dimanche 27 septembre 2009
Rien de personnel
Rien de Personnel, le premier long-métrage de Mathias Gokalp est un film tellement bien fait qu'il m'interdit d'en dire trop (pour une fois), de crainte de vous gâcher ses jeux habiles sur le spectateur. J'ai eu la chance de ne pas avoir vu la bande-annonce, ce qui m'a préservé de quelques surprises.
On a bien sûr déjà vu le thème du film "social" mais plutôt "moral" où les tensions objectives du travail sont aggravées par une violence de l'hypocrisie intériorisée par tous les personnages. Depuis Molière, toutes nos représentations françaises ne semblent porter que sur ce problème de la tartufferie ou de la simulation. On pourrait donc s'attendre simplement à la comédie de dénonciation dans le genre de Que les gros salaires lèvent le doigt (1982). Gokalp cite le documentaire sur le discours patronal La voix de son maître (1978) et on pense aussi à la version plus sombre de Ressources humaines ou la (godwinesque) Question humaine (ainsi que le jeu de Der gute Mensch von Sezuan ou Le Direktør de Von Trier). Mais la structure ludique et en abyme du scénario fait ici toute la différence, dans tous ses revirements. On croit aussi au départ à une simple reprise d'un effet Rashōmon mais ici, Gokalp va plus loin que la différence de perspectives subjectives de personnages puisque les différentes versions (retournées avec des différences parfois légères de mises en scènes ou de détails) sont des fragments cauchemardesques d'un puzzle en narration apparemment objective (ce qui est un des sens du titre, en dehors de tous les Masques et Personae). Et le huis-clos - contrairement à ce que j'ai pu lire dans certaines critiques - dépasse vraiment dans le film (mieux que chez certains Alain Resnais) une simple pièce de théâtre et les trajectoires d'un film chorale.
Malgré tout le risque de la dénonciation prévisible du discours "managerial", de son jargon, de sa déshumanisation, de sa mauvaise foi, l'humour glacé et les divers jeux d'acteurs évitent vraiment la lourdeur didactique, sans en rester non plus dans un cynisme un peu vide.
Pascal Greggory pourrait apparaître prisonnier de ses rôles (les salauds), mais ici son Mephisto a plus de présence, est plus intelligent et tentateur. Denis Podalydès (Gilles Bergerat, le Délégué du Personnel) peut faire rire à partir de rien et Jean-Pierre Darroussin ("Monsieur Bruno Couffe") me paraît avoir plus de dimensions que d'habitude.
Godwinesque est le terme parfait pour la Question Humaine...bien vu.
RépondreSupprimerC'était vraiment lourd. L'idée d'une présence spectrale du génocide européen dans l'industrie ("SC Farben" dans le film) me paraît presque un danger de trivialisation : à force d'en voir des échos partout, on le vide de signification (sans vouloir pour autant aller jusqu'au discours d'Ivan Segré). Viviane Forrester avait déjà utilisé la même pente glissante (en comparant l'expression certes déshumanisante de "dégraissage" à la solution finale).
RépondreSupprimerTrès beau film (je parle de Rien de personnel). Je te remercie de préciser que les scènes sont retournées parce que je me demandais si c'était une exploitation de l'effet [un nom russe qui m'échappe, tu vois de quoi je veux parler]. Savoir que les inflexions varient vraiment renforce en fait l'esthétique du film en mettant davantage en question l'objectivité de l'image sans affaiblir le jeu avec les attentes et les projections du spectateur. Je trouve que le rôle de Daroussin est une intéressante mise en abîme de son étiquette "film social".
RépondreSupprimerMerci de nous avoir décidé à aller le voir. Alix me dit que la critique de première n'était pas fameuse (et spoileuse en plus !). Je suis bien heureux de n'avoir eu aucune info avant d'en profiter.
@ Goodtime,
RépondreSupprimerL'Effet Koulechov je crois : http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Koulechov
Merci, Aymeric. Cela donne envie de revoir le film pour vérifier quelle est la part de cet effet du contexte. :)
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