lundi 28 décembre 2009
שִׁבֹּלֶת
Je ne suis pas le bon public pour Inglourious Basterds, n'ayant pas de goût ni pour les Westerns, ni pour les Westerns spaghettis, ni pour les films de guerre, ni pour les films de guerre macaroni qui sont parodiés (dont le titre italien modifié, The Inglorious Bastards / Quel maledetto treno blindato.
La plupart des chapitres utilisent de manière très ingénieuse la scène archétypale de confrontation avec l'Impasse Mexicaine, où des antagonistes se tiennent mutuellement en joue en s'assurant une destruction mutuelle (je n'en connais qu'une version dans Rubrique à Brac, citant Samuel Fuller), mais le film, malgré tous ces clins d'oeil, me met mal à l'aise. Non pas à cause d'un interdit moralisant sur la représentation ou sur le jeu sur la représentation (puisque le film joue l'inversion mythique où le spectateur serait censé savourer l'envers de "l'irreprésentable"). Le problème est que le film joue ainsi à faire de nous les Nazis des Nazis, grâce au personnage du SS Hans Landa (Christoph Waltz, qui a joué le rôle de Nietzsche il y a 20 ans dans Richard et Cosima). On ne rend Landa si ambigu, élégant et terrifant, que pour mieux nous montrer notre propre réactivité équivoque à son égard. On défoule notre propre violence et on joue ensuite à nous faire remarquer qu'on a soi-même deshumanisé le criminel, en reflet de sa propre inhumanité. La scène finale du cinéma est donc un jeu pervers où (1) le film de massacre de Goebbels est lui-même un film de Tarentino, qui nous fait applaudir avec Hitler des scènes qu'il aurait pu tourner, (2) le cinéma en feu devient une sorte de Chambre de la Mort où on rêve d'incinérer les bourreaux.
Mais je suis quand même impressionné par tous ces jeux sur la communication et la mort comme dans la légende du shibbólet. Dans le premier chapitre, le polyglotte et si brillant Landa annonce la mort en anglais parce que les Dreyfus ne parlent pas cette langue. Dans le second chapitre, les Basterds d'origine allemande, comme le tueur taciturne Hugo Stiglitz, sont ceux qui portent la mort en traduisant les phrases des prisonniers. Dans le quatrième chapitre, l'agent britannique est condamné par un Shibboleth non-verbal, purement gestuel et dans le cinquième, on croit que l'accent italien déplorable va condamner les Basterds alors que Landa a déjà décidé de les intégrer dans son propre plan (il sait lire d'autres signes comme le soulier de Cendrillon, pour éliminer celle qui serait la preuve matérielle qu'il n'était pas un agent double des Alliés dans l'Opération Kino). Et la croix gammée devient l'inscription dans la chair d'une sorte de circoncision inversée pour que l'Ange de la Mort reconnaisse les Nazis, quelles que soient leur apparence ou leur absence d'accent comme trace orale. (Cf. aussi la notion de "Pourparlers" comme figure de l'Aporie de la destruction mutuelle assurée : un film d'espionnage sur la Guerre froide serait peut-être mieux adapté à une telle ambiguïté que la Seconde Guerre mondiale qui est au contraire la figure de la clarté relativement manichéenne).
Merci pour שִׁבֹּלֶת : je n'en avais jamais entendu parler.
RépondreSupprimerPas de petit commentaire sur la suspension consentie de l'incrédulité ? Un des tours de force de ce film que j'ai beaucoup aimé est quand même de réussir à nous amener au point où l'on n'est pas étonné d'apprendre qu'Hitler est mort dans un cinéma parisien en 1944.
J'avais repéré les mêmes éléments, mais j'en ai tiré le sentiment exactement inverse (j'ai trouvé ça génial et très sain).
RépondreSupprimerVous n'avez rien compris, Anonyme.
Analyse fort intéressante. Pour ma part, j'aime beaucoup le film bien que n'étant pas très fan du cinéma de Tarantino (pour le coup Kill Bill me semble vraiment obscène), et le classe parmi les meilleurs films de 2009.
RépondreSupprimerDeux ou trois petits ajouts.
- A l'intérieur de chaque chapitre, chaque personnage connait la verité, celle ci étant posée à priori, ne reste alors que qu'un jeu sur la commnication et la langage (Tarantino est vraiment un gand filmeur de dialogue et la manière dont il insrit des mots dans un espace est prodigieuse). Mais de jeu, il faudra en payer le prix fort d'où le déferlement de violence qui vient cloturer la séquence. De fait le film fonctionne à l'encontre du système mise en place dans les précédents films de Tarantino (à l'exception peut-être de Reservoir Dogs). Ici pas de violence gratuite mais un prix à payer, le réel comme prix à payer. C'est me semble-t-il le premier film de Tarantino où le tragique se manifeste.
- L'élément faible du film c'est l'actrice Melanie Laurent (son ami le projectionniste est tout simplement catastrophique. Son personnage est le plus difficile à jouer parce que justement il est dans l'Histoire et vient buter contre le système mise en place par Tarantino.
Mais Mélanie Laurent est très, très jolie à regarder.
RépondreSupprimerLa difficulté avec Mélanie Laurent est la même qu'avec beaucoup d'actrices françaises : la diction. On en arrive à ce paradoxe que, pour un spectateur francophone, c'est quand les personnages parlent français qu'il faut faire le plus d'effort pour les comprendre...
RépondreSupprimer> MB
RépondreSupprimerOui, l'uchronie finale accentue la distanciation vis-à-vis du film mais j'ai l'habitude de voir Hitler se faire tuer par divers superhéros dans les comics (mais généralement après la date réelle, pas avant).
Superman a fait juger Hitler devant la SDN à Genève dès février 1940 (un an et demi avant l'entrée en guerre des USA).
> Fr.
Oui, cela pourrait être sain si on en devenait conscient, mais je crois le jeu moins clair.
> Tlön
Oui, Shoshanna/Emmanuelle Mimieux et le projectionniste Marcel (Jacky Ido) étaient parfois faibles mais les dialogues étaient anachroniques et Marcel n'était pas aidé dans la scène où il joue très mal par le dialogue inutile sur l'escalier. C'est peut-être aussi une limite de la direction d'acteurs en plusieurs langues ? Mais après tout, Tarentino y est bien arrivé avec Waltz.
Je n'ai pas remarqué de problèmes de diction pour Laurent, mais elle ne me convainc pas vraiment dans Le Concert (même si le film était divertissant).
C'est que vous n'allez pas assez au cinéma avec nos aînés, comme ils disent, au Gouvernement. :o) Autour de moi, il y a plusieurs personnes qui ne vont plus voir de films français parce que les acteurs sont difficilement audibles -pour être honnête, le problème vient peut-être aussi de la prise de son.
RépondreSupprimerLe record a bien évidemment été établi par Catherine Deneuve dans Indochine.
Je me souviens avoir vu Isabelle Huppert au théâtre de l'Odéon dans Médée, où je n'entendais presque pas ses murmures. Le public criait un peu mais je dois reconnaître que j'étais d'accord avec eux.
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