samedi 7 novembre 2009

Mythe luc-ferrien



Une des habitudes "contrariennes" de tout média (et d'un Blog) est d'aller contre "le concert de louanges".

LCI a une émission de "débat" (sic), avec Luc Ferry et Jacques Juillard (qui arrivent parfois à feindre un désaccord), et ils tapent donc tous les deux contre les hommages à Lévi-Strauss.

Luc Ferry explique une critique de Lévi-Strauss et de son "anti-humanisme", et en tant qu'auteur récent d'un best-seller sur les mythes grecs, il déclare que "la pensée de Lévi-Strauss est très pernicieuse car comme il ne s'intéresse qu'à des structures formelles non-historiques, il va comparer un mythe grec et un mythe bantou au lieu de tenir compte des différences historiques."

C'est vraiment à se demander s'il l'a lu, car cela me paraît un mauvais angle d'attaque.

Lévi-Strauss n'est pas un comparatiste-universaliste déraisonnable à la manière de Frazer au XIXe siècle. Lévi-Strauss oppose au contraire les mythes amérindiens non-historiques et des légendes plus ou moins politiques de cultures africaines ou des textes littéraires grecs. Il y a donc eu des controverses pour savoir ensuite quelles étaient les limites du concept de "non-historicité". Dumézil a prouvé que certains récits historiques de Tite-Live sur les origines romaines sont vraiment trop pénétrés de structures mythiques pour que ce soit une coïncidence mais à l'inverse certains specialistes de l'Afrique ou de la Polynésie ont pu retrouver dans ce qu'on croyait des généalogies mythiques des traces dynastiques plus réalistes.

Certes, il a regretté d'avoir pris l'exemple d'Oedipe pour des raisons purement didactiques dans Anthropologie structurale et je crois que tout le monde est un peu sceptique sur l'hypothèse "analogique" de la "Formule canonique du mythe"
Fx(a) : Fy(b) = Fx(b) : Fa-1(y)


Mais dans son débat très clair avec Jean-Pierre Vernant, Lévi-Strauss s'expliqua en 1988 sur ces différences et écarts entre mythes sud-américains et littérature grecque :



Add. Maintenant, Julliard reproche à Lévi-Strauss de ne pas avoir assez défendu l'Unité de l'esprit humain ? Il faudrait savoir...

Luc Ferry utilise l'argument du relativisme. Sur le relativisme culturel, Lévi-Strauss a pu être ambigu (et c'est un problème légitime quand il joue à prendre le "Regard Eloigné") mais il a aussi en partie tenté de répondre à cette objection. Il pense que la civilisation occidentale technique n'est pas absolument supérieure à celle des Bororos mais cela ne signifie pas qu'à l'intérieur d'un cadre de la civilisation occidentale, le fascisme soit équivalent à la démocratie. Le relativisme peut être un homme de paille, car nous sommes tous à un certain degré des relativistes, tout dépend des critères qui peuvent le délimiter.

En revanche, le reproche du préjugé "malthusien" dans une certaine misanthropie rousseauiste ne me paraît pas absurde. Lévi-Strauss était assez humble dans ses opinions politiques, disant que quelqu'un qui s'était trompé en 1938 sur Munich avait perdu le droit de donner son avis, mais il avait parfois orienté son humeur d'Alceste génial sur la question de la surpopulation.

5 commentaires:

  1. L'accusation de relativisme telle que présentée ici est complètement battue en brèche dans Race et histoire. Luc Ferry connaît les textes, pourtant.

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  2. Il faudrait aussi mentionner Philippe Descola, qui a bien expliqué ce qui est universel et ce qui est relatif dans les travaux de Levi-Strauss.

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  3. Oui, il doit les connaître mais il peut être flou sur les plateaux télévisés. Il n'a pas vraiment mentionné dans son analyse, je crois, l'évolution entre Race et histoire (1952) et Race et culture (1971) et il a affirmé que le vrai héritage de cette pensée serait le Différentialisme de la Nouvelle Droite (alors que l'évolutionnisme curieux de Race et histoire ne me semble plus si différentialiste que cela).

    Je n'ai jamais lu Descola. Il en parle où ?

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  4. http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=798

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  5. Merci !

    Mais dans ce texte il parle seulement de sa propre thèse de la relativité de la différence entre nature et culture (la relativité de la distinction nature/technique va s'accroître avec la technique moderne, mais la relativité du concept de nature ne me paraît pas si évidente dans ses exemples issus de descriptions de schèmes amérindiens).

    Denis Kambouchner a un article sur le problème du relativisme dans le Cahier de l'Herne sur Lévi-Strauss de 2004 mais je ne sais pas ce qu'il y disait.

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