Je reprends ce que je disais hier sur les mondes de Traveller avec la série complètement "non-officielle" d'Ed Lipsett, les Spacefarers' Guides de 1978-1979 de chez Little Soldier/Phoenix Games.
Edward Lipsett est allé ensuite vivre au Japon où il est devenu traducteur. Il y a réalisé un jeu de rôle de science-fiction en japonais, Star Quest (1983). Mais il a dû garder un lien avec les jeux de GDW puisqu'il avait il y a quelques années encore une page web sur le Japon dans l'univers du jeu 2300 AD.
Le premier guide décrit 100 planètes et toutes sont prises dans des romans de SF cités explicitement, ce qui en fait donc une petite encyclopédie littéraire en même temps, même si les données ont été extrapolées ou peut-être parfois tirées aléatoirement en utilisant Traveller. Aujourd'hui, nous avons certes des listes entières sur Wikipedia.
A la même époque (1978-1979), il y avait aussi eu la série Terran Trade Authority / Galactic Encounters où Stewart Cowley / "Steven Caldwell" décrivait un univers en commentant librement divers illustrateurs.
Cette première version d'Ed Lipsett n'avait en revanche aucune illustration et ce volume pourrait paraître entièrement dérivatif. Il dit lui-même qu'il voit plus cette liste comme une source d'inspirations pour créer d'autres planètes et non pas pour les utiliser toutes en les juxtaposant.
Il y a pourtant déjà quelques traces d'un univers commun original derrière la compilation des romans. Par exemple, dans la Table de rencontres aléatoires au début, il dit qu'on peut rencontrer des flottes de "Wanderers". Ils semblent être un peuple nomade pacifique qui vit désormais dans une flotte de vaisseaux errant à travers les systèmes. L'inspiration était peut-être non pas les Cities in Flight mais la série Battlestar Galactica qui venait de commencer cette année-là ou bien la civilisation IRSOL dans Space Marines/Space Opera. Mais hélas, le second Guide ne donne aucune précision sur ces "Itinérants" (en dehors du fait qu'ils font surtout du commerce, Guide to sector 2 p. 18). Il y a aussi des vaisseaux robots qui ne sont pas tous des Berserkers.
Comme dans Traveller (Book 3 p. 9), la liste de rencontres laisse aussi ouverte la possibilité de tomber soudain sur une Sphère de Dyson, une Rosette de Klemperer ou un Anneau-Monde.
L'histoire dit seulement que le premier Empire avait pour capitale Hub (le "Moyeu"), une planète artificielle où se réunissait le Conseil des Maisons Marchandes. C'était donc une sorte de République oligarchique avec des délégués de douzaines de milliers de mondes. Puis la Maison de Talane découvrit une arme ancienne, appelée le Marteau et déclencha une guerre civile pour prendre le contrôle du Premier Empire. L'Empire s'écroula en de multiples "Empires de poche" et l'Inter-Règne dura quatre milliers d'années. Le Second Empire, qui a désormais un Empereur, n'occupe qu'une Sphère Intérieure plus réduite et le Guide du Secteur Un décrit cent mondes dans les débris en ruines à la marge de cette Sphère. Cette idée d'un Second Empire plus centralisé fait un peu penser à la chronologie chez H. Beam Piper.
La présentation de ces 100 planètes est curieuse, sans ordre alphabétique. Je n'ai du coup pas compris à quoi servait le numéro de chaque planète et on pourrait décider d'en faire un système de repères pour obtenir automatiquement une carte, même si cela ne doit pas être le but originel.
Cette fois, Edward Lipsett crée son propre Secteur original, sans référence explicite (en dehors de quelques références à E.C. Tubb et à son Guide précédent). Il y a peut-être déjà une influence des Spinward Marches dans certains aspects.
Au nord galactique se trouve le "Diadème de Rourke", ainsi nommé pour celui qui l'a découvert. C'est un Amas de 130 systèmes qui aurait été le centre du Premier Empire (mais on ignore qui furent les vrais Maîtres du Premier Empire, c'est perdu dans l'Antiquité). Le Diadème est demeuré hors du Second Empire et est divisé en trois Etats principaux, mais il n'y a hélas toujours pas de carte, toujours une liste de 100 planètes (avec cette fois un index alphabétique pour les retrouver).
Ces Etats sont (1) La Sainte Confrérie Tarliste (une théocratie expansionniste centrée sur la planète Savach), (2) L'Unité des Juges de Shildai (une dictature théocratique fondée par Shildai, un être mystérieux aujourd'hui disparu qui utilisa sa haute technologie pour diriger un empire de mondes moins avancés), (3) L'Empire de Cavoral (une monarchie héréditaire fondée par des armées prises en étau entre les deux autres théocraties au centre du Diadème). Diverses religions persécutées ont donc fui vers la Maison impériale de Cavoral, dont l'Eglise catholique de la Nova Roma et l'Eglise de la Fraternité Galactique (qui vient des romans de Dumarest of Terra de E.C. Tubb). Une autre organisation est les Vectans, des humains modifiés pour être sans émotions et devenir des conseillers des Princes (mais ils forment un réseau cybernétique directement inspiré des Cyclans chez E.C. Tubb). Et comme c'est un univers pour Traveller la Traveller's Aid Society prévue par les règles se retrouve aussi dans le Diadème.
Il y a beaucoup de services d'espionnage des trois Etats et du Second Empire, plus le monde de Watson, dirigé par des ordinateurs (#35 dans le Guide du Secteur 1) qui est spécialisé uniquement en espionnage et vente d'informations (un peu comme les Shingouz dans Valérian !).
Un détail sur le Second Empire est qu'en plus des Maisons Marchandes et Corporations, la société est organisée avec des Guildes interplanétaires comme la Guilde des Navigateurs, ce qui rappelle plus Dune. La noblesse de l'Empire est divisée en "Lions" (les "chevaliers" qui ont reçu des médailles) et en "Griffons" (les 100,000 plus importants Nobles de tout l'Empire). Les pouvoirs psi sont réprimés comme dans l'univers de Traveller parce que l'Empire craint la Guilde Psionique (mais l'Empire organiserait aussi en secret l'entraînement et la manipulation génétique de ses propres agents psi). Des associations d'humains xénophobes existent et on déjà perpétré des génocides. Une des espèces inhumaines en voie d'extinction, les Q'Reddim, est composée de musiciens psioniques qui survivent désormais comme ménestrels errants à travers le Cosmos.
Le guide énumère aussi des douzaines de Maisons Marchandes avec des spécialisations. Mais il y en a 5 qui sont principales. La Maison Dakkis gère surtout les matériaux radioactifs et les gisements. La Maison Goess gère l'alimentaire et les "Epices" (Arrakis était aussi dans le Guide 1). La Maison Fond't a entre autres spécialisations le divertissement et les arts. La Maison Justas est le plus célèbre constructeur de vaisseaux. La Compagnie Sekor est le leader en informatique.
Je ne suis pas amateur des tables de rencontres aléatoires d'habitude, mais celles de ce Guide ont quelques idées assez amusantes. Au lieu de dire simplement qu'on rencontre un vaisseau de tel type, la table décrit un individu précis, et les tables sont différentes selon qu'il s'agit de l'Empire de Cavoral, de l'Eglise de Tarl ou l'Unité de Shildai.
Les 100 planètes sont décrites avec à chaque fois une faune mais on retrouve des espèces communes. Un tiers des mondes appartient à chacune des trois factions à peu près à égalité. Mais il y a aussi Safari, la planète des chasses qui est co-gérée par les trois Etats, Flarr, le monde neutre de la Bourse de la Guilde des Marchands (dont tous les habitants sont des Humains de petite taille, environ 1,20m) et B'Brn'Bran'Ta, un monde mystérieux isolé et paisible d'humains à la technologie tellement hautement avancée qu'ils semblent quasiment divins par rapport aux autres puissances.
Le troisième guide ne décrit plus des mondes mais des espèces extra-terrestres, même si les différentes variétés d'Humains sont l'espèce dominante du Second Empire. Le modèle est peut-être le joli Barlowe's Guide to Extraterrestrials paru la même année avec 50 espèces illustrées. Cette fois, il y a beaucoup plus d'illustrations (en noir et blanc) par Robert Charette (qui participera ensuite à tant de jeux de rôle comme Bushido, Space Opera, Shadowrun). Le système utilisé ne fait plus référence aussi directement seulement à Traveller et semble même privilégier un peu un autre jeu rival, SpaceQuest, jeu créé par Paul Hume, un ami de Bob Charette.
Comme Edward Lipsett est un traducteur professionnel du japonais, on apprend que l'une des principales organisations intergalactiques est le Service de Traduction Universelle, seule guilde qui puisse aider avec les milliards de langues dans l'univers. La race d'humains mutants Lushori sont des empathes qui en font des interprètes surdoués. Il y a une langue auxiliaire commune, le Techspeak, mais elle n'est pas adéquate et universelle.
Le Guide décrit 100 espèces, dont 45 viennent de romans de SF mais cette fois les références ont été plus cachées que dans le premier Guide. Les noms sont parfois changés et il n'y a que des remerciements collectifs aux auteurs imités et plus la source à chaque fois.
Par exemple, les K'Zimm (p. 35) sont les Kzinti de Larry Niven (Kzinti qui sont aussi devenus les Kzanta dans le jeu informatique pour Apple Galactic Attack (1980) et les Kilrathis dans Wing Commander, 1990). D'autres races ont gardé leurs noms du Guide n°1 : les Akwairi (dauphins upliftés dans un monde aquatique adapté d'un roman de Roy Meyers), les Athsheans d'Ursula LeGuin (monde 74 dans le Guide 1), les Diomèdiens et les Ishtari de Poul Anderson, les Fuzzies de Zarathustra de Piper, les Girins téléporteurs de Vinge, les Albazariens et Laoni de Lin Carter, les Yiktori (Thassa) d'André Norton, les Niondites de Sprague de Camp, les Lithiens de James Blish, les Garviens du roman d'Alan Nourse, les Hudlar de James White, les Yaman de Darkover de Marion Zimmer Bradley, Mesklinites de Hal Clement, les Sthori de Campbell, les Dasorim, Neviens, Osnomiens, Rigelliens, Valériens de E.E. Smith.
Certaines espèces extraterrestres ont des sources vraiment obscures. Les Argans par exemple (ci-contre) ressemblent un peu dans l'illustration aux Ahoggyá de Tékumel (pas tellement sur le reste) mais ils viennent en fait de la planète Harmony dans le roman Sweetwater de Laurence Yep.
Les Replus (Repleux dans la version originelle française) viennent du roman de 1854 Star ou Psi de Cassiopée (monde #11 dans le Secteur 1) de Charlemagne Ischir Defonteney (1814-1856).
Les "Loutres" viennent de la planète Nandy-Cline du roman Demon Breed/ The Tuvela de James Schmitz.
Les Trans viennent d'Icerigger d'Alan Dean Foster (ils étaient aussi dans Barlowe's Guide to Extraterrestrials).
Un des traits intéressants de cette grande liste est à quel point les espèces sont souvent peu humanoïdes. Un jeu de rôle n'a pas besoin de suivre autant de contraintes humano-centrées qu'un film.
En revanche, chaque espèce n'a à chaque fois qu'une demi-page et les données chiffrées sont difficilement compréhensibles.
La série des guides fut suivie par un quatrième et dernier volume en 1979, The Spacefarers' Guide to Alien Monsters, avec 350 créatures, avec quelques illustrations. Cela doit donner à cet univers une faune qui pourrait rivaliser avec celle du corpus canonique de Traveller.
L'univers du Second Empire demanderait beaucoup de travail pour être utilisé. Il n'y a pas de carte et on a parfois du mal à concevoir comment la Terminus de Fondation coexisterait à côté d'Arrakis de Frank Herbert et toutes ces races Space Opera d'E.E. Smith. Mais le tout est quand même parfois supérieur à la somme des parties.
L'importance des religions dans le Second Guide, par exemple, donne un ton très différent de l'Imperium de Traveller où cela joue assez peu en dehors de quelques mondes arriérés. L'ambiance semble viser plus des histoires d'agents secrets infiltrés que de simples mercenaires.
Suite à ton précédent billet, j'ai ressorti la série des Spacefarers Guides pour y jeter un œil plus appuyé (et sans doute enfin les lire dans un avenir plus ou moins proche).
RépondreSupprimerEt je maintiens ce que je disais dans les commentaires dudit billet, à savoir que ces livrets n'ont rien de travellerien.
La seule mention de Traveller que j'y ai trouvée au refeuilletage est l'indication sur la couverture is usable with SF role playing games such as Traveler, Space Patrol Space Quest, etc. (l'emphase est de moi, c'est pour mettre en évidence l'orthographe américaine du titre). Et encore, cette mention ne figure pas sur le Guide to Sector One !
Après, que Traveller ait pu inspirer ou influencer Edward Lipsett, c'est plus que probable.
À signaler en outre qu'il existe un quatrième tome dans la série : Spacefarers Guide to Alien Monsters.
Pour le reste, intéressant billet comme d'hab'... Vas tu tenir le rythme d'un par soir ? :-)
Il y a vraiment quelque chose de travellerien pré-Spinward Marches, même si c'est peut-être plutôt dans des références antérieures communes (notamment E.C. Tubb ou H. Beam Piper).
RépondreSupprimer> À signaler en outre qu'il existe un quatrième tome dans la série : Spacefarers Guide to Alien Monsters.
Oui, je le mentionne juste à la fin mais je ne trouvais rien à dire dessus comme je n'ai pas reconnu de références.
> Pour le reste, intéressant billet comme d'hab'... Vas tu tenir le rythme d'un par soir ?
Non, je ne pense pas. Surtout qu'il y a d'autres paquets de copies à corriger qui commencent à converger sur moi avant février.
Dommage, j'essayais de faire un mois en écrivant tous les jours comme tu avais réussi à le faire en décembre. :)
> Oui, je le mentionne juste à la fin mais je ne trouvais rien à dire dessus comme je n'ai pas reconnu de références.
RépondreSupprimerComme quoi j'aurais dû relire le billet avant de poster mon commentaire. Je me suis rendu compte que tu l'avais mentionné juste après avoir envoyé mes pinaillages ! Et pourtant, j'avais tout lu avant ; mais plongé que j'étais dans le feuilletage des Guides, je l'ai zappé, et comme il n'y avait pas d'image de la couverture, j'ai posté trop vite. :-\
> Dommage, j'essayais de faire un mois en écrivant tous les jours comme tu avais réussi à le faire en décembre. :)
C'était en novembre : avec un jour de moins, c'est plus facile ! ;-)
Et puis la plupart de mes billets sont très courts, c'est plus simple aussi...
J'ai bien quelques projets de billets fouillés, mais je n'ai pas le temps de me lancer dans leur rédaction. :-\
Je pense que si tu veux poster des choses de ce volume tous les jours pendant une période donnée, il faut les préparer à l'avance, comme le font les auteurs de webcomics.
Sinon, si tu es l'heureux possesseur d'un exemplaire de Space Quest, je suis intéressé par un billet sur le sujet : je n'ai jamais vu ce JdR et j'avais zappé que son auteur était Paul R. Hume, ce qui suffit à le rendre digne d'intérêt à mes yeux.
Argh je crois avoir eu entre les mains un des terran trade authority qui devait s'intituler "mondes de sf". Aussi inspirant que les conan de Frazetta (qui d'ailleurs doit avoir des illus dans le bouquin)...
RépondreSupprimer> Imaginos
RépondreSupprimerOui, je vais poster des choses plus courtes désormais (les Casus me prenaient finalement plus d'un jour à chaque fois).
SpaceQuest, non, hélas, je ne l'ai jamais vu, cela reste un jeu avec classe de personnage mais il paraît qu'il y avait des espèces intéressantes.
> Anonyme
Ah, Images de la science fiction (Gründ, 1980) de "Steven Eisler" (alias Robert Holdstock) n'est pas la même chose que les Terran Trade Authority. C'était la traduction de Space Wars: Worlds and Weapons (1979) et il y eut aussi un Alien World (1980) mais je ne sais pas si la version française est bien la fusion des deux.
Il y a un univers intéressant dans ces guides. J'aime bien un détail idiot qui est que le lointain futur se souvient de la science-fiction du XXe siècle et nomme des planètes "Trantor" en l'honneur d'Asimov.
Dont on trouve pas mal d'images ici: http://wonderful.world.free.fr/sff.html
RépondreSupprimerJe me souviens vaguement de légendes involontairement humoristiques surinterprétant vers la sf certaines illustrations banales ou ayant peu à voir avec le sujet . En revanche pas de souvenirs de Caza.
Merci pour la précision.
Faute d'un mj intéressé, je suis passé complètement à côté du jdr sf. Alors qu'il m'arrive désormais de faire jouer en ligne, je suis resté aux standards fantasy & horreur. Je pense que c'est aussi par manque de scénarios dédiés. Et puis l'espace infini semble menacer de dissolution une possible diégèse.
Oui, les commentaires de Eisler/Holdstock sur les illustrations étaient parfois décalés, comme cette couverture de Pulp avec un alien qui était analysée comme une preuve de voyage dans le temps comme "on ne rencontra cette espèce que bien plus tard".
RépondreSupprimerLes vaisseaux avaient des caractéristiques obscur avec un "déplacement temporel" en secondes par minute. Par exemple, le Starcutter p. 12 (vaisseau peint par Edward Blair Wilkins qu'on peut voir là) a un "déplacement spatial de 48 ziemens avec un déplacement temporel de 5 secondes par minute". Ce genre d'expression de technobabble me donnait vraiment une impression "d'effet de réel".
> Dommage, j'essayais de faire un mois en écrivant tous les jours comme tu avais réussi à le faire en décembre. :)
RépondreSupprimerJe crois que tu as atteint ton objectif en janvier, non ? :-)
Tout à fait (même si j'accumule maintenant du travail en retard !).
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