lundi 24 août 2009

Domination et Servitude (17/19)





« §17 Nous avons seulement vu ce que la Servitude est dans le rapport de Domination. Mais elle est aussi Conscience de soi, et il nous faut maintenant examiner ce qu'en conséquence elle est en soi et pour soi-même. En premier lieu, pour la Servitude, le Maître est l'essence ; la Conscience autonome pour soi est donc à ses yeux la vérité, laquelle cependant POUR ELLE n'est pas encore chez elle. Simplement, elle a chez elle-même, en fait, cette vérité de la négativité pure et de l'être pour soi ; car elle a fait sur elle-même l'expérience de cette essence. Cette Conscience, en effet, a eu peur, non pour telle ou telle chose, ni en tel ou tel instant, mais pour son essence toute entière ; car elle a ressenti la crainte de la mort, de ce Maître absolu. Elle y a été dissoute intérieurement, parcourue de part en part en elle-même par ce frisson, et tout ce qui était fixe en elle a tremblé. Or ce mouvement universel pur, cette fluidification absolue de toute subsistance, c'est l'essence simple de la Conscience de soi, la négativité absolue, le pur être pour soi, qui est aussi accolé à cette Conscience. Ce moment du pur être pour soi est en même temps pour elle, car, dans la personne du Maître il est à ses yeux, son objet. En outre, ce n'est pas seulement cette dissolution universelle en général, mais dans le service elle l'accomplit effectivement ; c'est là qu'elle abolit dans tous les moments singuliers son attachement à une existence naturelle, et se débarrasse de celle-ci par le travail. »


Le terme de "négativité" est très équivoque dans tous ces paragraphes. Le Maître avait nié la vie en surmontant la crainte de la mort et il se donnait comme pur "être pour soi", la pure liberté de la Conscience. Mais en fait il se contentait d'exercer la domination et la jouissance.

Le Serviteur va être celui qui fait face à une autre sorte de Négativité. En un sens, en se subordonnant à la nature et au Maître, il s'est nié lui-même, il est devenu le Travailleur qui nie le donné. Mais la vraie négativité assumée est ici la crainte de la Mort.

Le Serviteur met la vérité de l'essence reconnue dans le Maître, dans la Conscience autonome et donc tout l'être pour soi est hors de lui-même. Mais en fait, elle va découvrir que cet être pour soi, elle l'a en elle-même.

La Conscience "non-autonome" du Serviteur va découvrir que sa vraie relation n'a pas été seulement la soumission au Maître mais celle au Maître Absolu, la Mort. Alors que le Maître l'a emporté par son dépassement de la crainte, le Serviteur arrive à un progrès de conscience en ayant fait l'expérience de cet effroi, en ayant été confronté directement à la possibilité de son propre anéantissement. C'est donc celui qui a admis en lui cette angoisse totale et non pas celui qui l'a niée qui va pouvoir agir concrètement dans la vie, alors que le héros fanfaron se perd dans la jouissance insouciante et oisive. Le Serviteur se rend et se vend parce qu'il craint pour sa vie, mais cette "bassesse" ne lui a pas retiré son humanité, elle révèle aussi une part essentielle de cette expérience.

Pour Hegel, philosophe du Devenir, la Mort a joué ici le rôle essentiel en tant que "crainte et tremblement". L'ancien élève en théologie Hegel ne pense peut-être pas ici à l'Epitre aux Philippiens 2 ; 12 : "μετὰ φόβου καὶ τρόμου τὴν ἑαυτῶν σωτηρίαν κατεργάζεσθε" "Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement".

La crainte n'est pas ici un effroi devant la transcendance divine mais bien sa propre fin. C'est la "dissolution", "la fluidification absolue de tout ce qui subsiste". Le Serviteur a été terrifié mais cette terreur est ici le face-à-face avec sa propre finitude, avec le néant à travers l'être.

Et c'est grâce à cette angoisse qu'il accomplit son "service". L'élément important va donc être aussi cette longue et austère besogne, ascèse laïque en ce monde.

Kojève ajoute un élément intéressant qui est que le Maître ne peut ni ne veut progresser ou se changer parce que la situation lui profite. Le Seigneur guerrier ne pourra pas être l'agent de l'histoire face à la nature. Le Serviteur n'a pas vraiment voulu se soumettre ainsi et il a donc latitude pour changer. Cependant pour l'instant, ce n'est bien qu'à l'intérieur de cette relation qu'il va connaître l'expérience du travail après l'angoisse mortelle.

Don Quichotte, I, XXII : Malgré Sancho Panza qui tente de l'en dissuader, Don Quichotte libère les forçats emmenés vers les Galères. Il en sera fort mal récompensé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire