dimanche 16 août 2009

Domination et Servitude (9/19)



C'est le début de la Lutte pour la reconnaissance.




§9 La Conscience de soi est d'abord simple être pour soi, égal à soi-même par exclusion de soi de tout ce qui est autre ; elle a pour essence et objet absolu Je ; et dans cette immédiateté, dans cet être de son être pour soi, elle, elle est entité singulière. Ce qui pour elle est autre chose est, en tant qu'objet inessentiel, marqué du caractère du négatif. Mais l'autre est aussi une Conscience de soi ; un individu se présente face à un autre individu. Et se présentant face à face ainsi immédiatement, ils sont l'uns pour l'autre à la manière d'objets communs ; figures, personnages autonomes, consciences abimées dans l'être de la vie — car c'est en tant que vie ici que l'objet qui est s'est déterminé — qui n'ont pas encore accompli l'une pour l'autre le mouvement de l'abstraction absolue, qui consiste à anéantir tout être immédiat et à n'être que l'être purement négatif de la Conscience identique à soi, ou encore, qui ne se sont pas encore exposées l'une à l'autre comme pur être pour soi, c'est-à-dire comme Conscience de soi. Chacune, certes, est bien assurée de soi, mais non pas de l'autre, et c'est pourquoi sa propre certitude de soi n'a pas encore de vérité ; car ce qui serait sa vérité, ce serait seulement que son propre être pour soi se fût exposé à elle comme l'objet autonome, ou, ce qui est la même chose, que l'objet se fût exposé comme cette pure certitude de soi-même. Or ceci n'est pas possible selon le concept de reconnaissance, sauf si chacun, l'un agissant pour l'autre comme l'autre agit pour lui, accomplit sur lui-même par sa propre activité, et à son tour par l'activité de l'autre cette pure abstraction de l'être pour soi.


Les paragraphes 9-11 introduisent d'abord le Combat des deux Consciences avant d'arriver à la dissociation du Maître et du Serviteur au §12. On commence ici à décrire séparément les termes en opposition avant d'arriver à l'enjeu de la "Lutte à mort".

La Conscience de soi est l'être pour soi "simple", se prenant immédiatement comme le "Je", comme un individu singulier, s'affirmant encore avec une certaine brutalité naïve avant même toute rivalité.

La Conscience de soi apparaît encore comme encore "immergée" dans "l'être de la vie". Hegel récapitule ainsi le début du chapitre IV où il avait opposé un rapport immédiat à l'être de la vie comme consommation et le Désir (propre à la Conscience de soi) comme inquiétude et "désir du désir de l'autre", désir de reconnaissance. Or les deux individus se posent donc d'abord comme dans leur existence animale (pour reprendre une précision qu'ajoutait Alexandre Kojève dans son interprétation "anthropologique" feuerbachienne), dans une "certitude immédiate et brute de soi-même". Il faudra donc que ces deux certitudes découvrent un ébranlement et une négation même de la vie pour sortir de cette assurance. Ce n'est qu'alors qu'il peut y avoir une sorte d'épreuve pour que le désir cherche la vérité de la Conscience de soi.

Cette épreuve pose bien le problème de la vérité (Hegel parlera d'épreuve ou de recherche de garantie, l'acte d'avérer la Conscience au §11) mais la notion de compétition mortelle montre bien que ce n'est pas encore un doute même nihiliste (figure du Sceptique) mais plus immédiatement le plus grand risque, la plus suprême des inquiétudes sur sa propre vie.

L'illustration est l'un des derniers tableaux de Delacroix pour Saint Sulpice (1861). La Phénoménologie de l'Esprit de Hegel trouve son culminant dans les deux derniers chapitres, La Religion et la Philosophie, et Kojève, dans ses cours brillants de 1933-1939 sur la philosophie de la religion, a projeté toute la Dialectique du Maître et de l'Esclave sur les rapports entre Dieu et l'Homme (l'Homme étant le Serviteur qui est, par son oeuvre, la Vérité de la relation Dieu-Homme). Le combat de Jacob avec l'être mystérieux sur le gué du Yabboq (Genèse, 32) est très ambigu. Jacob s'attend à devoir affronter pour la Reconnaissance son frère jumeau Esaü - ancêtre des Edomites qu'il a spolié auprès de son père Isaac (Genèse 27 "Es-tu Esaü ? - Je suis Moi.) - mais combat alors le Seigneur (ou du moins un Messager divin comme Gabriel). Et loin de lui reprocher son combat ou de lui demander la même sujétion absolue qu'à son grand-père Abraham, Dieu le nomme alors "Israël" (Qui a Combattu le Seigneur" ou "Semblable au Seigneur"). Une interprétation se demande si ce Seigneur caché était en fait le reflet de l'Autre, le Frère jumeau Esaü, refoulé à nouveau de la reconnaissance.

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