L'Anomie, voilà L'Ennemie !
En passant, ce biais cognitif des projections d'intentionnalité et de détection excessive d'actions humaines (comme dans l'apophénie) est aussi analysé par les théories cognitives comme Scott Atran et Justin Barrett comme une des causes de la croyance religieuse - mais aussi peut-être d'une partie de la créativité artistique (le démon de l'analogie).
[Je n'avais jamais imaginé la théorie bien connue de l'anomie sous cet angle pragmatique d'un "guide personnel" et non d'une analyse sociale mais en un sens la défense de la religion par William James entrait déjà dans ce genre d'idées.]
Ce passage (de la Dépression à la dépression) m'éclaire enfin sur l'ambiance si amère et particulière des salles des profs :
Anomie, for Durkheim, manifests itself (...) when “a kind of declassement occurs, suddenly thrusting certain individuals into a situation inferior to the one they occupied hitherto. They must therefore lower their demands, restrain their wants, learn greater self-control . . . they are not adjusted to the condition imposed on them and they find its very prospect intolerable; thus they experience suffering.”
On a souvent dit que les psychologies existentielles (et même la psychologie concrète/dramatique de Politzer) étaient des réactions "individualistes" contre le naturalisme de la psychanalyse mais y a-t-il eu des formes de psychothérapie "sociale" en dehors des formes (parfois un peu effrayantes) de behaviorisme ?
Dans le sens inverse, Antisophiste expliquait la théorie dite de "l'offre" en sociologie religieuse (les religions américaines subsistent mieux qu'ailleurs parce qu'elles sont en concurrence sans hégémonie claire : on se convertit d'une religion vers une autre alors que les pays très athées comme la Suède ou la France n'avaient presque le choix qu'entre une Eglise dominante et l'athéisme - cela marchait même pour le cas très particulier du Japon avec son syncrétisme shinto-bouddhiste qui est attaqué maintenant par le christianisme).
En passant, je ne conseille pas Rodney Stark (qui défend cette théorie de l'économie religieuse). Il est très érudit et me semble même assez convaincant sur cette idée, mais il est très loin de la neutralité axiologique et de la sobriété weberienne d'une sociologue des religions. Il ne cache pas un souci apologétique un peu irrité en faveur du Catholicisme et (curieusement, pour un pro-Catholique qui se dit non-affilié) contre les théories de l'évolution (notamment dans son livre For the Glory of God). Il faut ajouter des passages qui sont simplement conservateurs et réactifs en défense de l'Occident (ce qui pourrait bien sûr se défendre mais pas dans une analyse qui se veut "objective").
La sociologue ne saisit jamais directement les grandes fictions (”sécularisation”, “individualisme”, “bourgeoisie”…) qui servent à décrire et comprendre la société (encore une).
Dire que la Société est une fiction pourrait revenir à dire que Margaret Thatcher ("There is no such thing as society"), les holistes et les individualistes méthodologiques sont finalement d'accord sur ce point.
Mais c'est sans doute une question d'échelle, et tout ensemble social peut se retrouver dans une intersection de plusieurs classifications (problème du charcutage des espèces non-naturelles) sans que cela compromette toujours l'idée vague et pré-scientifique de départ.
Zeldin prétendait dans L'Histoire des Passions françaises remettre en cause la classe sociale en analysant, par exemple, des intérêts divergents entre médecins et juristes (si je me souviens bien) mais je ne crois pas que cela suffise à dissoudre complètement "classes dominantes" ou "professions libérales".
"Fiction" est peut-être un peu fort... C'était pour dénaturaliser un peu la chose. Je frémis à chaque fois que j'entends des juristes parler de "le législateur" (au lieu de "50 députés mâles UMP de plus de 55 ans")... Me rappeler que ma profession parle de "la sécularisation" sans frémir m'aide...
RépondreSupprimerAh, une fiction juridique comme une compagnie existe bien en un sens comme personne morale (c'est la théorie de Bentham sur les fictions sociales).
RépondreSupprimerLa substantialisation du Législateur est une reprise idéologique du concept que je comprends le moins chez Rousseau, celui de Volonté générale (impartiale et infaillible par principe, et qui ne doit s'appliquer non pas aux lois particulières mais seulement à des parties absolument universelles et sans particularisation dans les lois constitutionnelles). Le préambule de la constitution cite ce terme (art. 6 "La loi est l'expression de la volonté générale") alors que c'est sans doute la partie la plus obscure de toute la métaphysique de la Loi chez Rousseau.
Il me semble que Freud dit aussi des choses sur le biais d'intentionalité et l'origine des religions, mais évidemment il le dit avec un vocabulaire psychanalytique, genre "projection du Moi sur le monde qui entoure le sujet". Je trouve l'idée assez convaincante.
RépondreSupprimerOui, et l'idée freudienne de la projection de l'image paternelle dans L'Avenir d'une illusion marche aussi très bien pour les religions judéo-chrétiennes (mais aussi pour certains chefs de panthéons polythéistes qui sont toujours qualifiés de "Père" dans les Hymnes que ce soit Jupiter, Odin ou Vishnou). Ca ne marcherait peut-être pas comme mécanisme général (le Bouddha n'ayant pas vraiment une image "paternelle", même si la déesse chinoise Guān yīn est maternelle).
RépondreSupprimerLe seul truc qui me paraît une fausse étiologie mythique est le récit (brillant) de la Horde Primitive et du Parricide originel dans Totem et tabou, qui est une évhémérisation ingénieuse du mythe grec.
Tous les malheurs de ce monde sont causés par les juifs et francs maçons,dont font partie les intellectuels.Ceux ci(les philosophes,artistes,érudits,professeurs agrégés)font partie d'une caste,qui veut dominer le prolétariat
RépondreSupprimerHeu... pastiche des théories du complot mentionnées dans le premier paragraphe, c'est bien ça ?
RépondreSupprimernon c'est ce qu'on entend dire sur certains sites
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