vendredi 10 juillet 2009

Bulles d'Or



Je suis un peu déçu par le nouveau grand article de Matt Taibbi dans Rolling Stone sur le rôle de la banque Goldman & Sachs dans les dernières bulles spéculatives (mais c'est peut-être seulement parce que la version en-ligne est un résumé). [Add. Voilà, via, une version complète scannée]

En gros, Taibbi décrit la banque Goldman comme devenue trop puissante et trop reliée aux gouvernements dans les deux Partis, démocrate comme républicain, pour être une puissance financière comme les autres et il dit de manière assez convaincante que Goldman sait maintenant utiliser les Crises financières pour en tirer d'énormes profits. On serait alors dans une situation pire que dans le modèle marxiste (où l'économie capitaliste ne pourrait pas éviter d'entretenir des crises périodiquement) où la classe dirigeante utiliserait ces crises dans son propre intérêt.

Tout cela est convaincant quand on voit que Henry Paulson, l'ancien secrétaire au Trésor de Bush II, a laissé couler Lehman Bros, rivale de Goldman, en 2008 et a ensuite soutenu un Plan pour rembourser Goldman sans jamais se poser de question de conflits d'intérêt alors qu'il avait lui-même travaillé pendant 32 ans chez Goldman juste avant son poste... Même chose pour l'ancien avocat Robert Rubin, secrétaire au Trésor de Clinton (1995-1999) après avoir passé 26 ans chez Goldman (il devint ensuite directeur de Citigroup, qui vient d'être racheté).

On voit sur cette couverture si ironique du Time en février 1999 "Le Comité des "Marchétaires" pour Sauver Le Monde", le chef de la Fed Alan Greenspan, Robert Rubin et son successeur Lawrence Summers les organisateurs de la dérégulation de la fin de l'ère Clinton qui devait conduire à la Grande Dépression dix ans après.



Mais cela dit, l'article de Taibbi n'est pas aussi instructif que son précédent sur AIG-FP (hélas, lui aussi racourci dans la version en ligne).

Taibbi a d'ailleurs lui-même dit que son article précédent avait été mieux accepté par les milieux financiers car il se concentrait sur la minutie de Joseph Cassano et que les banquiers étaient trop contents de voir en lui un bouc-émissaire individuel alors que l'article sur Goldman-Sachs est bien plus universel dans son analyse d'un système au centre du capitalisme mondial. [En passant, je suis choqué que Michael Lewis dans son long article sur Joseph Cassano et la chute d'AIG semble simplement reprendre la thèse d'une responsabilité individuelle et ne mentionne en plus jamais les reportages de Taibbi parus avant les siens.]

Taibbi se défend contre deux attaques absurdes, celle d'anti-sémitisme (Goldman était à l'origine fondée par des Juifs) et celle de naïveté (ce système est-il immoral si en fait "tout le monde le fait"). Ce second argument en dit long sur la perte de tout repère par la finance. Le premier argument est un sophisme paranoïaque commode pour rejeter toute critique de Goldman. Ceux qui voient des antisémites partout rendent paradoxalement service à tous les vrais antisémites qui pourront ainsi continuer à nier toute responsabilité en prétendant être victimes d'une campagne de mauvaise foi.

Une des manières de rappeler à quel point les méfaits de Madoff ou de la banque Goldman n'auraient aucune raison d'exciter les théories du complot antisémites est que les victimes de Madoff étaient souvent des organisations juives. Quant à Goldman, son action a fait en sorte de détruire sa vieille rivale Lehman. Ironiquement, Lehman Bros. avait été fondée vers 1850 comme un commerce de coton dans l'Alabama par Henry, Emanuel et Mayer Lehman. Marcus Goldman fonde sa petite banque en 1869 à New York. Dès cette époque, les Lehman fonde la Bourse du Coton à New York et un des amis d'Emanuel Lehman, Samuel Sachs va épouser la fille de Marcus Goldman et devenir son partenaire. Les deux banques d'investissement avaient donc des origines proches à l'origine de la bourse new-yorkaise. Certains cadres ont d'ailleurs encore aujourd'hui navigué entre les deux banques, comme le cousin de Bush, George Herbert Walker IV, qui a commencé chez Goldman avant de devenir le jeune PDG de la banque Neuberger-Berman, qui appartenait à Lehman de 1999 à sa faillite.

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