Le dernier module officiel L3 ne fut donc publié que 13 ans après le précédent, en 1999. Mais dix ans après, sur le site amateur Dragonsfoot, Len Lakofka proposa de livrer gratuitement une suite personnelle, baptisée le "L4 Devilspawn". Le module fut relu et illustré par des volontaires et montre bien l'esprit généreux de l'Old School Renaissance, sans doute son aspect le plus attirant.
Commençons par les éléments positifs. Il y a beaucoup de matières, 137 pages pour un scénario gratuit, plus un petit supplément The Lendore Isle Companion, de 27 pages. Ce dernier, sur lequel je reviens ensuite, contrairement à ce que son titre pourrait faire penser, a plus de compléments de règles et pas beaucoup d'informations sur le cadre général de l'île de Lendore. Mais il est indispensable si on veut vraiment jouer les Personnages-Joueurs pré-générés, qui ont presque tous un but à accomplir sur Lendore.
Les premiers scénarios étaient pour les niveaux 2-4 et celui-ci demeure à ces niveaux intermédiaires "3-5". Un des charmes de Lendore est que Lakofka semble résister à l'inflation des niveaux. Les plus hauts personnages du scénario ne dépassent pas le 9e Niveau (même si le personnage de Lakofka, Leomund, créé il y a 40 ans, est en train de devenir un demi-dieu du 19e niveau).
Curieusement, le module est explicitement écrit pour être la suite du L1 & L2 mais il prévoit que les joueurs vont jouer une nouvelle équipe d'aventuriers venus du Continent par navire. Cette nouvelle équipe est censée ensuite agir en parallèle avec la première équipe, devenue PNJ partis vers les mines du L3. J'imagine que ce système compliqué s'explique seulement parce que Lakofka ne voulait pas présumer que depuis 30 ans que les modules sont sortis (ou 10 ans depuis la parution du L3), il ne se seraient rien passé pour la première équipe. C'est donc ce qu'on appellerait dans les comics une "continuité rétroactive". Le L4 ajoute ou "révèle" une nouvelle histoire simultanée à la série L1-L2-L3. Mais si vous n'avez jamais joué les premiers modules, il serait plus simple de suivre son idée d'une expédition venue d'ailleurs depuis le début et de faire en sorte que le L3 conduise au L4.
Le problème de départ me semble être qu'il n'y a pas assez de "motivation", de "carotte et bâton" (Push and Pull) dans l'introduction pour une nouvelle équipe d'étrangers sans lien avec la région, sauf si on joue les PJ pré-générés qui ont tous une raison d'aller vers Tellar, une ville au nord de Restenford.
Les nouveaux PJ arrivent (au mois de "Closeporte", selon la traduction officielle de Patchwall, à peu près octobre) à Restenford qui vient d'être attaquée par un raid d'humanoïdes sept jours avant. L'ancienne équipe de PJ est partie enquêter sur les origines du raid (vers les "Caves Profondes des Nains" du L3). Pendant ce temps, la nouvelle équipe doit comprendre qu'elle doit remonter jusqu'à la ville de Grest au nord parce que le Seigneur Obestor de Grest est venu prêter main forte à Restenford (et qu'il a donc laissé son château dégarni).
Contrairement au scénario "Priestly Secrets" de Jason Peck dans Dungeon #71 (novembre 1998), qui se déroulait 5 ans après le L2, on n'a pas vraiment décrit l'évolution de Restenford puisque les événements du L2 sont censés être l'actualité récente.
La suite du module est donc surtout un voyage depuis Restenford jusqu'à Grest et Tellar (d'autres villes sont mentionnées, "Bralmton" dédiée au dieu Bralm, déesse du Travail industrieux et des Insectes et "Phaulkonville", dont le théonyme est évident). Il y a certes de nombreux PNJ mais cela reste un itinéraire dirigiste. Je ne veux pas trop gâcher la suite mais je vais la donner en rot13 [mais le site n'inverse pas les lettres accentuées], pour ceux qui voudraient vraiment savoir. En gros, cela ressemble beaucoup au L2, en moins subtil. Ha tebhcr q'ntragf qr Flehy (qérffr Fhry qrf zrafbatrf), raibléf cne yr znyésvdhr Qhp qr Xebgra, irhg cebsvgre qrf gebhoyrf qr Erfgrasbeq cbhe ceraqer yr pbageôyr qh Puâgrnh qr Terfg.
Le module décrit en détails les quelques villages de Grest, Tellar et Cobblethorpe (Bourgcailloux). Cela devient donc une suite de donjons à explorer. Il y a beaucoup de cartes (j'en compte plus de 20 pages !), toutes situées à la fin du module. Sans vouloir sembler trop proche de luddites réactionnaires, je comprends certaines objections : le logiciel Campaign Cartographer rend les cartes un peu trop "aseptisées" et pixelisées, comme un vieux jeu vidéo, malgré toute la "texture" des sols. Pour un jeu médiéval-fantastique, on a peut-être encore besoin de l'artisanat d'un bon cartographe manuel.
Toute cette description du lieu a beaucoup de charme, avec par exemple cette petite fille qui peut accompagner les PJs parce qu'elle veut devenir Paladin du Dieu Bahamut (le Roi des Dragons). Chez Len Lakofka, le créateur du panthéon suel, les Dieux jouent plus de rôle que dans un module D&D usuel. On perçoit un travail énorme dans la quantité de personnages non-joueurs. Mais le défaut de l'introduction continue à me gêner si on voulait créer ses propres personnages. Lakofka dit simplement qu'un bon Maître du Donjon saura pousser les PJs ou bien qu'il devrait "préférer aller à la pêche à la mouche".
Lakofka a ajouté dans ce supplément (tout aussi gratuit que le module) quelques conseils de règles, une description du culte de Phyton (dieu de la nature), Akwamon (dieu des tempêtes marines et de la pêche), une nouvelle race des Dwogars (hybrides stériles de Nains et d'Ogres), quelques conseils sur la navigation dans le monde de Greyhawk, tout l'équipage d'un navire venu de Kéolande, le Chasseur de Requins. Le groupe des 8 personnages pré-générés comprend Garmel le Guerrier (adorateur de Phaulkon), Kurl et Ulof les Nains (Fortubo), Allaniar la Guerrière-Voleuse Elfe, Belltus le Prêtre de Phaulkon, Caerwin le Ranger (adorateur de Phaulkon), Baffin le Voleur (adorateur de Norebo, le dieu des jeux de hasard), Irena la Magicienne (adoratrice de Wee Jas, déesse de la magie et de la mort). La plupart des personnages ont des motivations précises pour aller refonder l'ancien Temple de Phaulkon à Tellar sur Lendore. Cela suppose donc une hiérarchie du Culte de Phaulkon capable de gérer des sanctuaires aussi lointains. Et s'il y a vraiment une ville nommée "Phaulkonville" sur Lendore (et le nom fait un peu double emploi avec Faucongris en français), on se demande pourquoi ils auraient besoin de faire venir des gens depuis aussi loin que la vallée de la Sheldomar.
[Sur le culte de Phaulkon, dieu ailé des Airs, des Oiseaux et des Archers, il y a une courte description du dieu par Len Lakofka dans Dragon Magazine n°87 (juillet 1984), p. 26, mais aussi une description du clergé plus développée dans Footprints n°6 (décembre 2005). Fils de Lendor, il est Chaotique Bon et est le père de Kord, le dieu des Batailles. Les prêtres archers peuvent appeler à l'aide divers oiseaux, dont des Aigles Géants. J'imaginais une sorte de Horus totémique mais l'iconographie dans Dragon Magazine montre plutôt un archer angélique.]
Le Chasseur de Requins doit faire tout un périple en venant de Kéolande (Gradsul et Gryrax) jusqu'à Porte-de-Fer (Irongate) puis les îles des Seigneurs des Mers (Sulward), avant d'arriver à l'île mystérieuse de Lendore et au petit port de Restenford. Le Kéolande, loin à l'ouest, a la particularité d'avoir encore une population d'origine suloise, ce qui fait un point commun avec l'autre extrémité du continent dans les îles (la majorité du centre étant les vieilles populations flannae ou bien les Etats oeridiens).
Je me demande si je ne préfère presque pas ce préambule maritime de deux mois à l'aventure terrestre. On pourrait développer plus les escales mais les 8 personnages-joueurs sont censés s'embarquer à différentes villes sur l'itinéraire et apprendre à se connaître sur le Chasseur de Requins, pour découvrir qu'ils ont des buts communs sur Lendore.
Avec cette longue introduction de voyage à travers la Mer Azure et la Mer Oljatt, plus les 100 pages du L4, il y a de quoi mener une longue campagne lendorienne sans même avoir encore besoin du L5 annoncé par Lakofka, qui doit décrire le suzerain, le Duc de Kroten et sa cité.
Cela n'a rien à voir mais je remarque pour la première fois un gros problème de géographie d'Oerth en regardant la Carte.
RépondreSupprimerL'Aerdie (l'est) est un vieil Empire depuis plus de 5 siècles dans Greyhawk mais elle est encore juste au nord de la Péninsule inexplorée de la Confrérie écarlate et ils ont nécessairement besoin de longer cette côte pour aller vers le Kéolande et tout le centre de la civilisation.
C'est un peu comme si l'Empire romain avait pu se répandre par la terre jusqu'en Hispanie mais n'avait toujours pas exploré la Corse et la Sardaigne 500 ans après.
Cette carte est donc difficile à défendre d'un point de vue de cohérence interne.