samedi 19 mai 2012

[comics] Du côté de chez Marvel


On aura beau prétendre que les comic books mainstream auraient mûri avec le vieillissement de leur lectorat, un des thèmes essentiels demeure celui de la "jeunesse". Les comics DC demeurent plus liés à une conception patrimoniale des fondateurs du Genre du superhéros et les jeunes héros sont des associés, des "petits frères" qui ne cessent de dire qu'ils doivent endosser un "héritage" qui remonte à l'Âge d'or, à la toute première équipe de superhéros, la Société de Justice, puis la Ligue de Justice (les New (Teen) Titans, Young Justice, les Outsiders). Marvel Comics peut avoir cela (New Warriors, Young Avengers, Avengers Academy) mais le thème global depuis l'enorme succès des X-Men est plutôt une révolte adolescente contre le monde adulte (les New Mutants n'étant que la continuation des X-Men face au monde des adultes). Les Mutants désespèrent de naître dans des familles ou une société "qui ne les acceptent pas". Ce thème du rejet adolescent est typiquement Marvel et le récent Runaways avait poussé ce thème le plus loin avec une équipe de jeunes adolescents qui découvrent que tous leurs parents sont des supercriminels. Certes, il y a aussi souvent chez Marvel une tradition à reprendre (par exemple, le "Rêve de Charles Xavier" en substitut du Rêve de Martin Luther King, ou l'autorité charismatique de Captain America) mais les deux univers ont des accents différents. Le Multivers DC se reboote tous les deux ans mais insiste toujours sur l'idée d'une continuité filiale, sur des dynasties (qui peuvent atteindre plus de deux générations, comme les Flashs par exemple). Le problème central de DC est de savoir comment gérer le passage du temps et donc la transmission du flambeau. L'Univers Marvel est globalement plus stable dans sa diachronie (malgré quelques univers alternatifs) mais réintroduit toujours un schisme ou une rupture politique : Mutants contre non-Mutants, Individu contre Gouvernement (dont on sent souvent un aspect de transfert générationnel qui est plus psychologique que politique : enfant contre père autoritaire). Le problème principal n'est plus la tradition à perpétuer contre l'oubli mais au contraire de survivre et de s'insérer dans un monde hostile.

Récemment, on a donc eu droit à la Guerre Civile sur la question de l'identification des héros, entre Captain America (droits individuels) et Iron Man (sécurité). Le camp d'Iron Man gagna largement sur le terrain mais Captain America finit par emporter la victoire morale dans une réconciliation peu crédible. Puis les X-Men se sont divisés (Schism) entre Cyclope sur la Côte Ouest (qui a une conception plus militaire des X-Men) et Wolverine sur la Côte Est (qui représente, curieusement, la fidélité à la vision de Xavier, alors qu'on aurait pu s'attendre à la relation inverse, Cyclope étant d'habitude le Surmoi et Wolverine les pulsions). La "Guerre" actuelle entre les X-Men de Cyclope et les Vengeurs est une reprise de ce thème de la Guerre civile. Elle prend pour prétexte un nouveau retour du Phénix : Cyclope veut croire qu'il est possible que le Phénix ait sa rédemption, Wolverine et les Vengeurs pensent que la sécurité collective doit avoir la priorité (ce qui ressemble au débat qui avait déjà eu lieu sur le sort du Hulk). Les scénaristes Marvel semblent fascinés par toute cette polarisation et ces divisions politiques parce que depuis les premiers scénarios de Stan Lee, les héros Marvel passent presque autant de temps à se battre entre eux que contre leurs ennemis.

Avengers Academy #30 de Christos Gage et Tom Grummett est une introduction à cette guerre. L'équipe est censée être une Ecole, comme celle de Xavier mais pour des êtres qui ont été manipulés par Osborne pendant son règne récent. Les jeunes gens viennent déjà de se diviser dans les épisodes précédents : certains membres de l'ancienne "Initiative" ont rejoint une fondation privée (dont on devine qu'elle n'est pas philanthropique), puis les membres plus rebelles des Runaways ont incité les apprentis Vengeurs à la révolte.

Ici, les Vengeurs et Wolverine ont confié en résidence surveillée certains des élèves de Cyclope sous la tutelle des apprentis Vengeurs. C'est donc une nouvelle raison pour les divisions : certains des jeunes Vengeurs prennent parti pour les Mutants prisonniers, alors que Sebastian Shaw (l'ancien Roi Noir du Hellfire Club) vient se venger d'Emma Frost pour tuer ses élèves.

L'un des éléments principaux de la littérature enfantine n'est plus vraiment le fantasme de se passer d'école, l'Ecole de l'Expérience/de la Vie, mais au contraire une Ecole de plus en plus "formelle" ou rigide. Les lecteurs de Harry Potter rêvent d'être enfermés en Pensionnat. Les comics Marvel ont de plus en plus pour thème des imitations de l'école Xavier (même si les contraintes du mouvement de la BD font qu'on ne les voit pas souvent faire autre chose que du sport, en extérieur ou en en Salle des Dangers). Le fait de transformer l'impulsif Wolverine en figure du Proviseur responsable est une des bonnes idées de ce processus où les comics semblent obsédés par la question de la "formation".

Dans les deux types d'univers, DC comme Marvel, les récits sont des "Guerres" mais  ces Guerres sont des échos de récits fondateurs. DC réécrit sans cesse la cosmogonie de Crisis on Infinite Earths, où les mondes distincts doivent s'unifier pour résister au passage dans le néant. Marvel réécrit plusieurs fois la scission du Dark Phoenix, où les héros doivent se diviser sur la question morale de savoir si l'individu peut maîtriser ses démons intérieurs ou s'il faut se montrer "utilitariste" sur le débat de la sécurité et de la liberté. Le premier a un frisson plus métaphysique alors que le second est un roman de formation, et donc aussi une question plus politique.

2 commentaires:

  1. "Les lecteurs de Harry Potter rêvent d'être enfermés en Pensionnat." Cette phrase fait désormais partie de mon pop patrimoine.
    Je vois des liens avec la prédestination, les Slans, les Familles dans le Monde des Ténèbres, etc, ad lib... comme consolation du réel.

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  2. Oui, la révolte contre les Anciens dans les jeux du Monde des Ténèbres s'accompagne aussi d'une volonté d'appartenance (rejeter un géniteur mais pour mieux prendre sa place).

    Superman est le mythe de l'Enfant trouvé le plus pur, encore plus que tous les Moïse, Cyrus ou Harry Potter : le personnage découvre que sa famille humaine si insatisfaisante (famille du lecteur) n'est rien par rapport à sa famille réelle de Dieux célestes et comme ces derniers sont tous morts, il n'a même pas à craindre leur domination.

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