lundi 24 septembre 2012

[JDR] MM&M: The Advanced Rules



J'ai déjà parlé un peu des règles d'Introduction de Man, Myth & Magic (1982) de Herbie Brennan et il est temps de passer aux règles avancées que l'auteur appelle parfois AMM&M.

Certains des défauts de Brennan (typiques des jeux dits de "première génération") continuent dans ces règles "avancées". Il ne sait pas être assez systématique et les règles vont parfois dans tous les sens. Bien qu'on n'utilise que le d100, certains jets doivent être au dessus du score ou d'autres en dessous (comme dans les vieux D&D). Certaines règles optionnelles aggravent le problème en ajoutant de nombreux détails qui n'ont pas dû être testés (comme ces 20 (!) nouvelles caractéristiques optionnelles à tirer pages 24-27). Il faut donc aimer un rôle très important du tirage aléatoire puisqu'il n'y a strictement aucun choix dans la création du personnage. De plus, comme les règles d'expérience ne sont pas très claires, on risque de rester longtemps avec des scores de réussite assez bas.

Les Dix Origines

Dans cette version des règles, on tire désormais en plus 1d100 pour l'origine nationale et ensuite un second dans la Classe de personnage, qui dépend de la nationalité. Le hasard est très déterminant puisque la Classe décide de presque toutes les capacités ensuite. On peut vouloir jouer un Sorcier africain et obtenir un Barbare germain, voire n'avoir qu'une équipe de Sénateurs romains.

Les 10 nationalités (équiprobables) sont :
     (1) Africain
     (2) Breton
     (3) Egyptien
     (4) Gaulois
     (5) Grec
     (6) Hébreu
     (7) Hibernien
     (8) Wisigoth
     (9) Romain
     (10) Oriental

La dernière catégorie "Oriental", aussi vague et vaste que celle pour "Africain", semble signifier Chinois en pratique (et on imagine plus un cliché Pulp ou années 1970 sur les arts martiaux de Bruce Lee, non des détails sur le règne de Hàn Guāngwǔ dì). Il ne semble pas prévu qu'on puisse être Parthe, Perse ou Gymnosophiste-Brahmane indien.

Herbie Brennan est d'origine irlandaise et le jeu est donc assez "celtocentriste" avec 30% de chances d'être celte (Grand-Breton, Gaulois ou Gaël) alors que les scénarios de départ supposent que l'équipe internationale des personnages vit à Rome (mais toute la première campagne est en Irlande dans le cycle épique du Táin Bó Cúailnge). Très curieusement, seuls les Bretons ont des Druides, les Gallo-Romains ont perdu toute tradition magique et les Irlandais n'ont que des bardes, les "Harpistes". Si on tire "Hibernien", on a ensuite une chance d'être un "Leipreachán", un Lutin/Farfadet des Tumulus d'Irlande lié aux anciens dieux des Tuatha Dé Danann. Le pouvoir des Leprechauns peut paraître au début assez limité, seulement une capacité surnaturelle en "Baratin" et la détection d'or mais par la suite, leur Magie est finalement assez diverse et plus développée que celle des Druides.

La même année 1982, Chris Claremont avait créé sa trop éphémère série de comics, Marada She-Wolf (par l'artiste John Bolton) qui comportait des agents et mages gallois dirigés par des Sídhe d'Ashandriar jusqu'en pleine Syrie romaine et j'ai un peu l'impression que Man, Myth & Magic est quasiment fait pour jouer dans ce comic-book sur Marada la Louve.

Extrait de Marada She-Wolf par John Bolton 1982


Les Règles de base sur les Gladiateurs sous l'Empire ne précisaient aucune date mais les aventures officielles de la boite commencent en l'An 793 de Rome (soit 40 après Jésus-Christ, dernière année du règne de Gaius Caligula, l'époque où le Juif néo-platonicien Philon d'Alexandrie vient à Rome pour convaincre l'Empereur de lutter contre les pogroms des Hellènes contre les Monothéistes). En passant, c'est à peu près le même cadre que le nouveau jeu Servants of Gaius, où les personnages joueurs sont des agents du même Empereur (si ce n'est que ce dernier jeu part de l'idée que Caligula avait raison sur tout et qu'il était vraiment un Dieu impérial en lutte contre les abysses de Neptune).

Le Jeu de la Transmigration des Âmes

Mais on sent bien qu'avec MM&M, on est dans un temps mythique très élastique, voire onirique, pas "historique". Brennan a des croyances New Age sur l'esprit et la mort (voir son site) et cela transparaît (même s'il est aussi capable d'un certain détachement humoristique, comme le montrent de nombreuses blagues dans les noms de sorts). Son autre jeu de rôle Timeship permet aux personnages-joueurs de voyager dans le temps mentalement, par des pouvoirs psi. Le jeu de rôle porte avant tout pour lui sur le concept de Réincarnation et on sent bien à la lecture que c'est le thème qui le fascine dans Man, Myth & Magic. Peut-être pourrait-on même y adapter la Table des Vies Antérieures que j'avais proposée pour Bhāratavarṣa. On pourrait imaginer comme chez Tuan Mac Cairill ou Fintan Mac Bóchra que les personnages aient des réminiscences de vies animales.

On pense que les Druides celtiques partageaient avec les Pythagoriciens ou les Orphiques une théorie de métempsychose (notamment parce que les textes irlandais sont pleins de ces réincarnations) et ici en tout cas, il faut que ce lien soit vrai. On est censé changer de personnage assez souvent et renaître à travers ces différentes nationalités : c'est quasiment le but du jeu. Une règle incompréhensible prévoit même qu'un personnage puisse choisir abruptement de se réincarner/métamorphoser en cours de scénario en une nouvelle vie, sans avoir besoin d'attendre que son enveloppe corporelle meure.

On imagine bien comment un jeu à la White Wolf moderniserait ces Dix Nations pour les faire jouer ensemble, avec Dix "Clans" ou Dix "Splats", Dix Sociétés secrètes, par exemple avec des Loges de Cabbalistes, des Pythagoriciens, des enchanteurs de Wotan, des sectateurs alexandrins d'Hermès Trismégiste, des Mages zoroastriens ou des Ovates, Filidhs et Druides. 40 de notre ère, c'est aussi environ l'époque où le célèbre thaumaturge néo-pythagoricien Apollonius de Tyane accomplit certains de ses voyages (il sera chez les Parthes sous le règne de Vardanes Ier). Cela transformerait peut-être un peu MM&M en une sorte d'Ars Magica dans l'Antiquité.

Classes

Comme on est censé changer souvent de Classe et les traverser ou les comparer, elles ne sont pas toutes faites pour être "équilibrées". Certaines Classes du jeu ont des désavantages amusants comme le Druide breton, qui perd ses pouvoirs pendant les éclipses solaires, le Gladiateur romain qui est contraint de revenir se battre dans l'Arène entre chaque aventure, le Shaman oriental qui s'intoxique aux champignons hallucinogènes (5%) ou le Sorcier égyptien qui a une sorte d'Obsession pour la mort qui risque (2%) de le conduire à chercher à s'enterrer vivant dès qu'il passe du temps dans une tombe. Le défaut le plus bizarre et sans doute le plus impopulaire chez les autres joueurs est le Lutin irlandais, qui a 10% de chance de disparaître complètement pendant les scènes dangereuses, qu'il le veuille ou non !

Il ne faut pas être trop paranoïaque et voir des préjugés discriminatoires partout, donc je n'insisterai pas trop sur le fait que le Marchand hébreu a un bonus pour s'enrichir par rapport à tous les autres Marchands. Il peut être aussi Phénicien ou Gréco-syrien, si cela se trouve. Le désavantage du Guerrier africain qui a un malus supplémentaire en climat froid n'est pas de très bon goût non plus mais c'est très conforme au "simulationnisme" des premiers jeux qui aiment ces petits bonus/malus.

Il y a en plus deux Classes absurdes, le Sage et l'Orateur. Le LoreMaster (le Maître de Jeu dans MM&M) est censé faire passer un examen de connaissances ou de rhétorique au joueur (au joueur réel) pour autoriser son personnage à prendre cette Classe... J'imagine que Brennan devait plaisanter des lecteurs quand il a mis cette règle curieuse.

La règle sur l'équipement de départ est l'une des plus déséquilibrées pour ce qui est de l'argent, et le personnage peut se retrouver avec presque rien ou millionnaire. Heureusement, il y a aussi un équipement de base prévu pour chaque Classe.

Une trentaine de caractéristiques à tirer aux dés, vraiment ?

On a gardé les six caractéristiques en pourcentage Force, Vitesse, Habileté, Endurance, Intelligence et Courage. Habileté (Skill) est une caractéristique ambiguë car elle change de sens selon la Classe de Personnage : Habileté au combat pour un guerrier, Habileté en magie, etc.

Mais Brennan a décidé de proposer en plus une vingtaine de caractéristiques "optionnelles" tirées sur 2d20 (2-40) mais évaluées ensuite sur 100 (avec quelques bonus de la classe qui ne vont généralement qu'à +10 ou +15). Ces "caractéristiques" mélangent à la fois ce qui seraient des compétences dans d'autres jeux mais aussi ce qu'on appellerait dans Pendragon des Passions (comme "Problème de Boisson" ou "Chance de Trahir le groupe"). Ce sont Agilité, Dextérité manuelle, Charme, Détermination, Boisson, Dévotion, Hauteur, Poids, Loyauté (au groupe ou bien à sa nation), Langage, Lire/Ecrire, Stabilité mentale, Ouïe, Vue, Sens du Danger, Se Cacher, Nager, Jeter, Connaissance d'un Milieu (Ville/Désert/Montagne/Mer/Bois).

Chance et Pouvoir

Il y a en revanche au moins une bonne idée avec les deux mécanismes sur la Chance et le Pouvoir.

On a 1-3 (1d10 divisé par 3 pour être exact, avec des bonus pour les classes de magiciens et surtout un +3 pour le Leprechaun) Points de Chance qui peuvent être dépensés pour retirer un jet et qui se récupèrent à la fin de chaque aventure. Est-ce la première apparition en 1982 de ce concept de Points de Chance dans le jeu de rôle ou l'idée viendrait-elle de Champions ? James Bond RPG, qui popularisa ce système, ne fut publié qu'en 1983.

Mais la vraie caractéristique reine de MM&M est le POUVOIR (expliqué p. 13-15 et p. 30-31). C'est en gros à la fois les Points d'expérience et la Puissance psychique. Une règle absurde prévoit qu'on convertisse l'Or en Pouvoir (1000 livres d'or = 1 point de Pouvoir). La règle essentielle est qu'à chaque réussite d'un Défi important dans une aventure, le personnage gagne d'un coup 1d100 points de Pouvoir.

Le Pouvoir est dépensé (mais de manière temporaire) pour les sorts mais aussi pour utiliser des objets magiques (ils se regagnent assez vite après les scènes d'action). Il peut aussi être dépensé de manière permanente soit pour augmenter la chance d'une action avant de tirer le jet (10 points de Pouvoir = +1%), soit pour augmenter une caractéristique (250 points de Pouvoir = +1 - à ce taux-là, j'imagine que personne ne le fera jamais).

Enfin, et surtout, le Pouvoir permet quand on atteint un score de 200 de choisir sa nouvelle Incarnation sans tirer sur la Table. Au-dessus de 200 en Pouvoir, il a [(Pouvoir -200)/25]% de chance d'Anamnèse qui permet de conserver les capacités de la Classe de sa Vie antérieure. C'est le seul moyen dans ce jeu de devenir polyvalent par exemple en Magie et en Combat, mais il faudrait donc un Pouvoir de 2700 pour être certain de se souvenir de ses Vies passées...

MM&M est le premier jeu à ma connaissance (avant Rêve de Dragon) à avoir pris ce thème où chaque personnage du même joueur (même de même âge) est en réalité une réincarnation.



Combat

Pour simplifier, je vais laisser de côté le fait que le jeu utilise un "taux d'échec" qui va en décroissant, et convertir avec le complémentaire pour le taux de réussite.

MM&M distingue, comme on l'a vu, le score en Combat et l'Habileté. Cette dernière n'ayant pas le même sens selon la Classe de Personnage, l'Habileté ne fournit un bonus en Combat que pour les Guerriers, Gladiateurs et Barbares (un bonus proportionnel, égal à [(Habileté -50)/10]). Une option permet de prendre un malus à son score pour viser une zone précise du corps et la zone donne dès lors une protection plus précise et un maximum aux dégâts. Un personnage qui a plus de 75 en Vitesse a droit à deux attaques par tour.

Les dégâts sont toujours égaux à la Marge de réussite, la différence du résultat du d100 par rapport au score de Combat. C'est modifié par un bonus aux dégâts de la Force [bonus (Force -50)/10] et par l'arme (un couteau fait +8 et une hache +35). Oui, un Colosse avec 100 en Force ne fait donc que 10 points de plus qu'un homme moyen. Comme on a en moyenne 300 Points de Vie, il faut toujours plusieurs coups avant de tuer quelqu'un.

La somme des deux bonus (Bonus au toucher issu de l'Habileté plus Bonus aux dégâts issu de la Force) est le Score d'esquive, qui est le Malus pour l'autre pour être touché. Il n'est pas précisé si les Guerriers sont les seuls à avoir ce Score. Même un personnage très fort et habile (disons avec 70 dans les deux) n'a donc qu'un score d'esquive de 4, ce qui fera très peu de différence... Le fait que la Force entre dans la composition de ce Score et pas la Vitesse ou l'Agilité n'est pas expliqué. Les autres scores sont la Fatigue (Courage+Endurance, le nombre de tours où on peut se battre) et l'Initiative (Courage+Vitesse).



Magie

Les règles de Magie sont assez différentes selon les Classes mais supposent qu'on utilise son Pouvoir pour activer des pouvoirs. Les Classes ont des capacités spéciales, plus une liste assez longue de sorts. Dès qu'ils ont commencé à accumuler des Points de Pouvoir, les Magiciens deviennent donc assez puissants.

Les Sorciers (Witch-doctors) africains sont avant tout des Guérisseurs (même s'ils ont quelques sorts de zombification) alors que le Sorcier égyptien fabrique des Momies (il peut même en lever une armée) et que l'Apothicaire égyptien fabrique des potions. Les Druides bretons n'ont que 4 "sorts" (les Quatre Arts Etranges) : (1) Mettre le Feu à la Pierre, (2) Parler aux Plantes, (3) Divination, (4) Hypnose (Brennan me semble avoir créé ce mot de mekhenesis qu'il prétend antique). Les Shamans mongols ont deux pouvoirs : Message télépathique et Clairvoyance/Clairaudience. Le Harpiste hibernien a un pouvoir puissant d'envoyer une cible dans un autre plan le temps de toute une "scène". Le Leprechaun irlandais a la capacité de charmer pour un temps bref et il peut aussi détecter l'or et le danger. Un de ses nombreux petits sorts (le "Petit Peuple") permet de réduire la taille. Une Sibylle grecque peut également charmer et a aussi des pouvoirs d'Extase divinatoire, comme le Devin romain (ou étrusque ?). Le Lama bouddhiste a même un pouvoir de tuer à vue (mais la chance de réussite est assez faible).

Le pouvoir le plus puissant mais aussi le plus cher en points de Pouvoir (150 points de Pouvoir, contre environ 10-20 pour les sorts ordinaires) est celui des Hébreux qui peuvent demander un Miracle divin. Le Prêtre hébreu a même droit à un sort de Résurrection mais il est encore plus cher, autour de 300 points de Pouvoir.

Les premières aventures officielles

La boîte comportait le début d'une campagne officielle. Les personnages commencent à Rome sous Caligula, avec une histoire qui ressemble plus à un Pulp qu'à l'Antiquité, mais vite, ils seront téléportés instantanément à divers endroits du Monde Connu. Les brefs scénarios qu'il affectionne sont des Donjons assez traditionnels avec énigmes dirigés vers le joueur (encore ces tests de logique lassants de "Qui est le Menteur et Qui dit toujours la Vérité ?").

Ensuite, la série des aventures tourne autour de la mythologie irlandaise. Les PJ se retrouveront au coeur des conflits entre les Royaumes d'Uladh (Ulster) et Connacht sous la Reine Ness et le Haut-Roi Fachtna Fáthach. En un sens, la campagne ne sera peut-être que meilleure si les joueurs ne se rendent pas compte de qui est le grand héros ulate Cú Chulainn fils du Dieu Lug auquel il doivent s'opposer. Comme Herbie Brennan est obsédé par la pseudo-archéologie occulte, les aventures tournent autour de ley lines ou de sites comme Emain Macha, Brú na Bóinne (Newgrange) en Irlande, Glastonbury ou Stonehenge en Angleterre, ou autres structures mégalithiques.

Le lien qu'il essaye de faire entre divers monuments (y compris les Pyramides égyptiennes) sont parfois peu convaincants et si ce sujet vous rebute, il vaut mieux éviter Man, Myth & Magic comme tout tend à tourner autour de ces histoires de Pierres Levées. Le jeu aurait peut-être eu besoin d'un système qui justifie cela (par exemple en rechargeant le Pouvoir avec ces sites "riches en Mana").

Si on veut garder cette période du Premier Siècle aux alentours des Julio-Claudiens et cette date de l'An 40 AD, on pourrait aussi trouver un moyen d'inclure non pas seulement l'essor du Christianisme mais aussi l'énigmatique "Mort du Dieu Pan" annoncée sous le règne de Tibère (14-37), en plus de la vie d'Apollonius de Tyane.



Conclusion

Man, Myth &Magic est hélas assez peu jouable tel quel, surtout avec ce mécanisme assez maladroit de créer 20 caractéristiques aléatoires ad hoc pour chaque type d'action. Les Classes sont d'autant plus déséquilibrées que chaque joueur peut (et doit) changer de Classes souvent.

Mais si on prend le jeu comme une sorte de divertissement pseudo-antique à peu près aussi réaliste qu'Asterix (Grognardia disait que cela paraissait encore moins "authentique" que Xena: Warrior Princess) et qu'on accepte de recréer souvent au hasard ses personnages, il doit permettre un style de jeu assez différent. MM&M est à la fois fait pour la partie isolée one-shot (puisqu'on recrée un perso nouveau) et en même temps explique grâce à la Métempsychose comment les joueurs peuvent conserver entre les parties des connaissances que leurs personnages nouveaux ne devraient pas encore avoir.

Pour finir, même si Herbie Brennan n'a pas toujours un don pour les règles, il faut reconnaître que son style assez décontracté et au second degré (notamment toutes ses plaisanteries sur son Irlande natale) rendent la lecture de ses scénarios plutôt agréable. Mais ne prenez pas ce jeu comme un modèle de "source" historique.

mercredi 19 septembre 2012

Case sans fin

Si par hasard vous aviez trop de temps libre, XKCD a aujourd'hui une dernière case qu'il faudra sans doute plusieurs jours à explorer (image à "cliquer & tirer").

mardi 18 septembre 2012

Zeus fidèle


Zeus n'est pas seulement volage parce que les Grecs voudraient projeter en lui un fantasme d'hypervirilité (tellement hyperviril qu'il peut même enfanter et absorber le rôle de la mère pour Athéna et Dionysos). Il y a aussi sans doute une raison plus "accidentelle" : chaque cité ou chaque île voulait avoir son héros ou son demi-dieu local qui puisse être issu du Roi des Dieux. En accumulant ensuite toutes ces variantes, cela donne les obsessions insatiables du Dieu-Père, où le rapport au monde de la divinité est plus celui du Désir que celui du Souci. Quand on tente d'unifier des mythes épars dans ce qu'on appelle ensuite une "mythologie" de synthèse, le liage donne finalement une nouvelle structure où il sera plus facile encore de tisser et continuer les mythes qui avaient eu des origines hétérogènes. Et c'est ainsi qu'on obtient ensuite tous ces mythes de vaudeville où la Déesse-Femme devient jalouse et acariâtre, où l'épouse devient la mégère du foyer.


Mais j'aime bien une explication donnée par quelques fragments. Quand Homère dit (Iliade, I, 609) que Zeus vient se coucher dans son ancien lit (forgé par Héphaïstos, fils sans père) aux côtés de Héra, Callimaque commente (Aetia Fragment 2. 3) que Zeus a tant aimé la Déesse des Epouses qu'il lui a fait l'amour pendant 300 ans de suite sur sa couche (même expression chez Nonnos, Dionysiaca, 41, vers 263, "trois cents ans de désir"). Les Argiens et les Crétois se disputaient pour savoir si c'était sur leur territoire qu'avaient eu lieu ces noces séculaires (où Gaïa avait offert les Pommes d'Or des Hespérides en cadeau pour leur hyménée). Callimaque mais aussi le Stoïcien Chrysippe précisent même les détails de leur position, même si Chrysippe y voit une métaphore physique sur la forme et la matière (Héra "laikazei" si vous voulez savoir, cf. Stoicorum Veterum Fragmenta II, 1071-1074, ce qui scandalise les témoignages des Pères de l'Eglise qui ne jugent pas décent cet usage - Roberto Calasso dit même que ses statues du Heraïon étaient plus lascives que celles d'Aphrodite).

Ce chiffre symbolique, où l'Amour dure "300 ans" de fidélité dans la Hiérogamie, cela changerait un peu la vision de ses adultères d'Immortel.

lundi 17 septembre 2012

Steppenkatze


Hermann Hesse.

Avec un chat.



Via Celebrity Pu$$y.

Morrison sur Terre-4


Grant Morrison est interviewé dans le New Statesman et revient sur quelques polémiques récentes ou sur son statut d'auteur écossais qui tenait des propos contestataires mais vient de recevoir un MBE de la Reine.

Il n'a pas l'air enthousiasmé par les récents Before Watchmen ("redondants") mais reprendra lui aussi une version des personnages de Charlton (ceux qui ont servi de modèles aux Watchmen) dans un one-shot avec son dessinateur fétiche Frank Quitely se déroulant sur leur propre Terre alternative, Pax Americana. (Voir aussi cette autre interview où il évoque le même livre).

Pères mythiques


Ce n'est peut-être pas la peine d'énumérer toutes les attaques insensées contre le Président Obama car on trouvera toujours pire et la tératologie sur Internet est inépuisable. Il y avait les Birthers qui prétendaient qu'Obama serait né à l'étranger  et non à Hawaï (généralement au Kénya ?). Il y avait tous ceux qui refusaient de croire qu'il ne soit pas crypto-musulman et ces obsessions de certains sites sur le fait qu'il aurait fait écrire son livre par un gauchiste. Puis la folle raciste Pamela Geller, au blog excessivement populaire, prétendait révéler que son vrai père devait être Malcolm X, probablement parce qu'il était le seul Noir dont elle avait entendu parler. Hier, un quotidien publiait une publicité en pleine page d'une association présentant encore un nouveau père parce qu'il était un "compagnon de route" dans les années 1930 et vivait à Hawaï depuis les années 1940 (au moins, ces dingues devaient donc ne pas être Birthers mais trouvaient crédible qu'Obama se soit inventé un faux père kényan plutôt qu'un père américain de Hawaï pour sa carrière politique).

Obama fait l'objet comme toute personnalité aussi importante de préjugés qui permettent de voir la naissance spontanée de mythes. Quand Obama fait quelque chose d'innocent, comme rendre aux Britanniques un buste de Churchill qu'ils avaient prêté, le simple fait de le rendre est nécessairement motivé par une haine contre l'Occident. Certains Américains veulent tellement profondément le rejeter comme l'Autre Non-Américain qu'ils vont projeter tout à la fois : il est communiste, musulman, étranger, mais en plus il faut que ses vraies origines soient voilées, secrètes et mystérieuses comme celles d'un Anti-Héros mythique, comme s'il fallait qu'il soit quelque avatar démoniaque pour qu'ils puissent mieux le haïr.

Ils ne croient pas à tout ce qu'ils s'envoient par email en chaîne mais ils aimeraient qu'il soit une superposition de toutes leurs craintes à la fois. Selon un sondage, près d'un sixième des Républicains de l'Ohio disent que c'est Mitt Romney qui a tué Ossama ben Laden, ce qui montre la fluidité des illusions volontaires. Ils ne peuvent pas le croire bien entendu, même s'ils ne regardent que Fox News, mais ils sont prêts à répondre ainsi et à faire comme s'ils pouvaient feindre d'oublier tout ce qui pourrait embarrasser leurs dissonances cognitives.

Evolutions du Castisme et accès au sacerdoce



Temple de Śiva de Kailasanathar (XVIIe siècle) à Tharamangalam, nord du Tamil Nadu.


L'Hindouisme a bien entendu une grande diversité dans ses myriades de sectes sur son milliard de fidèles mais le poids millénaires des écritures des Védas va toujours dans le sens de discriminations sévères contre les Dalits ("Opprimés" en hindi, les "Hors-Castes", "Parias" ou "Intouchables", dans le Sud, on utilise aussi le terme ethnique Adi Dravidar, l'ancien terme sanscrit le plus insultant était cāṇḍāla).

Mais alors que les textes interdisaient même à la quatrième classe (les serfs, śūdra) d'assister aux cérémonies, l'évolution récente a permis maintenant à certains Hors-Castes de devenir prêtres, ce qui aurait été un tabou complet depuis des siècles, le sacerdoce étant réservé aux brāhmaṇa.

Ce jeune Dalit (autre source) nommé Nagamuthu, a pu être "ordonné" prêtre, ce qui constitue déjà une révolution positive dans l'Hindouisme. Les Brahmanes sont devenus moins nombreux dans son district alors que les Dalits sont mieux intégrés qu'ailleurs. Il a pu pratiquer le rituel de pūjā (offrandes aux Dieux) dans un temple à T. Kallupati, sud du Tamil Nadu.

Depuis la restauration du Temple, certains officiels ont commencé à demander à Nagamuthu de laisser certains jours réservés aux brāhmaṇa purs (qui dans la tradition, ne doivent même pas croiser le regard souillé d'un Intouchable). Puis, il aurait fini (d'après son témoignage) par être insulté et agressé en mai 2012 par deux membres du Temple qui ne supportaient pas qu'il obtienne même ce droit minimal. Mais il ne fut pas lynché, plutôt menacé, et le pays tamoul semble bien représenter quelques progrès d'égalité dans le rituel traditionnel.

En revanche, et cela peut être plus inquiétant, la police locale n'a pas ouvert d'enquête, considérant que l'organisation privée du Temple avait le droit de sélectionner ses membres. Les autorités locales ont tenté de le pousser à ne pas poursuivre l'affaire. Il a dû déposer plainte à la capitale à Chennai (Madras) mais cela ne semble pas avancer non plus comme il n'avait aucun témoin.

dimanche 16 septembre 2012

Coup du sort


Le blogger politique et rôliste Jim Henley, qui a attrapé un cancer de la langue, a un "bon" taux de survie (évalué à plus de 87%, soit 7 chances sur 8).

Il en fait donc une analyse sur ce que le hasard représente pour un joueur (et une critique de mode de jeu dit Old School et son goût affiché pour la haute mortalité "darwinienne"). En termes de jeu, 87% est une Roulette russe qui nous accepterions volontiers, ce qui rappelle l'effet d'irréalité d'une simulation alors la plupart des sujets rationnels n'accepteraient jamais un risque aussi élevé. Et pourtant, en un sens, avoir fait du jeu de rôle et avoir vu tant de résultats de dés improbables, tant d'échecs critiques à 1%, voire moins, nous habitue encore plus à penser à ces risques dans la vie réelle.

samedi 15 septembre 2012

[JDR] Héros des Âges Sombres


Heroes, le jeu de rôle historique et introuvable de Dave Millward (dont j'avais déjà parlé) est ressorti (sous le nouveau titre plus explicite, Heroes of the Dark Age, édition 1.2), pour environ 40. Dommage que le petit format de l'édition de 1979 n'ait pas pu être conservé. Joue-t-on toujours dans une Venise parallèle du Haut Moyen-Âge ?

La nouvelle couverture du jeu est par le célèbre Viktor Vasnetsov (1848-1926), Les Trois Bogatyrs (1898), représentant trois héros des légendes russes, le preux Ilya Mouromets (qui avait hérité de la force du Géant Svyatogor), Dobrynya Nikitich (qui tuait des Dragons avec son fouet) et enfin le rusé Alyosha Popovich, qui vainquit le Dragon Tugarin Zmeyevich. Ci-dessous, un autre chevalier par le même Vasnetsov.

Gondry, Goscinny & Gotlib


Dès qu'on voit le dernier film de Michel Gondry, Le Nous et le Je, on ne peut que se rappeler cette petite bande par René Goscinny et Marcel Gotlib, tirée des Dingodossiers, volume 2, p. 62 ("Moments Gênants", Pilote #320, 9 décembre 1965).




Une des différences dans le film (en dehors du déclin du chapeau et des cravates entre la France de 1965 et le Bronx de 2012) est que le dernier voyageur isolé de l'effet du groupe fait son retour réflexif du fait même d'autres amis, et non des spectateurs extérieurs à sa génération.

Le film de Gondry utilise surtout de la musique de Marvin Young de la fin des années 1980 mais aussi un peu de musique électronique plus récente comme ce groupe écossais, Boards of Canada.

Mon empire est détruit si l'homme est reconnu


Un des aspects curieux de cette mauvaise vidéo amateur qui aura occasionné tant de morts à travers le monde est leur angle d'attaque de la satire et de la provocation. Il y a pourtant bien des critiques qu'on pourrait mobiliser contre un fondateur de religion mais l'extrême droite évangéliste américaine est obsédée actuellement (depuis peut-être une décennie ?) avant tout par la sexualité et l'homophobie, ils prennent donc un plaisir visible à le présenter comme un homosexuel, en prétextant toujours des extraits vagues de quelques commentaires tardifs.

Certes, tout Troll choisit toujours l'angle qui irritera le plus l'adversaire. Les préjugés de la droite américaine sur ce point reflètent d'ailleurs exactement l'exécration des plus fanatiques de leurs ennemis jurés. Il y a une solidarité ou une relative symétrie entre eux sur les questions de mœurs privés et sur le ressentiment.

Mais on présume que si des évangélistes, des réfugiés coptes et des islamistes avaient en ce moment en partage une haine particulière contre, disons, les tatouages ou autres modifications de la chair, on verrait le personnage du gourou faire de la calligraphie sur son corps pendant deux heures.

[Comics] Chassé croisé depuis l'Hadès


Cela risque de vous gâcher la "surprise" d'un mort d'un personnage de plus dans le Cross-Over Avengers vs X-Men de cette semaine (d'un personnage qui a déjà dû mourir au moins deux fois, si je me souviens bien), cet article énumère quelques décès de ces dernières années avec résurrections rapides qui ont fini par vider la mort de tout son dard dans les comic-books. L'astérisque indique que la mort semble persister encore pour l'instant...


  • Robin (Jason Todd) – A Death in the Family
  • Superman – The Death of Superman
  • Blue Beetle (Ted Kord)* – Countdown to Infinite Crisis
  • Green Lantern (Hal Jordan) – Emerald Twilight
  • Hawkeye – Avengers Disassembled
  • Scarlet Witch – Avengers Disassembled
  • Ant-Man (Scott Lang) – Avengers Disassembled
  • Jack of Hearts* – Avengers Disassembled
  • Giant-Man/Black Goliath* – Civil War
  • Captain America – “Death of Captain America” / Civil War
  • The Punisher – Dark Reign (then reassembled as Frankencastle)
  • Wasp* – Secret Invasion
  • Human Torch – “Three”
  • Spider-Man (Ultimate Peter Parker)* – Death of Spider-Man
  • Thor – Fear Itself (albeit very briefly)
  • Captain America/Winter Soldier – Fear Itself (a hoax, but they tried to sell it for a couple months)
  • Professor X *- Avengers Vs. X-Men (we’ll see how long this lasts, relative to all the other times he’s died)


  • Ce ne fut pas toujours le cas. Avant en gros la résurrection du Phoenix dans les années 80, la mort était un événement beaucoup plus rare et significatifs dans les bandes-dessinées américaines. Il doit en mourir plus chaque année chez les deux grands éditeurs que pendant toutes les années 1960. C'est une illustration d'un "court-termisme" perpétuel où les coups d'éclat temporaires finissent par nuire aux récits. Voir sur Wikipedia la Liste des personnages décédés.

    mercredi 12 septembre 2012

    [JDR] MM&M: Basic Rules



    Après quelques déboires (et un mois plus tard), je viens de recevoir le jeu de rôle fantastique sur l'Antiquité Man, Myth & Magic (par James Herbert Brennan, 1982). Comme l'indiquait le faible prix, ce n'est en fait qu'un des trois livrets de règles, des règles d'introduction très lacunaires (24 pages seulement).

    L'idée originale de Herbie Brennan (qui fut imitée ensuite dans bien des jeux) était d'introduire les règles peu à peu en entrant directement dans une partie. Le premier livret ne porte donc absolument pas sur l'Antiquité en général et n'a pas encore la règle la plus célèbre du jeu selon laquelle on se réincarne en un nouveau personnage aléatoire à chaque aventure nouvelle.

    La règle de base suppose que vous créez obligatoirement un Gladiateur romain (à une époque impériale complètement indéterminée) et que vous allez explorer un camp d'entraînement (présenté vraiment comme un Donjon et un Labyrinthe qui a l'air de se trouver en plein milieu de Rome) et ensuite vous battre dans l'Arène en utilisant une version simplifiée des règles.

    On tire six caractéristiques avec un d100 : Force, Vitesse, Habileté (Skill), Endurance, Intelligence et Courage (mais les règles de base excluent la caractéristique Habileté pour l'instant). L'Initiative est la somme de Vitesse et Courage. Les Points de vie sont la somme des 6 caractéristiques (donc autour de 300 points en moyenne, mais on n'a pas additionné l'Habileté dans les règles de base). Voilà, ce n'est pas un résumé. Ce sont toutes les règles.

    Chaque personnage a un score de combat en pourcentage mais de manière très confuse, Brennan a décidé qu'il fallait obtenir le résultat le plus élevé sur le dé et non pas en dessous de son score. Ce score de combat devrait donc s'appeler score de ratage. Un personnage qui progresse a donc son score de combat qui diminue puisqu'il faut faire plus (mais selon les caractéristiques, il faut faire plus ou moins, Brennan a l'air de ne pas avoir de principe systématique). On commence avec une base 80%, l'entraînement va améliorer ce score en le réduisant de 5% par combat victorieux (ce qui permet ensuite de se spécialiser en devenant Rétiaire, Secutor, Samnite, Sagittaire - je n'ai pas compris pourquoi il distingue le Thrace avec épée et le Thraex avec javelot, c'est le même mot normalement ).

    Les dégâts ne dépendent pas encore du détail de l'arme : on commence avec la marge de réussite, le résultat du dé moins son score. Donc un personnage débutant (score : 80%) qui fait un 97 au dé fera 17 points de  dégâts et un Champion (score : 40%) aurait fait 57 points de dégâts (en rappelant qu'il y a environ 300 points de vie et que l'armure légère d'un Thrace n'absorbe que 30 points). Un "00" tue aussitôt l'adversaire. Donc un coup ne fait généralement que des blessures légères ou la mort immédiate.

    A la fin de ce module assez ingrat, si les joueurs ont exploré toute l'Arène et ne sont pas découragés du jeu de rôle, ils peuvent enfin passer aux Règles avancées, abandonner leur Gladiateur et se réincarner en un nouveau personnage créé aléatoirement, qui peut être Romain, Grec, Egyptien, Hébreu, Celte (Hibernien) ou Wisigoth (on doit donc jouer dans l'Antiquité tardive, j'imagine). Ils garderont certaines caractéristiques intellectuelles mais changeront de caractéristiques physiques.

    Ce dernier aspect de grand mélange absurde pseudo-historique continue de m'attirer (malgré le côté difficilement compatible des groupes qui seraient obtenus) et je vais donc continuer à chercher une version complète au risque d'avoir deux fois ces règles de base si médiocres. Cela doit quand même être mieux que le plutôt raté Oráculo. On a certes maintenant beaucoup d'autres jeux historiques comme Oikouménè (sur l'époque hellénistique) et beaucoup d'autres.

    mardi 11 septembre 2012

    [JDR] Les Enfants de l'Année du Dragon


    Cela fait 23 ans qu'existe l'un des plus populaires jeux de rôle après D&D, Call of Cthulhu et Vampire, Shadowrun. La fin des années 1980 était le sommet de la mode du genre Cyberpunk (avec le jeu de rôle du même nom juste l'année d'avant, en 1988). Ce Genre (en dehors même de l'esthétique de films comme Blade Runner) était surtout fondé sur deux idées, morales et politiques, l'idée de déshumanisation par le lien avec la technologie et par la désintégration des anciennes structures sociales (notamment les Etats) devant la montée d'un capitalisme dérégulé.

    L'idée de Shadowrun (créé par Jordan Weismann, Tom Dowd, Bob Charette & Paul Hume) fut de fusionner le genre de la fantasy traditionnelle avec cette vague pessimiste du Cyberpunk : Tolkien + William Gibson, des Dragons et des Hackers, des Elfes et des Mégacorporations cyniques. Le prétexte à ce grand mélange fut une sorte de jeu post-apocalyptique, qui atténuerait la noirceur de la dystopie technique et sociale par une dose de merveilleux.

    L'Eveil en 2012
    En 1989, on ne parlait pas encore autant dans les médias des délires New Age sur le calendrier maya. Shadowrun avait préfiguré la mode mais en faisant de la date de décembre 2011 (et non 2012, comme dans les vaticinations plus récentes) le début du retour de la Magie. La Magie était cyclique et avait disparu à la préhistoire (début du Cinquième Monde du calendrier maya) mais revenait à présent dans ce qu'on appelait le Sixième Monde. Diverses catastrophes naturelles, technologiques et magiques frappèrent la Terre (dont l'explosion de la centrale nucléaire de Cattenom en France), les Dragons (qui dormaient depuis la préhistoire) se réveillèrent (j'ai déjà parlé de Dunkelzahn) et les Humains commencèrent à donner naissance à partir de cette Année du Dragon 2012 de mutants de races nouvelles : Elfes, Trolls, Nains, Orks (voire Satyres, Centaures et autres non-humains plus exotiques, tous dérivés de parents humains).

    Certains Humains des années 2020 ne se transformèrent soudain qu'à l'âge adulte. Ces nouvelles "Races" éveillées ou "Méta-Humains" furent discriminées et certains se regroupèrent par "Métatype" et non selon leur origine familiale, ce qui commença à donner des nations de ces nouveaux groupes (les Elfes par exemple ont pris le pouvoir en Irlande, en Oregon ou en Prusse orientale et il y a une nation entière de Trolls qui a fait sécession en Forêt noire).



    La différence principale avec un jeu de fantasy est donc que les Non-Humains sont des Humains mutants (sauf les Dragons et quelques Immortels qui vivaient depuis le Quatrième Monde) et que la technologie a continué à progresser. La Magie et la haute technologie existent donc côte à côte, et peuvent même commencer à s'intégrer (Technomagie) dans les dernières éditions de Shadowrun alors qu'elles étaient considérées comme opposées au début.

    La première édition de 1989 commence en 2050, seulement 38 ans après cette transformation, mais la chronologie officielle a continué d'avancer au fil des suppléments au point que la quatrième édition récente (2005) est parvenue aux années 2070 (et la technologie a changé pour mieux inclure des développements dans la réalité, comme le WiFi, qu'on n'avait pas imaginé en 1989).

    Un XXIe siècle rétro-futuriste
    J'ai quelques réserves sur l'univers de Shadowrun. Il est certes très développé mais pourtant facilement intuitif dans ses grands principes puisqu'on ne quitte pas la Terre du XXIe.

    Le désavantage est qu'il peut paraître plein de clichés. Comme la Magie est revenue, ce sont les sociétés considérées comme les plus "traditionalistes" qui ont eu un avantage pour s'adapter à ce monde nouveau. Les Shamans amérindiens et des Prêtres aztèques ont gagné des pouvoirs réels et l'Amérique a donc été en partie reprise par les nations autochtones (en revanche, comme les auteurs ne s'intéressaient pas à ces régions, l'Inde ou l'Afrique n'ont pas été aussi bien traitées). Comme le genre cyberpunk des années 1980 était plus "nippocentrique" que "sinocentrique", le Japon et ses Dragons semblent toujours plus puissants que la Chine, ce qui paraît déjà démodé en ce début du XXIe siècle.

    Même le supplément Shadows of Europe (2004), pourtant écrit par des auteurs de chaque pays concerné, me paraît très proche des clichés anachroniques qu'un Américain aurait pu créer sur ce territoire : je peux comprendre dans les prémisses de départ que les Elfes, Korrigans et druides néo-celtiques d'Irlande ou de Bretagne soient importants mais la Sixième République française est en réalité contrôlée par la lutte entre les familles d'Orléans et les Bourbons [dans l'édition devenue non-canonique de Jeux Descartes, il y avait aussi en plus les Bonaparte, je crois] et plus bizarre encore, dans le chapitre sur l'Italie, la République de Florence a retrouvé les Médicis alors que la Papauté a récupéré les anciens Territoires pontificaux (le monde de Shadowrun est cyberpunk, pas steampunk mais sa carte est finalement assez proche d'un XIXe siècle à la Castle Falkenstein).

    Les Pays-Bas ont été à moitié submergés par des raz-de-marées, la France a annexé la Wallonie, la Corse et le Pays Basque sont devenus indépendants, le Dragon Lofwyr a racheté plusieurs grands Konzerns, l'Union européenne fut dissoute et reformée ensuite comme une Communauté  ploutocratique où les Grandes Entreprises ont égalité de voix avec les Etats-Nations.

    Récemment, la traduction française du supplément Capitales des Ombres à ajouté une description de la ville de Marseille des années 2070. J'ai l'impression que la plupart des joueurs français préfèrent jouer dans le cadre habituel (la Côte Ouest des USA, et notamment Seattle) pour avoir assez de distanciation et ne pas rire des noms des PNJ, qui sonnent un peu faux. La Présidente de la République s'appelle "Aurélie de Paladine" et je trouve que cela ressemble plus à un PJ de D&D qu'à une femme politique.

    Des tas de dés
    Je ne pourrais pas parler des règles. Elles ont eu leur importance historique en apportant un système avec pool de dés qui fut en partie repris par Vampire deux ans après (mais avec des d10 à la place des d6). Ghostbusters ou Star Wars additionnaient les résultats de tous les dés alors que Shadowrun ne comptait que les succès sur chaque dé, ce qui devait accélérer la résolution. Je n'ai vraiment testé il y a longtemps qu'une partie (sur le très bon module Dragon Hunt, avec mon petit-frère). Le Hacking d'un réseau informatique y était devenu un cauchemar avec beaucoup trop de jets de dés pour chaque étape des contre-mesures électroniques. Et pourtant, j'aime bien les dés.

    Mais ces règles ont beaucoup changé entre les éditions, ce qui rend d'ailleurs l'adaptation des anciens scénarios un peu pénible. L'édition actuelle (la 4e, 2005, ou bien 20th Anniversary, 2009, aussi appelée édition 4.5) est sur certains points plus souple : on lance un nombre de d6 égal à Caractéristique + Compétence et on compte les dés qui font 5 ou 6 (cette cible ne change plus, on compte seulement le nombre de succès qui ont atteint ces 33%). La création de personnage en revanche s'est alourdie et est devenue plus proche d'un jeu à la GURPS ou Hero Games. On peut certes individualiser son personnage mais de fait, l'univers contraint à faire des groupes avec des "classes" de personnages relativement spécialisés : Samourai cyborgs (souvent Ork ou Troll) ou Adeptes physiques pour se défendre, au moins un Mage elfe ou un Shaman pour tout problème "mystique", plus un Hacker ou un Technomage pour infiltrer les ordinateurs ou les machines. L'illustration de la première édition le disait bien avec cet Elfe "decker" (dans cette édition, il fallait encore se connecter avec un fil), cette magicienne humaine et ce combattant aux tatouages indiens (les couvertures plus récentes préfèrent un peu les Trolls et les Nains).





    Les Intrigues des Ombres
    Mais si je suis réticent sur certains aspects de l'univers ou des règles, Shadowrun demeure important par la qualité de ses scénarios.

    Certes, de même que Call of Cthulhu a souvent des lieux communs comme un meurtre qui révèle un Culte sur le point d'invoquer un Monstre, Shadowrun s'est trop souvent servi de la même structure : les personnages sont engagés par un Mégacorporation puis ils découvrent que leur employeur les a manipulés ou n'est pas celui qu'ils croyaient. Et certains modules sont trop dirigistes (y compris la fameuse campagne Harlequin, qu'il faut profondément réécrire pour que les PNJ ne soient pas les seuls à tout diriger).

    Mais Shadowrun a eu dans l'ensemble beaucoup plus de bons scénarios que la plupart de ses concurrents. Shadowrun a en un sens créé son propre Genre bien à part au lieu de l'adapter d'une source préalable : ce n'est plus vraiment de la fantasy ou de la science-fiction, ni du post-apocalyptique habituel (comme le monde a déjà commencé à se reconstruire), ni même de l'horreur ou du superhéros, malgré le cadre presque contemporain [l'autre jeu à grand mélange TORG était peut-être plus un jeu de superhéros]. Le fait que ce soit aussi un jeu d'espionnage, avec Magie et Science-Fiction, a permis plus de subtilité : les joueurs s'attendent à plus d'intrigues et de manipulations que dans un jeu de superhéros (même s'ils gardent le plaisir escapiste d'avoir des superpouvoirs).

    Un jeu d'espionnage peut parfois paraître un peu trop contraignant : des Agents, même James Bond, doivent obéir à un Service qui donne les ordres. Cela fonctionne mieux dans une fiction que dans le jeu. Comme les Shadowrunners sont censés être des agents "extérieurs", des mercenaires qui se louent aux diverses Mégacorporations, ils peuvent avoir la satisfaction de croire un peu plus à leur indépendance (même si cela devient parfois illusoire). Un autre Genre proche de ces thèmes du jeu serait les films à escroquerie ou à cambriolage, comme le récent jeu Leverage.

    Certains thèmes de science-fiction et de fantasy (comme l'implant de souvenirs ou le transfert d'esprit) ont aussi été utilisés pour rendre ces aventures bien plus complexes. Les Médias comprennent maintenant le SimSens, une réalité virtuelle bien plus intense que notre cinéma et un des nouveaux Médias de réalité virtuel (et aussi addictif et hallucinatoire qu'une drogue) est la "Puce à Rêver" (Dreamchip) qui permet de changer certains flux de conscience, de rêver éveillé ou de vivre les pensées de quelqu'un d'autre. C'est un grand classique dans l'écriture des scénarios où même les PNJ qu'on rencontre ignorent qui ils sont vraiment (le dragon amnésique dans Dragon Hunt, une artiste aux souvenirs manipulés dans Mercurial). Ce jeu d'Ombres rend l'identité assez précaire et mystérieuse et c'est un thème intéressant à explorer en jeu de rôle.

    Retours en arrière
    Shadowrun a aussi eu son prequel, Earthdawn, se déroulant des milliers d'années avant, dans le Quatrième Monde, lors du dernier cycle de déclin de la Magie (mais avec des règles complètement sans rapport).

    La 4e édition vient d'ajouter un supplément pour pouvoir rejouer en 2050 avec les règles actuelles prévues pour 2070. Je n'imagine pas en revanche y jouer dans la chronologie dans cette Année du Dragon 2012, car il faut un peu de temps pour que cette Première Génération de Métahumains, née de 2011 à 2030, puisse avoir réorganisé le monde autour d'une nouvelle "normalité".

    Certains événements des années 2050 issus de ces modules donnent envie d'y jouer, en s'éloignant peut-être de la Chronologie officielle. Même si j'aimerais développer un peu plus le reste du monde en dehors de l'Amérique, les élections présidentielles américaines dans Super Tuesday (qui se déroule en 2056-57) seraient sans doute difficiles à déplacer et moins amusantes avec une élection d'un Président européen, par exemple.

    J'aimerais faire des recensions de ces aventures mais je redoute un peu que certaines soient meilleures à la lecture qu'en jeu. C'est toujours vrai des aventures mais encore plus dans les enquêtes de Shadowrun où certaines ressemblent un peu trop à des diagrammes qui prétendent admettre plusieurs options mais qui restent assez linéaires.

    lundi 10 septembre 2012

    [Comics] Quels comics garder ?


    Je n'ai plus assez de caisses ou de rayonnages chez moi pour les comics et je viens de décider de "couper" mes abonnements. La solution serait sans doute de passer aux comics digitalisés pour ne plus avoir de contraintes dans l'espace mais je ne suis pas sûr d'en avoir vraiment envie.

    Il va donc falloir faire des choix. J'ai abandonné tout ce qu'écrit Geoff Johns chez DC comme Green Lantern, qui me semble simplement reprendre les archétypes classiques en y ajoutant un peu plus de Gore. J'ai arrêté Spider-Man, même si les scénarios de Dan Slott sont excellents, je ne crois pas que le personnage puisse être renouvelé d'une manière intéressante, il demeure figé dans un modèle originel. Je renonce aussi à tout ce qu'écrivent Abnett & Lanning, car leur Space Opera finit par se répéter.

    J'aurais pu conserver l'excellent Journey Into Mystery (les aventures du jeune Loki) de Kieron Gillen, mais il va bientôt le quitter (et je ne pense pas que la reprise avec la Déesse Sif par Stuart Immonen ne tienne longtemps - en passant Marvel n'utilisera peut-être jamais la tradition mythique selon laquelle elle aurait trompé Thor avec le Trickster). Le dernier cross-over avec Thor sur le retour de Surtur le Géant de Feu est assez divertissant puisque Gillen s'amuse à ajouter à l'habituel Ragnarǫk des Æsir contre Géants, un échec apparent de tous les plans de Loki et un retour de la Guerre interne entre les Æsir et les Vanir. Les amateurs de Georges Dumézil apprécieront car le règne de la Triple Déesse a renversé l'ordre des Trois Fonctions (les Æsir représentent d'habitude les deux fonctions de souveraineté magique et de la guerre, alors que les Vanir représentent la fécondité). Kieron Gillen fait le choix de marier Dame Freyja à Óðinn mais, après tout, les sources islandaises disent qu'elle aurait eu pour mari un certain "Óðr" qui pourrait être un aspect du roi des Æsir.

    En gros, dans mes titres mythologiques, je ne garde donc que la nouvelle Wonder Woman, du moins tant que Brian Azzarello est un peu inspiré par sa vision originale des Dieux grecs (et moins brutal qu'il n'a semblé l'être dans les prequels inutiles de Watchmen). Mais ces ressources grecques demeurent plus riches que les Crépuscules des Dieux à répétition chez les Asgardiens.

    C'est à regret que j'arrête aussi Daredevil de Mark Waid. Il vient de récolter de nombreux prix hier à la Convention de Baltimore (Meilleure série, Meilleure nouvelle série, Meilleur scénario, Meilleur encrage) et cela montre qu'on ne peut pas toujours prévoir l'itinéraire d'un scénariste (car Mark Waid ne me paraissait pas aussi léger et innovateur dans le passé, dans ses séries favorites comme Legion of Superheroes).

    Mon dessinateur favori Alan Davis a été occupé ces temps-ci, non seulement sur Thor mais aussi cet été dans une série de trois Annuals (Fantastic Four, Daredevil, Wolverine) où on retrouvait la création propre de Davis, le Clan Destine, famille d'individus aux pouvoirs paranormaux descendants tous d'un immortel. Davis a enfin raconté la vie de Vincent Destin, le membre "corrompu" de la famille qui était annoncé depuis la première apparition du groupe en 1994. Je ne suis pas sûr que le format des trois histoires ait bien fonctionné et on a toujours l'impression que la greffe du Clan Destin dans l'univers Marvel n'arrive pas à prendre. Les personnages du Clan Destin sont intéressants mais on se dit toujours qu'il mériteraient leur propre univers indépendant au lieu d'être mélangés avec les mutants de Marvel. On soupçonne d'ailleurs souvent que Davis préférerait garder ses propres "enfants" pour lui, s'il le pouvait.


    J'ai aimé le nouveau Prophet, du Space Opera Biopunk par le dessinateur Brandon Graham. En un sens, cette création est moins originale ici en France, comme cela évoque avant tout une série de délires graphiques et d'hommages à  la science fiction des années 1970-1980 comme Metal Hurlant, surtout à Moebius mais aussi peut-être un peu à Druillet pour quelques constructions. Le personnage, "John Prophet", ou plutôt l'un des Jonathan Prophet (qui n'a heureusement plus rien à voir avec la bd nulle et évangélisatrice du même nom par l'incompétent Rob Liefeld) est un des milliers de clones d'un agent de l'Empire Terrien et il erre dans un monde "post-humain" en un sens nettement plus déconcertant que d'habitude. John Prophet doit "relancer" l'Humanité en voie d'extinction mais il se modifie tant biologiquement lui-même à volonté qu'on comprend vite qu'il est encore plus loin de nous que beaucoup des nombreux protozoaires, arachnoïdes et insectoïdes qui l'entourent. Il n'y a aucun triomphalisme anthropocentrique et au contraire un effet de dépaysement où l'Humanité apparaît comme une sorte de virus quasi-artificiel.

    Add. : Cette phrase des éditeurs de DC éclaire bien pourquoi j'ai laissé tomber presque tout DC depuis quelques mois :
    When the New 52 began, writers were told to “write as if they were writing fan fiction.”

    Dans ce cas, c'est réussi, c'est effectivement l'impression qu'on a quand on les lit.

    mardi 4 septembre 2012

    Labor Day et Négociation de pré-rentrée


    En France, c'est la "pré-rentrée" des enseignants et aux USA, c'est un de leurs rares jours fériés avec la Fête du Travail (déplacée du 1er Mai pour ne pas suivre les autres mouvements syndicaux internationaux).

    - Monsieur Phersu, désolé de vous demander cela, mais voulez-vous reprendre la classe comme Professeur Principal ?

    - Non, comme je l'ai écrit l'an dernier, j'ai été Professeur Principal depuis deux ans et je ne souhaite pas recommencer. Je pense que cela peut "tourner" un peu, cela me paraît raisonnable.

    - Mais, allez, Monsieur, un bon mouvement.

    - Non, désolé. Vous n'avez qu'à demander aux collègues.

    - Mais personne ne veut ! Nous avons déjà demandé !

    - Et alors, en quoi est-ce mon problème ? J'ai donné deux ans de suite, déjà. Pourquoi serais-je le seul à céder ?

    - Vous voulez que ce soit une classe sans PP, c'est ça ?



    Que vont penser les parents ?"




    Bon, je suis Professeur Principal. C'est moi qui devrais prendre des rendez-vous avec les parents qui me disent que leur enfant qui passe tout son temps sur Facebook en préparation du prétendu premier examen d'accès au études supérieures est en fait un Génie bafoué par le Système.

    Mais je m'en veux. Si c'était moi qui devais faire des négociations syndicales depuis un siècle, je soupçonne que les ouvriers mineurs travailleraient encore 72h par semaine sans congés payés et sans sécurité sociale.