Tales of Gargentihr (1994) de Richard Cooper et Alastair Cowan est un jeu de rôle britannique dans un univers de science fantasy qui n'eut hélas aucun supplément mais qui réussit à décrire tout un univers original dans son gros livre de base de 344 pages.
Quand j'ai dit "science + fantasy" (comme Jorune ou Tékumel), c'est vague et ce n'est qu'une manière de dire que le jeu tente une combinaison qu'on ne peut pas qualifier de "médiéval-fantastique". Gargentihr serait du "Renaissance fantastique" (au niveau XVIIe siècle) mais avec certains aspects plus Steampunk (voire presque Cyberpunk) qui en ferait plutôt du "Victorien fantastique". Les personnages jouent des humains d'un autre continent (les Karro) qui ont colonisé depuis un siècle un Nouveau Monde, l'Agasha. Les colons ont bâti la "Nouvelle République de Gevuria" et asservit les humains indigènes, les Ha'esh (qui font un peu plus penser à des peuples du Moyen-Orient qu'à des Indiens). Il y a aussi de nombreux autres non-humains intelligents en dehors des colonies. Mais ce Nouveau Monde et ses secrets sont encore à explorer et comme les continents de Gargentihr dérivent assez vite sur la surface, les colons sont désormais isolés de leur ancienne métropole qui s'est trop éloignée. Leur Nouvelle République est loin d'être utopique, entre l'oppression des indigènes, une forme d'Inquisition obscurantiste, la déshumanisation dans certaines Cités et une pollution industrielle naissante, même s'il y a aussi un espoir nouveau dans le progrès scientifique et de nouveaux idéaux politiques.
ToG a été influencé par le jeu de science-fiction Traveller. On détermine les études et les carrières suivies, ainsi que les cités que les personnages ont dû visiter pour leurs études (car les lieux ont des spécialisations professionnelles dans le parcours de la formation). Chaque personnage a passé six cycles d'apprentissage dans des branches qu'il a choisies. Ce système de "Sentier de Vie" (Lifepath) donne une des meilleures insertion du personnage dans l'arrière-fond puisqu'on connaît dès la création quelles régions des colonies il a pu déjà découvrir.
Le Nouveau Monde confronte en effet la science et la magie. L'Eglise lutte contre les nouveaux Instituts des Sciences. Des formes d'énergies magiques électrisent les cieux de l'Agasha et les indigènes Ha'esh savaient les manier. Mais certains des colons Karro attrapent une forme de maladie spectrale qui risque de les faire disparaître dans un autre plan. Mais ce mal les rend plus susceptibles d'utiliser la magie, à condition d'un traitement et d'une greffe de parties artificielles : c'est la Kyromancie, qui a un lourd prix à payer. Les Kyromanciens se servent de ce mal qui les ronge pour glisser vers un autre plan, les "Contrées Obscures", le temps de manipuler ces forces. Les Kyromanciens ressemblent à des Cyborgs déshumanisés, à Darth Vader et à des Pestiférés déclarés hérétiques par l'Eglise, et ce doit être une influence de la mode cyberpunk des années 1990.
Tous les personnages appartiennent à une Société d'aventuriers, la Clondis. C'est un mélange de Société Royale de Géographie et de Franc-Maçonnerie aufklärer, avec un petit côté plus "chevaleresque" (et le récent Pathfinder a eu le même concept avec sa Société des Eclaireurs qui donne son nom au jeu). La Clondis est organisée en petites cellules ou loges d'aventuriers recrutés dans toutes les professions et elle accepte même les indigènes. Elle sert à fournir à la fois des bases (les "Clon-halls") à travers les colonies et des missions pour les personnages. C'est un bon mécanisme de "Patron" pour le jeu de rôle et j'aime bien le fait que la Clondis a l'air d'être en réalité plus "éthique" qu'on pourrait le croire (même s'ils recrutent aussi des voleurs). Ils ne cherchent pas seulement à s'enrichir ou à découvrir des connaissances nouvelles, et croient aussi qu'ils doivent contribuer à émanciper la société de la Nouvelle République de Gevuria. Les membres de la Clondis se considèrent avant tout comme des chevaliers (ou disons, des rōnins) liés par un code de l'honneur, pas seulement comme des Conquistadors et des pilleurs de tombeaux indigènes, et pour l'instant la Société a plutôt une bonne image extérieure d'Organisation Non-Gouvernementale, malgré ses manipulations et ses buts politiques inavoués. On peut engager les membres comme des sortes de "détectives" ou "mercenaires", mais ils se soucient de leur "Kai", qui est en gros l'équivalent de l'Honneur ou du Bien-être spirituel, à la fois le Karma et la Santé mentale (encore un aspect où le monde est directement intégré dans le système).
Phil Masters et Madcat (qui crée un personnage complet) reprochent au jeu d'avoir trop multiplié les néologismes et on est parfois en effet dans le même effet que dans Jorune de ce point de vue - il est dommage qu'ils n'aient pas pu mettre de Glossaire.
Le jeu de rôle est ainsi fait que tous ces beaux nouveaux mondes ne pourront jamais trouver de publics suffisants. Il y a une prime aux premiers univers qui ont été là dès l'origine et Gargentihr ou Jorune ne pourront hélas jamais rivaliser avec Greyhawk, malgré tout le charme et la sincérité visible de cet univers. L'absence de suppléments publiés est souvent regrettée mais ne devrait pas empêcher d'y jouer. ToG est assez suffisamment complet tel quel (même si j'aimerais bien trouver un jour la mythique "2e édition" qui serait sortie confidentiellement vers 1998).
Voilà un JdR fort curieux! :)
RépondreSupprimerJe me demande quand même s'il ne fait pas mélange-des-genres écrit par un-cancre-en-Histoire-qui-confond-Indiens-d'Amérique-et-Indiens-d'Inde, et-qui-du-coup-change-juste-les-noms pour pouvoir dire "nan-tu-vois-l'Histoire-c'était-trop-un-carcan-ceci-est-un-monde-imaginaire". Ce qui donne par exemple 7th Sea, ou Shadowrun.
Je crains en effet l'effet des jeux non-historiques comme 7th Sea (où Zorro et Francis Drake luttent contre Louis XIV en pleine Révolution française) ou bien des mondes qui se veulent "différents pour être différents" (le défaut qui menace dès qu'on veut s'écarter des modèles traditionnels avec des Nains & des Elfes).
RépondreSupprimerMais dans le cas du monde de Gargentihr, il y a certes des clichés (Bons Indigènes psioniques en communion avec la nature contre les Pélerins puritains, Eglise obscurantiste, pollution industrielle) mais le résultat a quand même un certain charme.
Je trouve d'ailleurs qu'il y a quelque chose d'assez spécifiquement britannique, même ce n'est pas un jeu très humoristique.
Je jette un coup d'oeil sur 7e Mer et je ne savais pas à quel point ce jeu aussi utilise des sociétés secrètes comme "la Société des explorateurs" et "les Rose+Croix" qui pourraient faire penser aux mêmes idées dans Gargentihr.
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