samedi 2 août 2008

Esprit de lourdeur



Bergson faisait remarquer que la comédie, loin d'être "subversive", jouait souvent un rôle de régulation sociale, depuis au moins Aristophane attaquant Socrate ou les femmes qui ne savent pas rester à leur place en même temps que les démagogues et les sophistes.

David Zucker (qui avait commencé dans le film à sketchs à la fin des années 70) est devenu un archi-républicain à la cinquantaine sous la Présidence Bush mais on peut se demander si l'ineptie de ses comédies récentes (où la provocation s'abimait en simple bassesse) est la cause, la conséquence ou un facteur non-pertinent de cette conversion.

Mais même une caricature des Républicains ne pourrait pas imaginer son nouveau scénario où le réalisateur (certes simpliste) Michael Moore est représenté comme un sympathisant de Ben Laden qui est frappé par George Washington, George Patton et Bill O'Reilly devant les ruines fumantes du 11 Septembre pour comprendre qu'il a tort et que les Républicains seuls représentent l'essence de la Patrie et tout ce qu'il y a de Bon en Amérique (lire l'interview de Zucker au zéroième degré).

Ce n'est plus de l'humour, mais du pur et simple "wish-fulfillment" brutal et indécent (un peu l'équivalent de mon propre scénario fétiche où je souffleterais Badinguet et Xavier Bertrand. Pendant 1h30).

Il y a quelque chose dans la mauvaise foi de Michael Moore qui fait toujours perdre tout sens de la mesure aux Républicains. David Zucker pourrait-il comme malgré lui devenir une inversion de ses intentions, en parodiant plus la stupidité de son propre camp et l'impasse grotesque de sa vision du monde ?

De même que des lecteurs ont cru que la couverture anti-Fox News du New Yorker était au premier degré, certains vont-ils prendre Zucker au second ? Le fait que tous les acteurs (Kelsey Grammer, Jon Voight) appartiennent au petit cercle des rares acteurs pro-McCain suffit à éliminer cette interprétation : Zucker croit vraiment que les adversaires démocrates n'ont pas seulement tort mais qu'ils sont des traîtres à la patrie (cela dit, soyons justes : leurs adversaires croient aussi - avec une certaine vraisemblance à mes yeux - que les Républicains n'ont pas seulement tort mais qu'ils sont des salauds kleptocrates prêts à tout pour enrichir une petite clique sans se soucier de l'intérêt national).

Le Parti Républicain - qui n'a pas particulièrement peur de la controverse dans les publicités négatives, comme l'indiquent les campagnes actuelles contre Obama montré en Britney Spears - a refusé ses spots parce qu'il les jugeaient "excessifs" ("Nobody could believe Zucker thought any political organization could use this ad. It makes a point, but it's way over the top."). Dans l'un d'eux, une actrice grimée en Madeleine Albright, l'ancienne secrétaire d'Etat de Bill Clinton, repeint la caverne de Ben Laden pour l'aider et lui change les pneus de voiture.

Quand le parti de Karl Rove (l'homme qui avait fait accuser McCain d'avoir des enfants illégitimes noirs en 2000) trouve que vos attaques sont trop grossières et risquent de se retourner contre eux, il est peut-être temps d'arrêter la satire.

Add.

Décidément, les conservateurs ont vraiment un problème avec l'humour, corrélat de la Loi de Poe.

3 commentaires:

  1. "Bergson faisait remarquer que la comédie, loin d'être "subversive", jouait souvent un rôle de régulation sociale"

    il y a une controverse amusante entre historiens et littéraires à propos de Molière. Les historiens de la société pensent qu'il est réactionnaire, et qu'il joue ce rôle de régulation ; les littéraires pensent qu'il est subversif...

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  2. C'est sans doute même le métier des littéraires que de montrer plus de "dialogisme" (ou d'irréductibilité du texte) là où on peut tendre à réduire au contexte.
    Les pièces sur les femmes (Femmes savantes, Précieuses ridicules) me semblent souvent surtout du premier côté (la dérision contre le groupe marginal, comme chez Aristophane) mais j'imagine qu'on peut quand même trouver quelques éléments plus "critiques". Même si Tartuffe, par exemple, vise peut-être plus comme hypocrites le jansénisme associé à la Fronde (Bulle Ad sacram et Formulaire d'Alexandre VII) que les bigots en général (?)

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  3. Dans mon souvenir, il y a surtout le Bourgeois gentilhomme, où l'idée d'ascension sociale est plutôt mal vue...

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