mercredi 2 janvier 2008

L'avenir de l'homme (et la femme)




  • Aujourd'hui, Isaac Asimov aurait eu 88 ans (il est mort à 72 ans après avoir écrit plus de 500 ouvrages). Son site a une retranscription d'une conférence d'Asimov faite en 1974 sur le Futur de l'humanité.
    Il est étonnant dans son ironie constante à l'oral, il semble incapable de prononcer trois phrases sans une plaisanterie.
    Il explique notamment que la science fiction ne tient pas assez compte des facteurs sociaux, comme les résistances au changement technologique. Ce reproche me paraît moins vrai depuis pas mal de temps, et la robotique (c'est Asimov qui a inventé le mot à la place de la cybernétique générale de Wiener) réagissait déjà contre le Luddisme de Capek, l'inventeur du mot "robot". Asimov pense que le problème principal du futur sera écologique et démographique, ce qui n'est pas si original dans les années 70 et l'époque du néo-malthusien Club de Rome. Mais là où cela me paraît moins trivial est qu'Asimov relie ce problème démographique à une question politique et sociale : la libération des femmes. Il a un argument un peu sociobiologique ou panglossien (et qui curieusement ne mentionne pas les technologies de contraception). L'émancipation des femmes n'accomplit pas seulement un but moral mais peut être efficace pour permettre de réduire la démographie : si les femmes peuvent devenir plus facilement chefs d'entreprises, savantes ou politiciennes partout dans le monde, elles se sentiront moins contraintes par les moeurs de faire des enfants.

    Cela dit, le problème des pays industrialisés actuels semble à l'inverse de convaincre les femmes de conserver ce rôle ingrat de nos progénitrices (du moins tant que le clonage ne l'aura pas remplacé) tout en travaillant. Et à l'inverse, les femmes japonaises travaillent encore assez peu (sauf pendant leurs premières années) et font pourtant peu d'enfants, ce qui montre peut-être que la modernité peut être malthusienne sans féminisme.

    Asimov semble un peu flou sur la question de la future Gérontocratie planétaire qui s'annonce. Il dit que paradoxalement les Seniors auront plus de pouvoir en étant la majorité mais qu'on respectera moins leur sagesse puisque la connaissance ne dépend plus autant de l'expérience accumulée. Donc leur pouvoir réel se séparera de leur autorité symbolique, ce qui doit conduire à une révolution de l'éducation avec une formation continue pour permettre aux Seniors de rester "adaptés".

    Il semble un peu optimiste sur l'écologie, disant qu'il y a une prise de conscience croissante des dégats sur la couche d'ozone (en 1974 !). En revanche, je crois qu'il a raison sur la progression spectaculaire de la Paix, ce qui n'allait pas de soi devant un public qui assistait à la fin désastreuse du Vietnam.

  • Puisqu'on parle de conférence de 74, cette longue interview en français d'Hanna Arendt a quelques passages politiques intéressants. Elle diagnostique une crise de la culture américaine et surtout de sa politique qui conduirait au déclin de la Constitution. On pourrait croire à un simple cliché sur le Watergate mais son analyse du mensonge politique marche encore mieux avec l'Administration Bush qu'avec les exemples de Johnson et Nixon. Le mensonge "officieux", utilitariste de type "platonicien" (la Raison d'Etat) devient une culture sophiste où la vérité n'a même plus de valeur : on ne prétend même plus admettre des exceptions à la véracité pour le Bien du peuple mais parce que la vérité n'est qu'un outil.

  • Parce que l'Islande est une nation de pêcheurs, elle a été l'un des rares cas de quasi-matriarchie. Aujourd'hui, 96% des Islandaises vont à l'Université, record mondial, et contrairement aux Scandinaves du continent ou aux Allemandes, elles continuent pourtant de faire assez d'enfants pour le renouvellement des générations, peut-être à cause de la précocité des rapports ? Le futur sera donc une Islandaise, pour suivre le raisonnement d'Asimov.

  • Une conférence de 15 minutes par le psychologue cognitiviste Steven Pinker. Il est agaçant dans son côté fanfaron ("Je vais vous prouver que tout ce que vous croyez est faux") mais il a, comme d'habitude, une thèse claire et bien présentée. Il cherche à défendre l'idée aufklärer d'un progrès moral (y compris sur des bases non-morales, d'ailleurs). Il montre par des chiffres que contrairement à ce que toute notre culture pense depuis le XXe siècle, les conflits et la violence se réduisent énormément à travers l'histoire de l'Humanité. Il n'explique pas vraiment le processus mais rappelle quelques hypothèses plausibles comme 1) la politique, le renforcement des Etats (hypothèse du Léviathan), 2) la technologie, la vie s'allonge et prend donc plus de valeur, 3) l'économique, l'accroissement des échanges à sommes positives et 4) l'éthique, l'argument singerien selon lequel l'évolution conduirait naturellement à une expansion de la sphère de nos soucis moraux.


  • France Culture avait une émission sur la prospective pour 2040 (.ram). Mais je ne me souviens de rien d'intéressant (des banalités sur la crise écologique et les problèmes de retraites) à part la vague idée, comme chez Asimov, de l'importance de l'éducation pour les femmes, qui expliquerait en partie le retard de certains pays en voie de développement plus sexistes (comme au Moyen-Orient) par rapport aux Nouveaux Pays industrialisés.

    Cette question féminine est devenue cruciale sur bien des points dans la perception et la réalité des relations entre le monde occidental (le Japon industrialisé reste sexiste par exemple) et le Moyen-Orient. Il y a une part de préjugé "orientaliste" dans cette cristalisation sur la différence des sexes et dans l'erreur rétrospective de projection de standards récents (certaines choses qui choquent les Occidentaux de 2000 auraient paru normales pour leurs parents de 1950) mais à rebours il y a encore plus d'obsession sexiste chez une partie des Islamistes comme s'ils voulaient devenir d'autant plus misogynes parce que l'Occident honni leur reprocherait de trop l'être ! La stratégie habituelle de déni des discriminations consiste alors à reprendre un argument sociologique relativement sophistiqué où l'émancipation féministe ne serait qu'un masque d'une aliénation plus profonde ("Oui, nous interdisons peut-être aux femmes de conduire, mais vous les contraignez à travailler et à ne se soucier que de leur apparence").
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