vendredi 13 mars 2009
Diatribe morale
J'ai souvent reproché aux interviews de Jon Stewart d'être trop accomodantes et tellement courtoises qu'il semblait abandonner la satire (une exception avait été l'interview de Jonah Goldberg quand celui-ci accusait les progressistes d'être fondamentalement des fascistes - cf. cette synthèse sur les critiques stewartiennes), mais la confrontation tant attendue avec Jim Cramer a été un choc mémorable. Alors que Cramer semblait arriver penaud et conciliant, Stewart a abandonné tout humour et attaqué la chaîne de nouvelles financières CNBC avec une radicalité plus violente encore que lorsqu'il avait contribué à décrédibiliser l'émission Crossfire de CNN, un peu avec la hargne que peut employer un interviewer politique de la BBC comme Jeremy Paxman.
Alors que je pensais qu'il allait désamorcer toute la polémique devant Cramer, le ton de Stewart devenait de plus en plus irrité. Il ressemblait plus à celui d'un procureur lors d'une mise en accusation lorsqu'il passe une vidéo incriminante sur l'hypocrisie totale de Cramer. On en arrive presque à avoir de la peine pour Cramer qui se fait vraiment humilier comme un escroc et un complice direct de tous les Madoff, et qui arrive à le prendre en se décomposant mais sans manifester son personnage irascible habituel (ce qui prouve d'ailleurs à quel point ses scènes de colère ne sont qu'un jeu de comédien).
Le problème (comme dit Yglesias) est que cette dénonciation si ferme de l'exploitation des petits épargnants n'aura vraisemblablement aucune conséquence réelle (sur CNBC, sur Bloomberg ou sur le journalisme - sauf peut-être pour Cramer lui-même qui risque d'avoir perdu à la fois la confiance de ses spectateurs et de ses patrons moins prêts à reconnaître leurs torts). On est un peu dans la situation où les bouffons du Roi peuvent dire la vérité parce que personne ne les prend au sérieux.
Add.
Je n'imaginais pas que Cramer dirait dès le lendemain que rien ne s'était passé, et reprendrait exactement les mêmes trucs d'hymne du Dow Jones.
Tucker Carlson, démagogue-partisan à-noeud-papillon de son métier, accuse Stewart d'être un "démagogue partisan" pour son attaque.
C'est drôle j'avais justement l'analyse inverse: il me semblait que Stewart avait été assez clair dans sa confrontation en disant que ce n'était pas Cramer lui-même qui en était la cible principale mais tout le système de la CNBC et qu'il fallait que cette chaine revoit sa stratégie et fasse du vrai journalisme. Je ne suis pas sûr que ça restera sans effet d'ailleurs parce qu'il me semble que presque tout le monde accepte désormais l'idée que les excès passé du système (excès totalement contraires à l'esprit du capitalisme) ont failli causer sa perte. Mais il est possible que je sois optimiste... Quoique, lire ceci (http://tunedin.blogs.time.com/2009/03/13/stewartcramer-whos-this-song-about/#more-3637)hier m'a légèrement rassuré.
RépondreSupprimerOui, les intentions de Jon Stewart sont la critique des médias, de ce qui passe pour du journalisme et la responsabilité de l'infospectacle. Mais des années d'ironie sur les mensonges et détournements de Fox News n'ont eu aucun effet et je ne crois pas que CNBC soit longtemps affecté dans son public cible.
RépondreSupprimerPar exemple, la tirade de Rick Santelli contre la redistribution ("Obama veut ruiner les winners pour subventionner les losers") qui nous paraît si ignoble a été au contraire très bien reçue et rediffusée par CNBC avec fierté.
Même si Jim Cramer n'était qu'un rouage parmi d'autres, son humilité apparente pendant l'interview pourrait se retourner contre lui. Non seulement il concédait tout mais n'avait aucune défense en dehors d'une fausse naïveté. Il sera pris comme un symbole gênant des turpitudes d'une chaîne de vendus.
Ce post 'Yglesias conforterait plutôt mon pessimisme : les gens de CNBC sont fiers d'eux et se croient victimes d'une chasse aux sorcières de la Gauche stewartienne.
RépondreSupprimerPour le coup, j'ai vraiment été naïf!
RépondreSupprimerReste plus qu'à espérer que l'ampleur même de la crise incitera ces gens-là à réfléchir. Ca parait de plus en plus improbable, cependant: soit l'Administration Obama résout la crise et ils soutiendront qu'il ne s'est rien passé, soit elle se plante et ils accuseront Obama d'avoir causé la crise avec sa politique socialo-fasciste!
Je viens de regarder CNBC, que je n'avais jamais utilisé (mon intérêt pour la bourse étant proche de zéro).
RépondreSupprimerCertains tics d'infospectacle y sont presque pires qu'à Fox News en fait parce qu'ils prétendent être seulement des "pragmatiques" sans idéologie alors que je doute que même les fans de Fox News croient vraiment qu'ils sont "Fair & Balanced".
Un présentateur (sans doute pour imiter les provocations de Rick Santelli) expliquait dans une discussion sur l'OPEP qu'il ne comprenait pas pourquoi les USA n'envahissaient pas le Vénézuela alors qu'il était évident que tout l'Hémisphère leur appartient et doit leur appartenir. On aurait dit un castriste du Monde diplomatique inversé, cette chaîne d'information pourrait presque rendre plus anti-américain que l'Administration Bush.