lundi 20 avril 2009

Wiederholungszwang



Keith Olbermann de MSNBC avait fini dans les dernières années de l'administration Bush par s'autoparodier dans ses diatribes dramatiques et réquisitoires un peu pontifiants d'indignation contre les méfaits du pouvoir. Il avait raison sur le fond, bien sûr, mais la forme télévisée le réduisait un peu à une sorte de spectacle de Fox News inversé (ce que ridiculisait un sketch de SNL avec Ben Affleck tonnant, non-consultable depuis l'Europe). C'est pourquoi une comédie un peu moins directe comme le Daily Show de Jon Stewart finissait par mieux représenter l'effarement de la population contre le régime.

Cependant, Olbermann a un argument intéressant dans son discours de vendredi contre la décision d'Obama de ne pas poursuivre les auteurs de torture pour commencer le processus de guérison du pays. Depuis le Watergate, on n'a cessé de répéter que cette petite affaire d'espionnage de l'opposition par le pouvoir était un symbole de ce qui ne devait plus arriver. Mais l'amnistie de Nixon et l'impunité des Nixoniens comme Dick Cheney ou Donald Rumsfeld a conduit directement aux turpitudes bien plus graves encore de l'administration Bush trente ans après, avec encore plus de mises sous écoutes, encore plus de mensonges, encore plus de crimes de guerre. Alors que la presse se référait avec une "compulsion de répétition" au Watergate ou au Vietnam comme ce qu'il ne fallait pas oublier, tout se passe comme si le refoulement avait été d'autant plus facile dans un refrain vide sans la sanction. On l'a refait d'autant plus qu'on en parlait toujours contre sans rien faire contre.

Une amnistie est parfois nécessaire politiquement. Mais quand elle s'accompagne d'un discours constant qu'on a eu tort de le faire, c'est un bon signe que le processus de réconciliation est saboté et qu'une névrose latente risque de s'infecter.

La chroniqueuse juridique Dahlia Lithwick a un argument encore plus cruel contre l'administration : les Bushiens disaient que la torture n'était pas grave si les victimes pouvaient s'en remettre (même si en réalité il y a eu de nombreux "disparus"), de même Obama dit que cette pratique pourra être refoulée si le pays peut ainsi "soigner ses plaies".

Il y a un catch-22 intéressant dans ces Mémos du Département de la Justice et leur minutieuse apologie bureaucratique des sévices. Ils prouvent que le gouvernement savait qu'il y avait de la torture et qu'il l'autorisait. Mais ils font aussi que les tortionnaires doivent jouir d'une impunité puisqu'ils disposaient d'un soutien de l'autorité légale de l'Office of Legal Counsel qui lavait déjà leurs crimes en cas de poursuites futures.

Autrement dit, même si Obama avait décidé de poursuivre les tortionnaires, il aurait probablement échoué car il a pu abolir les Mémos mais les procureurs spéciaux auraient du mal rétroactivement à montrer qu'il y avait vraiment infraction (sauf, comme le dit le formaliste Russ Feingold en dehors de quelques cas où clairement ils seraient allés au-delà de ce qui était déjà autorisé par le Département de la Justice de l'époque).

Certes, c'est un cas où l'interdiction internationale de la torture pourrait avoir prééminence et où, tout comme à Nuremberg, la juridiction nationale ne peut absoudre (ce qui rappelle encore une fois pourquoi les Conservateurs haïssent tant le concept de droit supranational et le "transnationalisme juridique).

Glenn Greenwald semble dire que les poursuites échoueraient peut-être mais que c'est quand même le devoir (et même l'obligation légale en droit international) de l'administration que de les mener, mais les Obamiens sont trop pragmatiques pour suivre cette voie légale formelle.

Les Mémos sur la torture ont donc une réception contradictoire : la gauche reproche à Obama de pardonner les faits qui y sont révélés, la droite lui reproche de les avoir révélés tout court.

Du côté des Républicains, non seulement ils ne critiquent pas la torture mais ils continuent à soutenir la thèse absurde qu'elle aurait permis d'empêcher un nouveau 11 Septembre (ce qui doit plutôt venir de la Guerre en Afghanistan contre Al-Qaeda et non pas des déviations inutiles, immorales et sadiques de certains officiers qu'ils prennent un peu trop de plaisir à justifier) et que le vrai crime est de prétendre criminaliser le crime.

Et à nouveau le même Argument du Chaudron : d'abord, ce n'était que des "plaisanteries" inoffensives mais ensuite, oui, il ne faut pas "se lier les mains" en s'interdisant de torturer. Ce serait à refaire, ils le referaient en connaissance de causes.

Il y a quelque chose de plus effrayant encore qu'un bourreau s'adonnant à ses bas instincts dans ce cadre déstabilisant d'une cellule, c'est un politique qui cherche à dire, à distance et froidement, que ce défoulement tortionnaire et barbare a sauvé la Civilisation et que ceux qui voudraient le sanctionner sont des naïfs complices des terroristes.

2 commentaires:

  1. L'Office du Legal Counsel a-t-il vraiment une telle autorité, au point où les tortionnaires ne peuvent pas être poursuivis ?

    Je pensais que son rôle était plus consultatif, et que certes ces mémos aideraient bien la défense des gens de la CIA (puisqu'ils peuvent dire qu'ils se croyaient dans la légalité de bonne foi) mais qu'ils n'étaient pas un obstacle fondamental à leur condamnation. Après tout, "nul n'est censé ignorer la loi", alors j'aurais cru que si on peut prouver qu'on a été mal informé sur la loi ça aide mais ça ne sauve pas, si ?

    Et je croyais qu'en ce qui concerne les crimes contre l'humanité, "je ne faisais que suivre des ordres" n'aidait que moyennement ?

    Finalement le fait qu'Obama cherche à garantir l'immunité de ces gens, pour moi, indique qu'il y a un risque qu'ils soient condamnés, justement.

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  2. Non, en effet, ils pourraient bien être poursuivis (et il se peut même qu'en fait le DoJ n'ait pas vraiment le choix d'après certains experts) mais ils auront un bon argument en disant qu'il y avait tout un conseil légal disant qu'ils étaient dans une zone grise et qu'ils ne torturaient pas vraiment.

    Mais Greenwald et d'autres citent en effet un argument du type Nuremberg.

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