancien qui a invoqué Mordred) Son secret est qu'il n'est plus un simple Mage humain mais un Héros qui n'a pas besoin de Maître, tout comme Jeanne d'Arc. 




Du côté Noir, les 7 Héros sont : 
Avicebron le Cabbaliste du XIe siècle (dont une légende du XVIIe raconte qu'il aurait créé un golem ou une automate pandora comme servante, ici il est un Nihiliste créateur d'homoncules, qui rêve de recréer l'Eden et l'Adam Kadmon en faisant tabula rasa de l'humanité), 
le Paladin Astolfo avec son hippogriffe, la lance magique d'Argalia et le grimoire des contre-sorts de la fée Logistille (du Orlando Furioso, ici un androgyne très queer et plein d'abnégation mais qui n'a pas toute sa raison sauf pendant la Nouvelle Lune), 
Chiron le Sagittaire (Archer), 
Vlad Dracula l'Empaleur (qui a ici le pouvoir de faire pousser d'innombrables Pals), 
la Créature de Frankenstein (ou plutôt L'épouse de Frankenstein des films d'horreur puisque la série féminise toujours les Héros), 
Jack l'Eventreur (incarné en une petite fille qui représente l'inversion du Gilles de Rais de FATE/Zero, un avatar de vengeance de tous les enfants persécutés de l'époque victorienne), 
Siegfried (qui se sacrifie en donnant son sang draconique à un Homoncule pour le sauver, "Sieg", qui deviendra le vrai héros de l'histoire et le Maître d'Astolfo). 

Du côté Rouge, les 7 Héros sont : 
Achille
Atalante (qui rêve de venger tous les enfants abandonnés)
Karna (du Mahabharata - le fait qu'Achille soit aussi l'élève de Chiron dans l'autre faction fait penser à la relation entre Arjuna et son gourou Drona), 
Mordred (qui s'identifie strictement comme "garçon" bien que son corps implique le contraire),
Semiramis (avec ses Jardins Suspendus, une Tour de Babel volante), 
Shakespeare (à la fois narrateur de l'histoire épique et sorcier)
Spartacus (génie furieux de la Rébellion contre tout Maître). 

Comme on le voit, en dehors de ce terme de "Graal", on ne retrouve plus que Mordred en Chevalier de la Trahison comme élément arthurien et il y a plus de mythologie grecque (Chiron, Achille, Atalante) ou de Gothic victorien britannique (Dracula, Frankenstein, Jack the Ripper - même Avicébron incarne un savant fou assez frankensteinien même s'il est plus nihiliste que prométhéen). 

Dans cette version, Mordred, la fille-clone d'Artoria (qui a des attributs encore plus féminins qu'Astolfo et parle de "lui" au masculin) n'est pas motivée par une soif de conquête mais bien par une forme d'amour contrarié où Mordred aurait voulu être un meilleur Chevalier que Lancelot. Arthur est montré comme un Roi parfait tellement idéal qu'il refuse Mordred parce qu'il sait qu'il ne pourrait pas être un monarque adéquat. Mais c'est ce refus qui fera de Mordred son ennemi et causera finalement la chute de Camelot que désirait Morgane. Un des procès qui revient tout le temps dans la série est qu'Arthur échoue par sa pureté même et qu'il représentait un idéal héroïque trop irréalisable et inaccessible. Mais je ne trouve pas qu'on arrive à entrer dans la relation de respect mutuel entre le Nécromancien (qui cherche une fille de substitution) et Mordred (qui veut compenser l'échec de son identification avec Arthur). 

Comme il y a 16 Héros au lieu de 7, c'est moins approfondi que dans FATE/Zero. La métaphore continue de cette série est surtout sur le Parasitisme, l'instrumentalisation et la consommation d'autrui. Le Cabbaliste fait les Homoncules pour leur prendre leur énergie et Jack the Ripper mange l'énergie magique des Mages qu'il assassine. Le Maître de Vlad Dracula a l'intention de vampiriser le Vampire pour atteindre l'immortalité. 

La série tourne souvent autour du thème du Mal et de la Théodicée, symbolisée par le sacrifice des Innocents. Les Homoncules sont brisés comme des poupées, comme des instruments et s'amoncellent en des tas de cadavres. Jack L'éventreur, qui incarne en lui tous les innocents violés et dévorés par la haine, pousse Sieg et Jeanne d'Arc à s'interroger sur le Mal radical. Il est dommage que le scénariste n'ait pas aussi fait le lien avec l'histoire où Arthur aurait tué tous les enfants nés à la même date que Mordred

Une des choses qui est terrible en vieillissant est que je constate mon déclin intellectuel. Je ne comprends pas la fin du Shangri-la de Matthieu Bablet et je ne comprends pas bien les fins des FATE où le voeu demandé au Graal n'est jamais réalisé comme il a toujours un élément de Monkey's Paw, un piège où la réalisation du voeu se retournerait contre le désir initial.