lundi 10 novembre 2008

Galimafrée



  • Comme dit Drum, l'idée que le New Deal de Roosevelt n'a pas vraiment marché contre la Grande Dépression et que seule la Seconde Guerre mondiale y a mis fin est déjà dans la Doxa (c'est ce qu'on m'avait appris au lycée en Histoire en Première il y a 20 ans, par exemple).

    Dès que je lis un site un peu conservateur, ils continuent de parler de cet échec comme un des Grands Secrets qu'on nous Cache par Idéologie keynesienne ou socialiste (alors que certains Marxistes semblent en fait aussi insister sur cet échec).

    En revanche, je crois que l'argument de Krugman (qui cite comme référence l'oeuvre de E. Cary Brown, 1916-2007, un des pères du systèmes de crédit fiscal sous JFK) est plus original puisqu'il soutient que ce fut bien un échec mais parce que Roosevelt ne fut pas assez keynesien et qu'il n'y eut pas assez de déficit et de relance, ce qui créa la nouvelle Récession de 1938.

    La dette américaine explose en fait pendant la Guerre à plus de 110% du PIB et même les dettes énormes actuelles de Bush fils restent bien en-deça de ce taux atteint en 1945. On est à environ 70% du PIB, ce qui dépasse le niveau de Bush Père (66%) d'avant la Croissance Clintonienne pour remonter au niveau sous Truman/Eisenhower pendant la Guerre de Corée.

    Cela me désespère un peu que cette question essentielle d'histoire et d'économie semble encore si "idéologique".

    Comme dirait Schumpeter (qui était d'ailleurs lui-même très pro-Hoover dans son libéralisme "liquidateur"), il est rationnel de s'appuyer sur l'Idéologie et donc sur des biais pour économiser un temps de recherche. Mais une question avec des Contre-factuels semble vraiment difficile à évaluer (l'échec du New Deal prouve-t-il celui du Keynesianisme ou bien qu'il n'y en avait pas assez ?).

    J'ai moins de problème à penser (dogmatiquement, je le reconnais puisque je ne connais rien en économie) que l'échec total des baisses d'impôts (plus de déficit et plus de récession à la fois !) de Bush ne pourrait pas excuser l'économie de l'offre de l'Eglise reagano-lafferite en prétendant qu'elles n'ont simplement pas été assez importantes (comme le prétendait Edward Prescott). Bush aura réussi à ruiner à la fois le budget fédéral et ensuite le pays, en un pire des Mondes, la Dette plus la Dépression.

    Il est malheureux de devoir former son opinion de manière aussi approximative et de seconde main comme tout citoyen dans un univers où l'économie mathématique est une technique trop compliquée à suivre mais je continue à croire plus à des phénomènes simples d'idéologie et, disons-le, de luttes des classes qu'à la vérité objective et désintéressée d'une telle théorie économique.

    Autrement dit, je ne crois pas que ces gens se tromperaient mais seraient sincères. Je crois de manière assez simpliste et vulgaire, que ce sont des salauds et des valets des oligarques, plus attachés à des intérêts particuliers de court terme qu'à la vérité ou l'honnêteté (cf. Badinguet).

  • Limbaugh appelle la Dépression actuelle la "récession Obama" en une fabuleuse causalité rétroactive. Dans un an, cela ne se remarquera même pas, mais maintenant cette mauvaise foi est splendide.

    Il oublie de dire que c'est aussi à cause d'Obama que les Taleban sont puissants en Afghanistan ou que Ben Laden est toujours en liberté.

  • Steve Coll dit que le plan de relance chinois revient à 5% de leur PIB et qu'Obama devrait atteindre le premier déficit à dépasser 1000 milliards de dollars.

    Republicans are already signaling the first post-election tactics off their shattered ideology—harping on the deficit. This is beyond ironic, of course, since the Bush Administration will have left office having overseen a rise in total U.S. public debt to its highest levels since the Truman Administration. (...)
    If the Bush Administration had been forced by a cataclysm on the scale of the Second World War to leave behind a debt load of this size, that would be one thing. Tax cuts for the wealthiest households and the war in Iraq, unfortunately, is largely what brought us here.


  • Antisophiste (et sa revue de presse en Sciences économiques & sociales) a de nombreux liens sur la Crise.

  • Il faudrait commencer à noter toutes les mesures ignobles que Bush va essayer de faire passer maintenant que les élections sont passées et qu'il n'a plus rien à perdre. Clinton dans ses dernières semaines en 2000 avait amnistié quelques personnes louches comme Marc Rich mais avait enfin commencé à accepter le Protocole de Kyoto, Bush va sans doute essayer d'amnistier des proches de sa propre Administration, et lancer des symboles vides contre la recherche scientifique sur les cellules-souche ou le réchauffement climatique. Il a déjà commencé à réduire l'aide médicale aux plus pauvres et on découvre qu'ils ont profité du Plan Paulson pour faire passer de nouveaux cadeaux fiscaux dont ils rêvaient depuis longtemps mais que même eux n'avaient pas osé avant. Une Crise est vraiment une Opportunité.

    Espérons que l'Administration Obama non seulement effacera une partie de ces textes mais saura aussi profiter un peu des "occasions" de la Crise pour des fins qui ne se limiteront pas à la même clientèle financière.

  • En parlant d'Obama, un "gadget" de mauvais goût (Not Entirely Safe For Work, j'imagine sauf si vous travaillez sur ce genre d'articles).

  • Via ce survol des théories sur l'élection d'Obama, cette théorie culturelle sur les résistances à Obama chez les populations américaines des Appalaches pourrait compléter un peu les généralisations de "psychologie culturelle" sur les Baptistes éleveurs violents racistes contre les Puritains de Nouvelle Angleterre plus ouverts (explication "culturaliste" qui ressemble à une nouvelle forme de simplification ethniciste).

  • Klein a une bonne remarque sur un "framing" que j'entends souvent :
    Without getting into the argument over what "Taqiya" actually is, I'm fascinated by the conservative attempt to make a simple concept -- "lying" -- sound much more sinister and essential by giving it an Islamic name

    Le terme me paraît en effet un des concepts qui est trop souvent lancés par les "demi-savants" pour habiller leur rejet des Musulmans comme "autres", comme si l'hypocrisie était vraiment plus cultivée dans une tradition juridique chiite pour des raisons historiques que chez d'autres casuistes (la "restriction mentale") et tartuffes dans de nombreuses autres religions. L'anti-jésuitisme de la Légende Noire véhiculait les mêmes discours contre les Catholiques, sans parler de l'anti-judaïsme. C'est un cas où les néo-cons qui parlent de Guerre des Civilisations et des relativistes sociaux de "gauche" partagent un attrait pour l'exotisme radical de l'Autre, qui serait "incommensurable" dans nos catégories.

  • Cela n'a rien à voir avec le sophisme de la vitre brisée mais ma vie quotidienne me fait découvrir un paradoxe sur ma tuyauterie.

    J'ai un robinet qui fuit et inonde ma cuisine. D'après mon propriétaire et l'assurance, je dois payer le plombier de ma poche puisque l'entretien courant est ma responsabilité de locataire (ce que je vais faire).

    Mais si je laissais fuir le robinet, l'eau entraînerait peut-être un dégât chez mon voisin (et mon assurance m'aiderait) soit sur les parties communes (et mon propriétaire devrait le régler).

    Autrement dit, le mécanisme rationnel devrait me pousser à maximiser le risque et à augmenter en fait les dégâts pour l'assureur ou le propriétaire, ce qui paraît très peu rationnel. Si l'assurance aidait plus à la prévention (dans l'entretien des infrastructures), n'en tirerait-elle pas un avantage ?
  • 6 commentaires:

    1. "Not Entirely Safe For Work, j'imagine sauf si vous travaillez sur ce genre d'articles"...
      indeed...

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    2. Lors de l'affaire de la poupée vaudou du badinguet, un porte flingue (pas Balkany, mais du même genre) avait dit que si l'on ne mettait pas de limites, il y aurait bientôt un godemichet à l'effigie du président. Comme on a droit à la poupée, j'espère que la suite viendra !

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    3. Beau billet, à tous égards.

      Un point me chiffonne. vous dites :
      je ne crois pas que ces gens se tromperaient mais seraient sincères. Je crois de manière assez simpliste et vulgaire, que ce sont des salauds et des valets des oligarques, plus attachés à des intérêts particuliers de court terme qu'à la vérité ou l'honnêteté (cf. Badinguet).

      Je n'en suis pas si sûr, y compris, voir surtout pour Badinguet. Ces gens sont sans doute des salauds, comme vous dites, mais ils sont aussi persuadés
      1) qu'ils ont raison, et œuvrent pour le bien commun (qui découle tout naturellement du bien des oligarques), et que leurs critiques sont des imbéciles qui ne les comprennent pas et dont ils feront le bonheur malgré eux (léninisme de Badinguet !). C'est tout le sens de l'insupportable "courage" politique, ressassé jusqu'à la nausée par politiciens et commentateurs.
      2) qu'eux seuls sont aptes à mettre en œuvre ces politiques nécessaires, qu'ils sont indispensables et "providentiels" (évident pour Badinguet).

      Badinguet croit en ce qu'il fait (et il est prêt pour cela à tous les moyens, c'est son "pragmatisme) et (parce que) il croit en lui.
      Les vrais "cyniques" (au sens moderne), les vrais salauds purement intéressés manquent de cette mégalomanie qui permet d'accéder aux plus haut postes, ils sont conseillers, seconds couteaux, éminences grises (différence entre Laval et Pétain, je dirais, pour donner un exemple canonique). Sans doute peut-on passer d'une catégorie à l'autre (dans un seul sens) mais elles demeurent.

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    4. > baptiste
      Je me moquais des gens capables d'acheter la Poupée vaudou mais en fait en y réfléchissant le fait que j'utilise tout le temps le nom de "Badinguet" (ce qui est peut-être injuste pour ce pauvre Napoléon III, mais aussi injuste envers quelqu'un qui après tout n'a pas eu besoin d'un coup d'Etat) relève aussi de la "Poupée vaudou" symbolique.

      C'est un peu le syndrome Sauron de Mordor. Comme si je craignais de lui accorder du pouvoir en citant son nom (comme les gens de droite qui disent Mit'rand). C'est complètement irrationnel.

      > jon osterman
      Oui, je peux croire à la sincérité de certains qui défendent ces positions et ne cessent de parler des adaptations nécessaires et des illusions naïves de l'Etat-Providence. Par exemple, tous les libertariens doctrinaires, mais aussi des économistes comme Hayek, et peut-être Thatcher, qui était aussi guidée par de vraies passions de ressentiment. Nozick y croyait vraiment (même si ces arguments semblent parfois des exercices formels).

      Mais dans le cas de Sarkozy, j'ai toujours un doute, sinon il ne pourrait pas ainsi dire tout et son contraire, se réclamer de Jaurès, dire qu'il veut moraliser le Capitalisme alors qu'il fait tout pour protéger les fautes des financiers. Ce n'est pas seulement jouer sur le discours social d'Henri Guaino et faire le contraire. Je ne dis pas qu'il use d'une rhétorique sociale mais serait libéral, c'est au fond qu'il n'est pas libéral non plus, il est kleptocrate, népotiste ou pro-oligarchique, ce qui est très différent et on le voit dès que le libéralisme risquerait de mettre en danger certains intérêts privés qui lui sont proches.

      Il doit être sincère dans son pro-américanisme de série télé, dans sa pop-religiosité vague de l'Espérance (de même que je me demande souvent, contre la thèse populaire en France et contrairement à un cynique comme Cheney, si Bush ne croit pas vraiment un peu à son discours messianique d'exportation de la démocratie).

      Il doit vraiment croire que le pays a "trop tardé à affronter les réformes" et que ces réformes pourront aussi profiter à tout le pays, mais je crois que c'est secondaire. Ce ne serait au mieux qu'un "plus" pour justifier les gains de court terme plus essentiels, ceux de Neuilly.

      C'est un peu primaire de ma part et je risque de sonner comme quelqu'un qui dénonce des boucs-émissaires ou les "Deux Cents Familles", j'en suis conscient (et je me considère pourtant comme un social-démocrate modéré et gradualiste).

      Mais je crois un peu le protectionniste Emmanuel Todd qui dit qu'on passe d'un modèle qui essaye de profiter aux Déciles supérieurs à un nouveau modèle de management plus inégalitaire voire "tiers-mondisé" qui cherche à profiter au Centile le plus favorisé (avec un peu de méritocratique et de discrimination positive symbolique quand même pour continuer à faire illusion).

      A part une partie encore peu mondialisée et donc plus protectionniste (le vote De Villiers, par exemple, en dehors des explications culturelles et xénophobes), "ils" ne doivent plus vraiment se soucier de la prospérité et du bien-être dans un pays qui n'est plus guère qu'un contrat précaire dans un marché post-national.

      Ils pourront délocaliser leurs entreprises, avoir accès à des soins privés de qualité et envoyer leurs enfants dans des écoles privées, sur place ou à l'étranger.

      J'exagère : il y a quand même encore des obstacles (ne serait-ce que culturels ou linguistiques).

      A l'après-guerre, il y avait un intérêt assez large pour financer l'Etat-Providence et les services publics, des efforts d'investissements qui faisaient partie de la modernisation gaulliste, maintenant ils sont persuadés que ces coûts sociaux sont devenus contraires à leurs intérêts.

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    5. ah ah ah, très bon "kleptocrate"... Vous êtes convaincant, mais je précise quand même. En fait la différence entre Sarkozy et les Hayek, Nozick, etc., c'est surtout le niveau de conceptualisation. Evidemment que le sarkozysme (si tant est qu'un telle chose existe) est une espèce de machin informe qui puise un peu partout, mais au fond toujours dans le sens oligarchique (oui c'est très bien dit je trouve ; c'est "ploutocrate", même s'il y a de ça aussi, qui ferait plus dénonciation primaire). Mais je persiste à penser que ce "pragmatisme" (il faudra bien dire un jour quelle misère ce mot, si aimé, si utilisé, recouvre en politique) est inspiré par une espèce de croyance diffuse. Il ne souhaite sans doute pas faire le bien de l'humanité, mais il est persuadé que la voie qu'il a choisie (et qui profite évidemment aux puissants, oligarques, etc.) est la bonne, parce que la seule possible (et tant pis pour ceux qui restent sur la route, c'est comme ça, et au fond c'est un peu leur faute après tout, ils n'ont qu'à savoir se "moderniser").

      "ils" ne doivent plus vraiment se soucier de la prospérité et du bien-être dans un pays qui n'est plus guère qu'un contrat précaire dans un marché post-national.

      ça doit être valable pour beaucoup de monde, mais à mon avis il y a toujours, chez ceux qui briguent et gagnent le pouvoir politique, au moins une sorte d'obscur nationaliste qui les fait s'identifier au "Destin" de la Nation, tout ça.

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    6. Juste un détail: je crois que Schumpeter a changé d'avis sur son appréciation de la réaction à avoir après la crise de 1929. Il faut que je vérifie dans la biographie de McCraw.

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