Le sens commun s'est inversé à présent sur Tolkien et on a tendance à voir rétroactivement en lui tous les vices de ses innombrables clones ou la lourdeur simplificatrice de ses fans. Moorcock a attaqué violemment le maître de la High Fantasy épique en le réduisant à une forme de réaction guindée oxfordienne (pour Moorcock, les vrais grands auteurs britaniques fantastiques étant Edith Nesbit ou Mervyn Peake) et il est devenu à la mode de caricaturer en Tolkien quelque chose de médiocre dans le genre des pisse-copies commerciaux comme Terry Brooks, David Eddings ou Terry Goodkind. Il était original à l'époque du poète W.H. Auden de dire qu'il aimait Tolkien (parce qu'on le considérait comme un écrivain pour enfants) mais il serait aussi paradoxal de l'avouer aujourd'hui (où on le considère comme un succès de masse pour une époque d'infantilisation geek).
C'est pourquoi il est rafraichissant de lire un auteur aussi post-post-post- déconstructomarxiste que China Miéville écrire un éloge de Tolkien. La platitude est redevenue paradoxale et après des années à répéter que Tolkien est l'idéologie occidentale raciste colonialiste et réactionnaire (les Elfes comme Ur-Aryens, la technophobie inspirée du socialiste romantique William Morris) on est revenu à la réception des années 60 qui insistait plus sur les potentialités inexplorées.
Par exemple, le concept de "sous-création" (défendu par le catholique Tolkien dans son essai, "On Fairy-Stories", 1939) est devenu une telle évidence aujourd'hui qu'on oublie à quel point Tokien (plus que ses devanciers comme E.R. Eddison) fut en rupture avec toute la tradition littéraire sur ce point : le récit doit dériver du cadre fictif au lieu que ce dernier ne serve que le récit. Avant Tolkien, il y avait des cosmogonies et des "constructions de mondes", mais les mondes étaient archivés par les mythologues à partir du chaos contradictoire des mythes. Le récit fictif avant le monde fictif. Avec le fantastique moderne, la mythologie est perçue comme une matrice productrice de nouveaux mythes, au lieu d'une réorganisation d'après-coup, le monde comme une des conditions du récit.
Middle Earth was not the first invented world, of course. But in the way the world is envisaged and managed, it represents a revolution. Previously, in works such as Eddison's, Leiber's, Ashton Smith's and many others', the worlds of magic, vibrant, brilliant, hilarious and much-loved as they may be, were secondary to the plot. This is not a criticism: that's a perfectly legitimate way to proceed. But the paradigm shift of which there may be other examples, but of which Tolkien was by a vast margin the outstanding herald, represents an extraordinary inversion, which brings its own unique tools and capabilities to narrative. The order is reverse: the world comes first, and then, and only then, things happen--stories occur--within it.
So dominant is this mode now (as millions of women and men draw millions of maps, and write millions of histories, inventing worlds in which, perhaps, eventually, a few will set stories) that it's difficult to see what a conceptual shift it represented. And it is so mocked and denigrated--often brilliantly, as in the ferocious attack by M. John Harrison, that outstanding anti-fantasist, wherein he describes worldbuilding as the 'great clomping foot of nerdism'--that it's hard to insist that it brings aesthetic and epistemological possibilities to the table that may be valuable and impossible any other way.
Je suis toujours surpris par la quantité de jeunes geeks (en devenir) qui se frottent à Tolkien alors qu'ils prétendent être allergique à toute autre forme de littérature datant d'il y a plus de trente ans.
RépondreSupprimerÀ propos de Miéville, quelqu'un a-t-il lu son dernier roman, « The City & The City » ? Un avis éventuel ?
C'est d'autant plus intéressant que Miéville a été (et reste) très critique vis-à-vis de Tolkien.
RépondreSupprimerRemarquons aussi que ce qu'il dit sur la sous-création s'applique très bien à sa propre œuvre. On pourrait presque dire que les affinités artistiques priment sur les affinités idéologiques dans ce cas.
Il faudrait également dire quelque chose du jeu de rôle.
Si le background du scénario a été conçu uniquement pour servir celui-ci, les joueurs ne peuvent pas s'éloigner de la trame prédéfinie de l'histoire sans solliciter fortement les capacités d'improvisation du MJ.
Au contraire, on peut inventer une situation si cohérente qu'il n'y a pas besoin de tracer un scénario a priori ; les réactions “naturelles” de l'environnement amèneront les joueurs vers le dénouement.
> A
RépondreSupprimerNon, je suis même en retard pour l'Iron Council dans l'univers de Scar.
> Nicolas
Oui, et le jeu de rôle a accru la richesse des univers de fiction en un sens car auparavant la plupart des univers de fiction (même Tolkien) semblaient un peu concentrés sur une seule intrigue ou une seule quête (pour la Terre du Milieu, l'histoire des Silmarils puis de l'Anneau) alors que le propre des univers de jeu de rôle est de ne pas avoir une seule méta-intrigue aussi unifiée.