Une des étrangetés de notre science moderne est qu'on a eu un relatif consensus sur ce qu'était une théorie scientifique au XVIIIe-XIXe siècle (du moins en physique ou en biologie, pas encore en psychologie) mais que ce consensus semble parfois voler en éclats depuis le XXe siècle.
Même les mathématiciens ont pu avoir des doutes. Le logicien Frege croyait que les géométries non-euclidiennes devaient cacher une inconsistance intérieure encore non-découverte. De nombreux mathématiciens du début du XXe siècle rejetèrent la Théorie cantorienne comme un délire mystique, ce qui conduisit à des réactions excessives comme l'intuitionnisme anti-formaliste du géomètre Brouwer ou bien l'ultra-finitisme en arithmétique (qui nie même l'infini dénombrable des nombres naturels). Et quand on lit l'histoire fantastique de ces moines-mathématiciens qui adoraient le Nom de l'Infini, on ne peut pas trop leur en vouloir de leur incrédulité.
Peter Woit, dans sa lutte anti-Supercordes, citait sur son blog, ce commentaire (sans doute semi-sérieux) du grand mathématicien bourbakiste Claude Chevalley selon lequel certaines innovations formalistes du cercle Bourbaki laissaient ces brillants mathématiciens perplexes sur la question de savoir s'ils étaient en train de participer entre eux à un canular "intra-bourbachique". La ruse de l'ironie est quand même l'ironiste ne sait plus s'il s'y laisse prendre.
En physique (même si on écarte des phénomènes particuliers comme l'affaire Bogdanoff), le consensus autout d'une Théorie du Tout fondée sur les supercordes a l'air vraiment agonisant.
Dans cette interview du mois dernier, Roger Penrose dit même que la question des fondements de la Mécanique quantique reste encore ouverte car on a trop vite admis des mythes confus. (J'espère que cela ne va pas lui valoir 10 points de charlatanisme sur l'échelle de crackpot du physicien John Baez).
Penrose considère que toutes les théories à la mode actuellement comme les Mondes Multiples et les "Membranes" doivent être critiquées comme des épicycles métaphysiques qui viennent des insuffisances de notre Mécanique Qantique actuelle.
I blame quantum mechanics, because people say, “Well, quantum mechanics is so nonintuitive; if you believe that, you can believe anything that’s nonintuitive.”
But, you see, quantum mechanics has a lot of experimental support, so you’ve got to go along with a lot of it. Whereas string theory has no experimental support.
On a ironisé contre le conservatisme d'Einstein contre les fondements de la Mécanique quantique (on accusait parfois un "réalisme" métaphysique) mais (pour imiter le langage de Kuhn) on semble être resté dans cette période de "crise révolutionnaire ou pré-paradigme" des années 30 malgré l'accumulation de décennies de résultats expérimentaux en "science normale" (on est peut-être dans une phase post-normale durable).
Ce qui tue vraiment cette physique des hautes énergies, c'est le manque d'expériences. Avec le LHC down et 30 ans de super cordes derrière nous, il faut être inconscient ou maso pour espérer faire quoi que ce soit en physique des hautes énergies (d'ailleurs, pour rejoindre un billet précédent tous les cordistes que je connais ont fini en finance). Si on avait une manip qui mettait par terre les super-cordes, la machine repartirait.
RépondreSupprimerLa physique quantique me paraît être dans une phase très très normale; à ma connaissance elle n'a jamais été mise en défaut. Assez ennuyeux en fait. En réalité, cette physique est victime de son propre succès.
Après, c'est sûr qu'on peut s'interroger sur les fondements philosophiques, etc... Mais en physique comme ailleurs, pour survivre aujourd'hui dans l'académique, il ne faut pas se poser de questions mais produire des résultats (i.e. de jolies expériences, des caméras LCD ou pour les théoriciens un joli calcul). Il y a quelques semaines, il y avait un article dans Science sur les scientifiques "iconoclastes" qui survivent sans financement institutionnel et mènent ainsi des recherches très originales, je me demande si l'avenir n'est pas avec ces gens-là ... (il y avait eu le cas du surfer physicien Garret Lisi il y a quelques années en physique, mais je ne sais pas ce qu'il est devenu ni s'il est plus reconnu)
Le paradoxe est effectivement que le champ de la physique est à la fois dans une crise persistante des fondements qui autorise les théoriciens à produire de la méta-physique mathématique sans possibilité de falsification et dans le même temps s'engage toujours davantage dans une activité qu'on peut même qualifier d'ultra-normale où les recherches identifiées comme déviantes sont marginalisées (je renvoie ici à la notion de théorie marginale développée à propos de la Relativité d'Echelle dans cet article : www.archipel.uqam.ca/481/01/gingras_bontems_SSI.pdf).
RépondreSupprimerLe LHC pourra invalider certaines des variantes des supercordes et peut-être même rendre intenable l'hypothèse de la supersymétrie, mais les supercordes sont connues pour l'abondance de leurs paramètres ajustables qui les rend toujours réadaptables à n'importe quel résultat expérimental. Toutefois, l'abandon de la supersymétrie jetterait un froid et permettrait peut-être d'en finir avec leur monopole en physique spéculative. Pour ce qui est de Lisi, l'avancée conceptuelle apportée par le surfeur est douteuse. Il n'a fait, après tout, qu'exploiter les résultats de la cartographie d'un groupe très puissant (Su8 je crois) réalisée entérieurement par quatre mathématiciens qui avaient eux-mêmes déjà signalé l'éventuelle fécondité de leur travail pour la réunification. Lisi l'a prolongé (ce qui montre qu'il était plus attentif que les théoriciens) mais sa tentative d'unification est couteuse (elle prédit de nouvelles particules inconnues), incohérente avec le modèle standard (les bosons n'ont plus de masse) et imparfaite (il démontre que l'on peut plonger la Relativité générale et la QED dans ce groupe mais sans vraiment rendre intelligible la connection qui s'y opérerait).