vendredi 1 janvier 2010
Les années Nada ('00's)
L'ennui avec toutes ces listes de décembre n'est pas la discussion stérile sur ce qui constitue les limites réelles d'une décennie (2000-2009 ou 2001-2010 ?) mais la mémoire courte et la survalorisation du récent. L'avantage d'une liste sur une décennie serait au contraire la piqûre de rappel pour réintroduire de la distance dans nos emportements encore frais en memoire. Je n'échapperai pourtant pas à cette myopie sans relire toute ma bibliothèque de bd. Tant pis, je vais quand même poster en espérant que je n'aurais pas à réviser trop souvent cette note improvisée. Je ne mettrai pas de bd européennes car j'en lis trop peu (en gros, seulement Andreas et récemment un peu de Léo) pour qu'une sélection soit pertinente.
Mes comics favoris des années Zéro :
Promethea d'Alan Moore et J.H. Williams (1999-2005) : l'histoire d'une jeune fille qui s'initie à la magie et une exploration graphique du concept rebattu de récit de formation. La Kabbale continue à me paraître une métaphore un peu "procustéenne" pour l'imaginaire mais Moore réussirait presque à convaincre que tout le charabia occultiste (mélange d'ésotérisme du XIXe siècle avec des gouttes de SF et de Tantra) aurait un sens poétique.
Top Ten d'Alan Moore et Gene Ha! (1999-2005) : une parodie des histoires policières comme Hill Street Police Blues dans une ville où tout le monde a des superpouvoirs. Oh, je ne vais pas non plus mettre tout Alan Moore, même s'il domine de très loin cette partie traditionnelle du medium (tous les autres comics ABC comme Tom Strong furent réussis aussi).
Summer Blonde d'Adrian Tomine (2002, publié dans Optic Nerve #5-8, 1998-2001) : toute l'acidité de Dan Clowes mais avec une maîtrise supérieure et plus d'émotions authentiques (par ailleurs, la dernière bonne bd de Dan Clowes date de David Boring avant 2000, son récent Death Ray dans Eightball #23 étant complètement vide de toute émotion). La suite, Shortcomings (2004-2007), est curieusement sans doute plus sincère et pourtant contaminée par tout un discours sur l'identité raciale.
Y: The Last Man de Brian K. Vaughan et Pia Guerra (2002-2008) : sur un concept de départ qui pourrait être de mauvais goût (tous les humains mâles meurent sauf un, thème déjà vu dans Le Grand Manque de Godard et Ribera en 1989), un road comic picaresque sur les rôles sexuels. En revanche, il faudra un jour qu'on m'explique l'obsession américaine sur Houdini et le Bondage et son rapport avec les comics. Je ne mets pas Ex Machina du même scénariste, qui a d'excellents moments mais aussi de longs passages à vide.
Fables de Bill Willingham et Mark Buckingham (2002- ...) : le meilleur comic de chez Vertigo depuis la fin de Sandman. Les êtres des Contes de fée ont fui leur dimension et ont immigré sous diverses formes dans notre univers. L'occasion de construire de multiples récits sur la structure même des récits traditionnels et de nos propres attentes. Le héros est le Grand Méchant Loup, qui a eu sa rédemption et est amoureux de Blanche-Neige, une des autorités politiques de ces "Fables" exilées. Le message politique est parfois très lourd (Bill Willingham est un Républicain et il voulait aussi réagir contre ce qu'il considérait comme des présupposés "de gauche" des autres comics Vertigo, il aurait aussi déclaré que Fables est une allégorie post-9/11 sur le Proche-Orient). Quelles que soient ces intentions politiques, il sait aussi raconter de vraies histoires.
The Legion par Dan Abnett et Andy Lanning (2001-2004) : Abnett & Lanning reçurent l'occasion de relancer la Legion des superhéros dans la version post-reboot. Ils y furent sans doute moins drôles et originaux que dans leurs séries spatiales chez Marvel (Guardians of the Galaxy) mais dans mon souvenir ce fut la dernière fois que la Légion fut intéressante dans cette version "biopunk" assez sombre tout en étant fidèle à l'esprit. Le second reboot (Mark Waid puis brièvement Jim Shooter) s'écroula vite dans son inutilité et on est à présent reparti vers la version pré-reboot modifiée.
Common Grounds par Troy Hickman (2004) : une mini-série sur un Café où viennent discuter des superhéros et supervilains (tout combat y est interdit, c'est un terrain neutre sous peine d'être interdit de consommation). Une jolie utilisation d'un Genre fait pour le mélodrame, pour réviser le dialogue sur la banalité. Plus touchant souvent que la plupart des épisodes d'Astro-City de Kurt Busiek qui a inventé ce mélange de réalisme urbain et de superhéros.
52 (auteurs divers dont Keith Giffen, Geoff Johns, Grant Morrison, Greg Rucka, Mark Waid) fut une expérience d'un comic-book hebdomadaire (2006-2007). Le résultat final fut inégal mais il y eut de bons moments, hélas gâchés par le nullissime Countdown qui tenta d'imiter la formule l'année suivante.
Legion of 3 Worlds de Geoff Johns et George Pérez (2008-2009). Cela me gênerait presque de mettre du Geoff Johns, le scénariste le plus représentatif et le plus coupables des années Zéro dans leur survalorisation de la Nostalgie (en réaction contre les années 90's, qu'on appelle parfoi "l'Âge de Fer", qui furent celle de la Violence destructrice contre les traditions). Mais cette bd est presque l'archétype de cette esthétique : incompréhensible si vous n'avez pas une connaissance approfondie de la Continuité, délicieuse dans ses myriades de détails auto-référentiels si vous arrivez à voir les allusions à l'histoire de la Légion des superhéros depuis 51 ans. C'est donc un condensé ou une synthèse de tout ce genre, avec ses douzaines de personnages par cases. En revanche, cela ne sauve pas les autres titres incompréhensibles liés à Final Crisis.
Logicomix d'Apostolos Doxiadis, Christos Papadimitriou et dessins de Alecos Papadatos (2009) raconte la vie de Bertrand Russell dans l'opposition entre Certitude Logique et Folie. L'idée de la bd est que la Folie a plus à voir dans la remise en cause des principes ultimes que dans d'autres branches du savoir. Lord Russell croise donc de nombreux cinglés plus ou moins exagérés (Cantor, Frege, Wittgenstein, Gödel). La thèse est excessive et parfois les auteurs semblent vouloir projeter trop d'éléments à la fois sans rapport avec le sujet (ainsi toute une méditation sur les Euménides et le tragique). Ma scène favorite est celle où Russell crée une école "moderne" fondée sur la liberté (qui échoue complètement) et où Wittgenstein est chassé pour mauvais traitements pour avoir battu des enfants, dans un échec éducatif symétrique. En passant, toutes les listes que je trouve ont mis le soporifique Louis Riel comme bd de la décennie mais Logicomix m'a paru vraiment plus intéressant.
Asterios Polyp de David Mazzucchelli (2009) : un roman graphique impressionnant sur un architecte, Monsieur Polyp (son nom grec a eu une élision). Je ne crois pas que les multiples thèmes du roman s'imbriquent si bien que cela et l'auteur ne connaît sans doute pas assez l'architecture pour dépasser des poncifs sur l'idée de "structure". Mais l'idée la plus brillante est d'utiliser une diversité de styles graphiques différents pour représenter les différences entre les points de vue des personnages.
Les films que je pourrais revoir avec plaisir (mais je sors trop peu pour que la liste soit représentative d'autre chose que du hasard de ce que j'allais voir) : Memento (2000), Being John Malkovich (2000), Requiem for a Dream (2000), Gosford Park (2001), The Royal Tenenbaums (2001), La stanza del figlio (2001), Être et avoir (2002), Dogville (2003), My Life Without Me (2003), Before Sunset (2004), Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), Garden State (2004), The World / Shìjiè (2004), Le Goût du thé / Cha no aji (2004), Das Leben der Anderen (2006), Little Miss Sunshine (2006), El Laberinto del Fauno (2006), Children of Men (2006), Le scaphandre et le papillon (2007).
Oui, aucun dessin animé, curieusement, alors que je crois toujours en théorie que le medium serait plus ample que le cinéma classique mais je ne me souviens pas d'avoir envie de revoir un Pixar/Dreamworks/Miyazaki.
Le mystère pour moi c'est Eternal Sunshine of the Spotless Mind.
RépondreSupprimerJe ne comprends vraiment pas comment ce film se retrouve dans la plupart des classements.
P/Z
Pourtant, c'est un des rares films dans la liste que je défendrais quand même un peu (j'avoue que je n'ai mis le Scaphandre et le Papillon que par sensiblerie sur les faits et non sur le film par exemple).
RépondreSupprimerJe n'ai pas aimé Adaptation mais l'univers de Charles Kaufman a été marquant sur cette période - je vois que Roger Ebert a mis Synecdoche, New York comme film de la décennie. Eternal Sunshine me paraît la seule comédie romantique qui ait pu être émouvante.
Pour une liste bien plus originale que celles-ci, la Cinémathèque de l'Ontario exprime mieux la nouvelle domination asiatique chez les Cinéphiles, avec le Thaïlandais Apichatpong "Joe" Weerasethakul.
Ma liste :
RépondreSupprimer1 Mulholand Drive - Lynch. 2 War of the world - Spielberg 3 Yi -Yi - Edward Yang. 4 L'Arche russe -Sokourov. 5 We Own the Night - James Gray. 6 History of Violence - David Cronenberg. 7 Tropical Malady - Apichatpong Weerasethakul 8 In the mood for love - Wong Kar Wai. 9 Notre Musique - Jean-luc Godard. 10 The Bourne Trilogy -Doug Liman et Paul Greengrass. 11 The Assassination of Jesse James - Andrew Dominik 12 Histoire de Marie et Julien - Jacques Rivette.
Extra ball : les 3 saisons de Mad Men.
L'Arche russe m'avait un peu déçu. En dehors du tour de force incroyable de la direction-orchestration et du tournage en un seul Plan séquence d'une heure trente, je ne me souviens pas vraiment d'autres choses que de quelques fragments oniriques de l'Ermitage.
RépondreSupprimerIl va quand même falloir que j'arrive à voir du Apichatpong Weerasethakul.
Alors, sous réserve que je ne change pas d'avis, la meilleure BD des années Nada, c'est De Gaulle à la plage et le meilleur film Yi Yi .
RépondreSupprimerSinon, je vous souhaite une très bonne année 2010 et espère qu'au nombre de vos résolutions figure en bonne place celle de nous donner dans les 365 prochains jours autant de bons billets que pendant les 365 derniers.
Rapport au titre de l'article :
RépondreSupprimerhttp://www.madore.org/~david/weblog/2010-01.html#d.2010-01-01.1720
Your blog keeps getting better and better! Your older articles are not as good as newer ones you have a lot more creativity and originality now keep it up!
RépondreSupprimerThank you very much for mentioning Common Grounds!
RépondreSupprimerApichatpong Weerasethakul : rien qu'à voir les bandes annonces, à côté de lui, Rohmer c'est André Hunnebelle.
RépondreSupprimerMais ayant parcouru votre blog, je me permets de vous recommander de jeter un oeil aux films d'animation du Studio 4°C, qu'il s'agisse d'Amer béton ou de Mind Games (plus difficilement collectable dans les troubles officines où l'on emprunte pour le tester avant de l'acquérir)
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2007/04/30/amer-beton-errance-fantastique-dans-une-ville-jungle_903710_3476.html
qui m'ont surpris dans le bon sens du terme, alors qu'Avatar m'a stupéfait par l'obsolescence de l'antienne qu'il scande sous des habits neufs... au prix du PNB de plusieurs petits états africains.