mercredi 2 février 2011
Fini
John Quiggin reprend dans la ferveur de la chute de Ben Ali la théorie de Fukuyama-Kojève d'une Fin de l'Histoire.
Il distingue trois aspects chez Fukuyama : (1) la démocratie parlementaire n'a plus de concurrents réels (2) cela va conduire à moins de guerres car les démocraties (du moins "stables") ne se font pas la guerre entre elles (ou du moins se font "moins" la guerre entre elles (3) la victoire de la démocratie parlementaire libérale allait avec des formes de l'économie de marché et du capitalisme.
Quiggin soutient que (1) paraît valide (notamment parce que c'est le régime qui permet l'alternance, comme dit Aristote : c'est le régime où successivement les uns sont gouvernés et les autres gouvernants), (2) est peut-être globalement vrai mais que (3) demanderait à être précisé entre les diverses formes de capitalisme, de la social-démocratie suédoise ou française à la dérégulation américaine.
Le problème de toute théorie d'un Terme d'une période historique est qu'elle semble présupposer que l'Humanité n'aura plus d'imagination théorique et qu'elle a épuisé les possibilités. Mais il est difficile en énumérant les possibilités déjà parcourues d'en déduire qu'on a achevé toute la combinaison des possibles et qu'il n'y a plus de possibilités d'invention.
(1) n'est plus guère menacé politiquement que par des formes d'anarchisme ou bien par la défense d'un ordre traditionnel (comme par exemple la théocratie islamiste politique).
Mais du temps du totalitarisme soviétique, de nombreux théoriciens (comme par exemple Bruno Rizzi, James Burnham ou Michel Crozier) annonçaient au contraire une autre Fin de l'Histoire, plus pessimiste, où le Phénomène Bureaucratique envelopperait à la fois les démocraties parlementaires et les dictatures communistes (c'était aussi la théorie de la "Convergence" entre le capitalisme et le collectivisme dans la coexistence pacifique dans les années 1970).
Quiggin reconnaît que la démocratie est assez efficace pour désamorcer les conflits mais la crise d'anomie, la baisse de l'engagement politique, même au niveau local, pourrait contribuer à accroître cette crise bureaucratique. C'est en partie parce qu'on peut avoir l'impression que l'alternance est très modérée dans le consensus que cela peut renforcer les partis critiques.
(2) est en effet controversé (même si cela apparaît moins idiot que la théorie de Thomas Friedman selon laquelle deux pays qui ont un McDonald's ne se font pas la guerre). Voir l'entrée Democratic peace theory. Le bibliothécaire Matthew White avait pratiqué une analyse statistique amusante où il en arrivait à la conclusion que ce sont plutôt les conflits internationaux en général qui diminuent et que le progrès de la démocratie parlementaire n'est pas nécessairement un facteur.
Sur le manque d'imagination, on ne manque pourtant pas de systèmes alternatifs, e.g. :
RépondreSupprimer- la technocratie, i.e. on substitue un espèce de scientisme économico-social à la démocratie puisqu'on sait ce qui est bon pour le peuple collectivement. C'est en fait un chemin qu'on prend déjà d'une certaine façon, les libéraux économiques ont cette vision assez fantastique de la recette unique pour optimiser toutes les variables, et Sarko par exemple a aussi cette vision "technique" de la politique (dans les discours au moins)
- la revanche du grand capital sur les états. Les grandes compagnies, plus puissantes que les démocraties, imposent leur condition. Là encore, on le voit déjà d'une certaine façon (chantage à la délocalisation pour payer moins d'impôts, etc...)
- la démocratie facebook. Tout le monde vote sur tout en temps réel, on se passe de représentants. LA politique des sondages en somme
Oui, l'oligarchie (que ce soit sous la forme 1 technocratique/bureaucratique ou bien sous la forme 2 ploutocratique / "corporatist" au sens anglais) continue de fait à l'emporter souvent sur la démocratie représentative mais presque personne ne fait plus vraiment l'éloge de droit de l'aristocratie comme supérieure à la démocratie (même si on dit qu'il faut réguler la démocratie par la Constitution et la représentation, qui réintroduit un peu de principe "aristocratique").
RépondreSupprimerIl y a aussi un fantasme technocratique de l'efficacité quand l'UMP semble fasciné par la politique du PCC qui serait validée par le taux de croissance économique.
Même les technocrates prétendent mieux servir la volonté du peuple (qui "ne sait pas ce qu'il veut"). Et certains démagogues de l'oligarchie financière prétendent aussi lutter contre une technocratie bureaucratique de l'Etat ou d'organismes superétatiques (Sarkozy, Berlusconi, le GOP actuel).
L'espoir de démocratie directe sans représentation est en revanche un concurrent théorique plus important et la technologie moderne permet de rallumer le rêve de plus de démocratie "athénienne". Je crois que c'est souvent à cela que pensent les critiques "populistes" et anarchistes de la démocratie parlementaire (les libertariens anarcho-capitalistes préférant souvent en réalité une "aristocratie" inégalitaire).
Mais la démocratie moderne sait utiliser les sondages pour paraître plus directe tout en devenant plus technocratique. Elle doit alors convaincre "l'Opinion" qu'il y a des problèmes purement techniques où on n'a pas de champ de manoeuvre ou plus de choix politique ("Ne faisons pas de l'idéologie, soyons pragmatiques" étant souvent une des phrases les plus idéologiques qui soit).
Les populations s'en rendent compte et s'abstiennent plus ou votent de manière "protestatrice". Par un cercle vicieux, cela fait que les pouvoirs se disent que le peuple ne sait pas ce qu'il veut et qu'il faut plus de technocratie éclairée face à ce démos décidément mal éduqué à la liberté.
tl;dr : Oui, il y a toujours une crise de la démocratie parlementaire, malgré son succès théorique apparent et la chute d'une forme du totalitarisme.