Il est toujours un peu ridicule en politique d'écrire ce genre de message sur la "déception", comme si un homme politique était une sorte de figure en qui on confie des espérances démesurées et une affection irrationnelle. C'est de la nature même de la politique d'être "décevante".
Cependant, même en tenant compte des difficultés énormes géopolitiques et économiques, je commence à penser qu'il y a des erreurs voire des fautes d'Obama sur la politique intérieure. Je ne comprends rien à l'Afghanistan si ce n'est que la politique suivie semble un échec, mais je ne sais pas ce qu'il aurait fallu faire dans la mesure où le retour des Talibans sera un désastre mais où on ne voit pas comment l'éviter.
Mais on utilisait souvent l'argument qu'Obama devait accepter de nombreux compromis en politique étrangère pour sauver son programme intérieur. Mais si même le programme intérieur s'effondre, le bilan risque de devenir effrayant.
La plupart des blogeurs démocrates mainstream "principaux" pensent que le mauvais compromis actuel sur la Santé dans la version du Sénat est un progrès non-négligeable (voir les centristes dans la liste sur KoS : Kevin Drum, Ezra Klein, Josh Marshall, Matt Yglesias).
A la gauche du Parti démocrate, Markos Koulitsas au contraire pense qu'il y a bien plus à perdre politiquement à en rester à ce projet actuel. On contraint les individus à prendre une couverture privée et on ne remet pas en cause ces organisations.
Parfois la scission est intérieure au même blog. Paul Campos fait remarquer que la version actuelle n'a plus d'Option publique, aucune expansion du Medicare et en plus une obligation contraignante à prendre une assurance privée. Tout bénéfice pour le privé en dehors de quelques gains comme l'interdiction de retirer rétroactivement une couverture médicale. Il préconise donc de s'opposer à cette version en espérant un Plan B, un second vote en se servant de la stratégie dite de "Reconciliation", qui permet de faire passer un budget au Sénat avec 51 voix, sans chercher à surmonter le blocage de 41 voix. Sur le même blog, Scott Lemieux (en citant Kevin Drum) explique que cette espérance d'un vote de Réconciliation est chimérique et que si ce projet meurt cette fois, il est enterré pour longtemps.
Le choix est donc, comme souvent dans l'art du possible, dans la mesure du "Moindre Mal", entre un projet très décevant et pas de projet du tout.
Ce genre de cas est inévitable et Obama n'a certes pas choisi l'équilibre des forces qui donnait aux Démocrates conservateurs (Evan Bayh, Blanche Lincoln, Ben Nelson, Mary Landrieu etc) et aux renégats vendus et pleins de ressentiment (Joseph Lieberman) un pouvoir disproportionné. Mais on peut vraiment se demander si Obama a fait tout le nécessaire pour ne pas décevoir. Son soutien à l'Option publique a été visiblement mou, soit parce que cela lui importait peu, soit parce qu'il avait déjà estimé que ce n'était pas réaliste dans l'équilibre actuel (ce qui risque bien sûr d'être une prophétie auto-réalisante).
Le problème du projet actuel est qu'il est certes "mieux que rien" mais peut-être pas meilleur du point de vue politique : les Démocrates ont déçu leur Base et ont ajouté une Obligation d'acheter la couverture (Mandate) qui va engendrer beaucoup de ressentiment. Plus de contraintes et pas beaucoup plus de protection collective, le marché paraît difficile à vendre.
Il faut ajouter à cela que la Base démocrate est démoralisée alors que la Base conservatrice est électrisée. Ce qui s'annonce très dangereux pour les élections de mi-mandat de novembre 2010 où le pouvoir sortant pourrait être sanctionné sans un soutien fort de la Base déçue.
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Sur l'Afghanistan, je crois qu'aucun des observateurs spécialisés n'attendait de miracle. J'entendais l'autre jour à la radio F. Heisbourg déclarer que les américains pourraient déjà s'estimer heureux si Karzaï tient aussi longtemps après leur départ que Najibullah après le départ des soviétiques...
RépondreSupprimerPour moi la vraie déception en politique étrangère c'est le conflit israelo-palestinien. Il est à craindre qu'Obama ait déjà laisser s'évanouir le crédit du discours du Caire.
Glenn Greenwald décrit une administration Obama plus occupée à conserver le soutien financier des industries pharmaceutiques et des assureurs au parti démocrate que de réformer en profondeur le système de santé américain.
RépondreSupprimerhttp://www.salon.com/news/opinion/glenn_greenwald/2009/12/16/white_house/index.html
Je trouve cette thèse assez séduisante.
> Elias
RépondreSupprimerBill Clinton avaient déjà été assez décevants sur Israel (finalement, Bush père avait fait légèrement plus pression), mais là aussi on peut se dire qu'un Président démocrate n'a pas grand-chose à gagner chez lui à critiquer des injustices contre les Palestiniens.
> Metatron
C'est aussi la thèse de Matt Taibbi qui cite maintenant une action d'Obama contre l'achat de médicaments au Canada. Cela risque d'être très impopulaire comme il y a une partie importante de la population qui part faire ces pélerinages pharmaceutiques.
> Elias
RépondreSupprimerZut, inconsciemment j'ai fait de Bill Clinton une Présidence bicéphale avec sa femme.
Traité constitutionnel.
RépondreSupprimerRedux.
Pour aller dans le sens d'Elias :
RépondreSupprimerIn the end, that is why I still think we should pay less attention to what he said and focus on what he and his advisors do. In his first year in office, President Obama has made two critical decisions involving matters of war, peace and justice. The first is his decision to abandon the admirable principles he set forth in his Cairo speech in June, to tacitly accept the continued expansion of Israel's West Bank settlements, and to collude in a well-orchestrated assault on the Goldstone Report on war crimes in Gaza. The result will be to perpetuate precisely the sort of injustice that gives rise to very violence he deplored in his speech. The second is his decision to escalate the war in Afghanistan -- sending 17,000 troops last spring and 30,000 more last month -- despite the continued absence of a compelling rationale or coherent strategy for success.
From Day One, Obama has shown that he is a thoughtful and intelligent leader who takes his responsibilities seriously and weighs decisions carefully. But in the end, what matters is not how long or hard he thinks or how well he talks. What matters is whether he makes the right decisions. And by that criterion, he's 0 for 2.
> Emmanuel
RépondreSupprimerEn effet (et c'est pourquoi j'utilisais l'expression "Plan B"), mais MarKos a un précédent plus américain, le débat sur la Guerre en Irak.
Certes, Matthew a montré quelques différences, avec Paul Krugman, qui a été un critique de la Guerre et pense quand même que ce compromis est mieux que rien.
L'argument le plus favorable à Obama consisterait à dire que contrairement à ce que disent Howard Dean ou Russ Feingold, même s'il s'était plus impliqué, il ne pouvait rien changer à la Règle du Filibuster.
> MB
Il y a pas mal de discussion sur l'alibi du "réalisme niebhurien", où une manière de faire passer une version de politique unilatérale en lui donnant le nom d'un ancien pacifiste ramené au pessimisme augustinien.
Obama devait de toute manière dissiper les accusations d'idéalisme naïf dans ce discours du Nobel et il pensait avant tout à ses auditeurs de l'intérieur mais il est peut-être allé un peu loin dans la direction de l'apologie de l'unilatéralisme alors que la fin de l'unilatéralisme était justement l'argument principal du Comité pour lui donner le Nobel.
OK, je viens de lire l'article de Slate . On peut y lire "we should be humble and modest in our belief we can eliminate [serious evil in the world], but we shouldn't use that as an excuse for cynicism and inaction". Je partage me semble-t-il l'opinion d'Elias et de Stephen M. Walt sur l'inaction ou l'action mal conduite de l'administration Obama au Proche-Orient (évidemment, je n'y connais pas plus que ça et je peux me tromper).
RépondreSupprimerJe crois que le conseil de faire moins attention aux déclarations et plus aux actes n'est quand même pas idiot (et serait encore plus important à appliquer en France où les déclarations de Nicol... Badinguet n'ont le plus souvent qu'un rapport fort éloigné avec la réalité).