mercredi 29 août 2012

Tamriel & Thedas


Contrairement aux Vrais Geeks Authentiques d'Appellation Contrôlée, je n'aime pas les jeux sur ordinateur. J'ai juste joué à Civilization I il y a environ 20 ans mais en gros, je n'aime les jeux de rôle qu'avec des êtres humains (même si j'admets la possibilité qu'un jour dans un avenir plus ou moins proche, la technologie évolue assez pour que je puisse changer d'avis). Pour l'instant, même dans un bac-à-sable, je me sens enfermé par le programme.

Mais parmi les prétendus "jeux de rôle par ordinateur" (expression discutable, mais passons), il semble que des jeux comme Dragon Age ou les derniers Elder Scrolls commencent à recevoir des univers tout aussi creusés que ceux des jeux de rôle sur papier et des scénarios presque aussi riches.


  • Les Parchemins des Anciens : le continent de Tamriel

    Elder Scrolls est plus ancien (la première version, encore assez primitive, est de 1994) mais je crois qu'il n'a commencé à détailler vraiment son univers que dans les derniers modules Elder Scrolls III: Morrowind (2002), IV: Oblivion (2006) et V: Skyrim (2011).



    De prime abord, le monde de Tamriel [au sens strict, le monde s'appelle "Nirn" mais les aventures se déroulent toutes pour l'instant sur le continent de Tamriel] paraît assez proche des clones génériques de Tolkien habituels, avec ses Humains, ses Elfes et ses Nains.

    Mais une des premières idées de base de ce monde est une simplification habile des espèces. En dehors de quelques monstres et créatures (des félins et des sauriens humanoïdes), il n'y a pour ainsi dire que deux groupes : les Humains et les Elfes (avec diverses sortes d'Elfes, dont les Nains et les Orcs seraient tous issus). C'est plus conforme aux contes qui ne séparent pas autant les races féériques que dans les mondes post-tolkieniens. Cette dualité recouvre une opposition originelle entre les Humains mortels, qui adorent les Dieux qui les auraient créés, et les races elfiques, qui se disent descendre directement de certains de ces êtres que les Humains considèrent comme des Dieux et/ou des Démons. Cela explique l'arrogance des Elfes qui ne vouent aux Dieux qu'un culte ancestral envers leurs dynasties. En fait, les divers Elfes d'origine transcendante considèrent que ce Monde mortel a été créé par le Trickster en leur volant leur immortalité. Cela leur donne une haine (gnostique) contre ce Monde matériel déchu et cela explique en partie l'animosité entre les deux espèces, qui rend les Elfes profondément inhumains (même si des alliances ont été possibles).

    Un des nombreux auteurs du monde des Parchemins (mais parti avant le volume V: Skyrim) est Ken Rolston, connu des rôludistes pour avoir participé à RuneQuest et avoir bien connu le meilleur monde fictif jamais développé, Glorantha. Je ne sais si cela ne vient que de lui mais on ne s'étonne donc pas que Rolston ait incorporé depuis 2000 dans la cosmogonie de Tamriel certains des aspects de Glorantha, notamment l'idée (d'origine campbellienne) que chaque élément du "Monomythe" va être diffracté et réinterprété de manière complètement différente à travers les différentes cultures de Tamriel. Chaque donnée sur les cultes et les Dieux, Démons ou Dragons est donc traduit de manière assez différente, ce qui fait que le joueur ne peut pas toujours savoir quelle interprétation est correcte.

    L'Histoire est découpée en trois Âges et me semble hélas moins originale que ces détails mythologiques. Au Premier Âge, plusieurs Etats d'Elfes l'emportaient sur les Humains. Une esclave rebelle, Sainte Alessia, révèle aux Humains le culte des Huit Dieux-Dragons et lève avec plusieurs héros la révolte des Humains contre l'Empire elfique. C'est le début du Premier Empire de Cyrodiil, qui persécuta les royaumes elfes, puis du Second Empire dont les dirigeants avaient le sang d'un ancien dragon. Le Second Empire s'écroula quelques siècles après sous les coups d'une société secrète d'assassins elfes. Le Second Âge fut la période de l'Interrègne où les divers royaumes de Tamriel se divisèrent à nouveau, jusqu'à la Réunification au Troisième Âge et l'apothéose d'un nouvel Empereur au sang draconique, qui fut ajouté comme Neuvième Dieu de l'Eglise alessienne. C'est l'époque de la plupart des modules (certains des romans officiels et le volume V Skyrim se déroulent en revanche après l'auto-sacrifice de ce Troisième Empire pour résister aux forces de l'Oubli, après la destruction de l'Amulette de Sainte Alessia).

    Tamriel est composée de huit grands pays qu'on peut compter plus ou moins dans l'ordre des aiguilles d'une montre. Au centre se trouve la vieille capitale impériale des Humains, Cyrodiil. Morrowind au nord-est est dirigée par les Dunmer (les Elfes noirs). Le Marais Noir, au sud-est, est le territoire des Argonnes, les hommes-lézards. Elsweyr, au sud, est le royaume des Khajit, les hommes-félins. Valboisé, au sud-ouest, appartient aux Bosmer (Elfes sylvains). Les Îles du Coucher de l'Eté, à l'ouest, sont le domaine des Altmer (Hauts-Elfes). L'Enclume (Hammerfell), à l'ouest, est le domaine des Rougegardes, un peuple humain martial. Au nord-ouest, Hauteroche (Highrock) appartient aux Bretons, un peuple humain mélangé aux Elfes et au peuple des Orsimer (les Orcs). Enfin, tout au nord dans les plus hautes montagnes, Bordeciel (Skyrim) est peuplé d'humains et de Falmer (Elfes des neiges).

    Le jeu a développé de très nombreuses organisations, guildes et sociétés mais globalement (en dehors de la religion), l'univers reste assez traditionnel.

  • L'Âge des Dragons : le Continent de Thedas

    Dragon Age commence sa propre série depuis 2009 (donc après Elder Scrolls IV) et a déjà eu de nombreuses extensions, romans et même une série en vidéo et un jeu de rôle sur papier (qui n'utilise pas du tout les mêmes règles que le jeu informatique).



    Thedas aussi oppose les Elfes et les Humains mais avec un mythe assez original. Avant même le commencement du calendrier, les Humains ont envahi les territoires elfiques mais pour leur voler aussi leur Magie, ils ont dû envahir le Plan des Rêves, en utilisant des minerais d'absorption de la Magie pris aux Nains. Dans ce Plan des Rêves (appelé l'Evanescence, The Fade), où vont à la fois les morts et les songes, ils ont trouvé la Cité d'Or, domaine céleste, qu'ils ont tenté de conquérir pour en tirer leurs pouvoirs. Cela eut des conséquences apocalyptiques car la Cité d'Or chuta et fut corrompue. Elle n'existe plus dans ce Plan que comme une terrifiante Forteresse de Ténèbres.

    Cette version de la Chute est fascinante et pourrait encore faire penser aux Apprentis Divins de Glorantha : les Humains n'ont pas été chassés du Paradis pour une faute, les Magiciens humains de l'Imperium ont saccagé le Paradis lui-même. Ce pillage a pollué ce Plan spirituel et fit chuter les Anciens Dieux sous forme de plusieurs Dragons déchus en démons. C'est ce qu'on appelle le Fléau de la Flétrissure (The Blight) et ce Fléau revient désormais régulièrement, presque à chaque siècle dans le monde matériel. Les Humains créèrent alors un Ordre spécialisé de rangers-exorcistes, les Gardiens Gris, pour lutter contre les invasions des forces démoniaques qui ont été libérées sur le monde.

    Comme pour Sainte Alessia sur Tamriel, il appartient à une femme d'être la Prophète. Une Humaine nommée Andraste se dressa contre l'Imperium des Mages qui avait pillé la Cité d'Or. Elle instaura une Eglise monothéiste (The Chantry), qui considère les Anciens Dieux comme de simples Anges déchus du Créateur. Cette Eglise lutte depuis à la fois contre ces Anciens Dieux corrompus mais aussi rapidement contre tous les Non-humains (qui n'ont pas d'âme et dérogent au plan du Créateur) et contre tout Sorcier qui risque d'alimenter le Fléau. Sans doute à cause de sa Fondatrice, l'Eglise n'admet que des Prêtresses femmes (sauf dans l'organisation militante des Templiers, qui est aussi l'Inquisition et qui pourchasse notamment les Magiciens non-immatriculés et "apostats"). Les Elfes (animistes) et les Nains (athées) sont des sujets opprimés par la plupart des Etats humains et les Elfes des Vaux sont maintenant des réfugiés nomades, après des siècles de génocide par les Humains (même si certains se sont convertis pour survivre).

    Le Calendrier de Thédas a une présentation particulière. Chaque Âge dure 99 ans (ce qui explique qu'on donne les dates comme des versets bibliques : "8: 99" pour la 99e année du 8e Âge) et le présent est au Neuvième Âge (vers 9: 30 dans Dragon Age: Origins), prophétisé comme "l'Âge des Dragons".

    Le combat de l'Eglise contre la Magie n'a pas fait l'objet d'un consensus de tous les fidèles. A partir de 3:87, l'Imperium de Tevinter, soutenu par les Mages, a déclaré un Schisme, refusant à la fois l'autorité de la Pontife (ils nomment leur propre Pontife) et la divinité de la Prophétesse Andraste. Ce Schisme déclenche une période de "Marches Exaltées" (des Guerres saintes) de l'Eglise contre l'Empire.

    Depuis les trois derniers siècles, l'Eglise doit lutter non seulement contre le Fléau, contre les Mages hétérodoxes mais aussi contre de nouveaux envahisseurs dans l'Imperium, un Etat étranger hyperorganisé qui recrute à la fois des Humains et non-Humains dans sa philosophie totalitaire, les Qunari. Ces derniers n'ont rien de "démoniaques", même s'ils soumettent tous leurs sujets à un ordre rigide et militarisé. Les dernières Guerres Saintes des Templiers ont plutôt été lancées contre leurs organisations et leur philosophie irréligieuse assez stoïcienne.

    Cela explique que les factions de Thédas soient si divisées entre les Templiers, les Mages, les Non-Humains persécutés et les Qunari, et que les derniers Gardiens Gris soient impuissants à les unifier contre le Fléau. Cela rend le monde assez peu manichéen comme chaque faction peut avoir ses ambiguïtés.

    Peu de nations ont vraiment été détaillées pour l'instant. Le jeu se déroule dans le Royaume de Ferelden, monarchie récente qui a un petit côté celtique et qui vient de regagner son indépendance de l'Orlais. L'Orlais, à l'est, au-delà des anciens Vaux elfiques, ressemble à une France alternative mais est aussi le siège de l'Eglise (la "Divine", chef des Révérendes Mères, est à la capitale "Val Royeaux"), qui s'oppose à l'ancien Imperium de Tevinter, au nord. Cette magiocratie de Tevinter serait l'équivalent de l'Empire byzantin, l'Imperium a fait scission et a sa propre Eglise Impériale (qui tolère plus la Magie et accepte les prêtres masculins). L'Anderfels est plus germanique et contrairement aux autres Royaumes, les Gardiens Gris y sont très influents. Les Qunari joueraient à peu près le rôle des Etats musulmans ou turcs du Moyen-Âge, si ce n'est que leur organisation militariste insiste plus sur la technologie.

    Les thèmes épiques de Dragon Age sont donc ultra-rabachés (le retour d'un Mal Ancien) mais les références inversées à l'Histoire sont assez bien faites, avec cette Eglise féminine en lutte avec l'Empire, ou ces Elfes qui vivent comme une minorité de nomades persécutés. Les clichés sont assez reconnaissables pour être vite intégrés (tout jeu de rôle a une méchante Inquisition) mais en même temps peuvent être retournés (les Templiers de l'Inquisition peuvent aussi lutter sincèrement contre le Fléau, l'Eglise évoque un peu les Bene Gesserit ou les Aes Sedai). La Magie comme source de corruption cosmologique a aussi un petit côté qui rappelle Earthdawn, et le fait que les Mages voyagent dans leurs songes est intéressant (même si on l'a déjà vu en France avec Rêve de Dragon et aux USA notamment dans Tribe 8 ou dans The Wheel of Time).
  • 12 commentaires:

    1. je n'aime pas les jeux sur ordinateurs

      Moi j'ai HORREUR des jeux sur ordinateur.

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    2. je n'aime pas les jeux sur ordinateurs

      Moi j'adore (presque) les jeux sur ordinateurs ! Me voilà outé. Il me suffirait d'avouer être thèsard en informatique pour être catalogué geek primaire. Oups...

      Je trouve la comparaison intéressante. L'univers des Elder Scrolls m'avait semblé plus "rôlistique" au sens où plus propice à de multiples aventures (plutôt) ouvertes par des héros créés de toutes pièces, là où Dragon Age se concentre plus sur l'opposition centrale "Gardiens Gris" contre "Souillure".

      Cela se ressent beaucoup dans leurs gameplay respectifs, le plaisir de la première série naissant de l'exploration d'un univers fourmillant de détails sans fil rouge imposé, tandis que la seconde repose sur l'incarnation d'un groupe de héros dans une quête dirigiste très scénarisée.

      L'univers des Elder Scrolls me paraît être devenu un cadre intéressant via l'accumulation de matériel au fil des années, comme les célèbres "romans" présents dans le troisième épisode. Il me semble que notre hôte a déjà évoqué ce phénomène en décrivant des mondes de JdR papiers.

      Je me souviens aussi avoir été impressionné à la fin de Dragon Age premier du nom, troublé par la sensation inédite d'avoir terminé l'équivalent vidéo-ludique d'un bouquin de fantasy. Un bouquin médiocre, certes :-)

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    3. > Gianni
      Mais qui sait si cela ne peut pas évoluer ? Ils semblent offrir déjà de plus en plus de libertés, on n'est plus dans le pixelbitching de Wizardry ou Ultima.

      > A.
      Le graphisme 3D m'arrête encore un peu. les fans doivent y voir avant tout un progrès par rapport à avant mais pour les profanes qui ne comparent pas aux formes précédentes, ces silhouettes 3D font penser à des Sims en armure.

      On a ce phénomène intéressant où les JDR papier ne produisent plus autant les "propriétés intellectuelles" qui seront ensuite adaptées en JDR sur ordi, mais on a de plus en plus le contraire. Une compagnie investit pour créer tout un monde pour JDR sur ordi et ensuite d'autres l'adaptent en JDR papier : Diablo, Everquest, Word of Warcaft, Dragon Age. Ce dernier ressemble d'ailleurs trop peu à son modèle en n'ayant pas les mêmes classes (pas de Reaver, par exemple).

      La mythologie de Tamriel est riche et le monde de Thedas est séduisant mais ces mondes donneront toujours un peu une impression de "synthèse" à la Royaumes Oubliés, sans une vision d'auteur.

      Finalement, ce qui m'attirerait le plus dans Dragon Age c'est le côté "Soap Opera" à la Dragon Lance, le fait qu'on puisse draguer des PNJ (et d'après les vidéos sur YouTube, cela a semblé obséder certains fans).

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    4. Le graphisme 3D m'arrête encore un peu.

      En y réfléchissant, ce n'est pas vrai, ce qui m'arrête vraiment est peut-être toute illustration quelle qu'elle soit, même si elle avait la beauté d'un dessin animé d'Ivan Ivanov-Vano, de Lev Atamanov ou le réalisme d'un Ralph Bakshi.

      J'ai l'impression qu'on veut faire mon imagination à ma place (c'est un peu le même problème avec les Figurines).

      Mais on me répondra que le JDR papier est au JDR ordi ce que le livre est au cinéma.

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    5. Mais on me répondra que le JDR papier est au JDR ordi ce que le livre est au cinéma.

      Moi je dirais plutôt que le JDR ordi est au JDR ce que la masturbation est au sexe....

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    6. Ce que je veux dire (de façon moins polémique) c'est que le plaisir du JDR sur table réside avant tout dans l'interaction avec les autres joueurs. C'est pour cela que, malgré mon amour immodéré pour T&T, je n'aime pas les solos.

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    7. > Moi je dirais plutôt que le JDR ordi est au JDR ce que la masturbation est au sexe....

      ROTFL ! :-)

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    8. Vous donnez l'impression que la masturbation, c'est mal... ;)

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    9. Peut-être seulement la masturbation virtuelle !

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    10. > Vous donnez l'impression que la masturbation, c'est mal... ;)

      Pas du tout, c'est le JdR ordi qui est mal... ;-)

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    11. En tout cas merci pour cet article très fourni.

      C'est vrai que l'esthetique du jeu Oblivion est assez poussée et maintenant beaucoup de mmorpgs ont su investir dans une visualisation très aboutie, cohérente et riche... Et ainsi séduire un public croissant, même si puisé, on va dire "historiquement", chez les rolistes tradi t.i. les joueurs 'papier et crayon'...

      Je rebooterai le debat au boulot avec mon collègue fan d'Oblivion... Meme s'il est assez bourrin et n'aime pas les parties en groupe. C'est un ancien gros fan de Ce jeu post apocalytique des années 2000'dont le nom m'échappe mais qui a aussi ete créer par ce studio, bethesda, je crois... Raaah zut !

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    12. Peut-être Fallout 3 qui avait été développé chez Bethesda (la série était créée chez Interplay) ?

      Cela dit, comme les satisfactions sont très différentes (notamment dans les représentations, dans le support graphique et le rôle du langage pour négocier ce qui arrive), je comprends que certains amateurs de jeu sur ordi s'ennuient en jeu de rôle autour d'une table (dans mon cas, c'est l'inverse).

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