mardi 9 décembre 2008

Des lauriers pour Lauzier



Via Bodoï, Gérard Lauzier (1932-2008) est mort à 76 ans. "Anar de droite", "machiste" ou "réac", il avait été l'un des meilleurs caricaturistes des années 70, une sorte de double inversé de Brétecher en plus acerbe puisqu'il venait de l'autre bord. Il pouvait bien représenter l'absorption des idées vagues libertaires de 68 vers l'individualisme et il rendait assez fidèlement l'auto-caricature des modes gauchistes. Dans ses bd, les personnes de gauche sont toujours hypocrites, pleines de bonne conscience, de simplifications victimaire où tous leurs ennemis sont fascistes, d'arrogance sûre de leur supériorité morale (mais dans certaines Tranches de vie, le bourgeois conservateur est tout aussi prévisible).

Mais en même temps, un des thèmes constants de l'obsession hédoniste / libertaire est l'envie de "parasitisme" sur l'ambiguë "libération sexuelle". Il ironise sur ce qu'il considère comme une mode de déstructuration, et notamment sur le féminisme, et reconnaît sans cesse son aliénation à son désir d'en profiter lui-même. Ancien publicitaire au début des années 60, il a cotoyé à la fois la bourgeoisie des cadres et celle des "créatifs" qu'on appellera 30 ans plus tard les "bobos" et il voudrait à la fois le confort matériel des premiers et cette licence des seconds, tout en pouvant se moquer de la vulgarité des uns et de la prétention des autres.

Certaines Tranches de Vie des années 70 sont brillantes (par exemple, les séries anti-communistes, comme le voyage en URSS ou celle sur le cauchemar de Georges Marchais, qui a même certains passages d'empathie touchante sur un ancien résistant sénile et semble déjà caricaturer exactement le bobo par excellence que sera Frédéric Beigbeder, ou bien le traducteur entre dictateurs africains). La Vie des cadres est (dans mon souvenir) le plus souvent assez plat et vulgaire. Mais c'était à mes yeux mieux que le parfois sinistre Martin Veyron, dans le même genre.

Schneiderman en parle bien :
Pour tous les adolescents des années 70 qui le découvrirent dans Pilote (ô délicieux frissons du mardi matin), Lauzier fut un choc. De toute la floraison de dessinateurs offerts par Goscinny aux piloto-maniaques, en voilà un qui était de droite. Résolument, désespérément de droite. D'une droite plus à droite que la droite politique. Jeune cadre épuisé, ou ado provocateur à la table familiale: Lauzier ne dessinait de révoltés contre l'Entreprise, contre le Profit, contre l'Ordre des choses, contre l'Autorité, que névrosés, frustrés, pervers aux yeux vides. Les figures paternelles, en revanche, respiraient le bon sens et la stabilité. La société reposait sur elles, sur un cynisme assis sur l'expérience de la vie, et c'était très bien ainsi.

Le dévorant planche après planche, on haïssait Lauzier de nous haïr ainsi. On y était addict, et on avait honte. On l'admirait d'exprimer ce qu'aucun politique de droite, aucun jeune écrivain, tous tétanisés par 68, n'osaient exprimer. Plus tard, pour le cinéma et le théâtre, Lauzier brida son génie réactionnaire, et versa dans le gnangnan consensuel. Il démontra que la récupération fonctionne aussi dans ce sens-là.


Goscinny ne recruta Lauzier qu'en 1974 juste avant son remplacement par Guy Vidal qui va axer Pilote avec Lauzier, Bilal ou Pétillon vers une bd plus adulte. Des stars comme Mandryka, Gotlib et Brétecher étaient déjà partis fonder l'Echo des Savanes en 1972, puis Fluide Glacial en 1975. Mais Goscinny avait déjà embauché des gens bien plus à droite, comme le fascisant Serge de Beketch en 1969-74, tout en publiant un anar gauchiste comme Cabu.

Et contrairement à ce que dit Schneiderman, je ne crois pas ses films gnangnan échappaient pour autant à un style toujours résolument conservateur, même si c'était en effet moins "provoc". Psy (1981), contre les modes des thérapies, avait été plutôt pas mal, même si on a vu ce genre d'humour de nombreuses fois. Le sketch sur l'immigration de Tranches de vie, adapté ensuite par l'équipe pourtant assez politiquement correcte du Splendid en 1985 pourrait être très "grinçant", et assez lourd, puisque le "gag" est simplement que l'assimilation fonctionnait désormais à l'envers (les Français du XIII devenant chinois, ah ah). Le Plus Beau Métier du monde (1996) sur l'enseignement à Saint-Denis ("lycée Serge Gainsbourg") garde encore ces éléments "acides" et si le film est très médiocre, ce n'est pas vraiment parce qu'il serait "consensuel" mais parce qu'on a l'impression d'un simple amas de clichés mal-écrits. Il était rattrapé par un air du temps qu'il avait passé sa vie à capter.

Add.

Interview de Lauzier et de Riad Sattouf.

4 commentaires:

  1. C'est le Pilote de Vidal qui a été l'acte fondateur de la BD française, après le journal d'Astétix et Obélix. On découvrait la même semaine De Beketch (qui écrivait à Minute) faisant aussi des scénarios, très peu politiques, pour Loro. Des rubriques de Vidal carrément hors du temps qui défendait Disney. Les-méchants-cons-des-HLM dessinés pas Solé cassaient le décor, avant les émeutes de banlieue. F'murr génie, Druillet aussi, un chou rave qui chantait "oh mammy". Et puis la tendresse de Lauzier : ses héros sont des écorchés qui s'en prennent plein la tête et arrivent à s'endurcir ; Lauzier qui disait "un beau jour je mes suis regardé dans un miroir et me suis dit : voilà, je suis de droite. Depuis ce jour je me suis senti beaucoup mieux".
    Le Lauzier cinéaste ne m'intéresse pas, ses BD sont bâties comme des story boards qu'il suffisait d'incarner.

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  2. Et il y avait aussi Caza dans cette période (Scènes de la vie de banlieue) !

    Mais le Chou rave qui chante Mamie Blues, ce n'était pas Mandryka ?

    J'ai l'impression superficielle que le Pilote des années 60-70 a alimenté finalement plus de nouveaux talents que Fluide Glacial des années 80-90 (qui doit maintenant avoir une durée d'existence comparable). A part Binet, Boucq, Goosens, Larcenet, Tronchet, je ne connais pas bien ces auteurs (par exemple l'école d'Edika ou de Maester). Mais ce n'est peut-être qu'une erreur de perspective, si j'avais lu les Fluide de ma génération au lieu de lire les Pilote ou les Charlie de la génération précédente, je n'aurais pas les mêmes références (Gotlib, Fred, F'murr, Mandryka, etc).

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  3. Ah... Loro et sa Sweet Délice...

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  4. Effectivement, c'était un dessin très agréable, que ce soit les bd d'héroic fantasy de De Beketch comme Thorkael (1971-1973) ou bien la bd érotique Sweet Delice (1974-1975).

    Il y a une rétrospective sur BD Oubliées de Loro à Pilote et de cette série Sweet Delice.

    Zut, ça y est, Pilote me manque.

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