(Encore une rediffusion)
Je visite les Enfers de temps en temps et j'ai demandé à quelques mythologues célèbres ce qu'ils auraient dit sur le mythe d'Aiwel résumé hier. Leurs ombres demandaient à être rétribuées en sang sacrificiel, ce qui a rapidement été assez coûteux.
1) Théagenes de Rhegium (aurait écrit vers 530 avant notre ère) : "Tous les mythes ont une "hyponoia" ("sous-entendu", un sens allégorique, le plus souvent physique). Aiwel et sa Lance qui tombe en averse est une personnification du Principe humide, la pluie fécondante."
2) Evhémère de Messine (IVe siècle avant notre ère) : "Tous les mythes sont des déformations de faits historiques. Aiwel doit être simplement un chef qui régnait pendant une sécheresse."
3) Les Stoïciens : "Théagenes (ou bien Phérécyde) ont raison (voir 1). Mais il peut aussi y avoir un sens allégorique moral."
4) Plutarque (46-120) : "Tous les mythes sont un Mystère ésotérique. Aiwel est dit être le fondateur d'une lignée d'Initiés et ses mythes représentent symboliquement les rites occultes qui ne peuvent être dévoilés qu'aux Maîtres des Lances. Le passage de la Rivière représente donc le seuil de l'Initiation du néophyte profane en un Myste. Je crois qu'Aiwel est un des Noms d'Osiris."
5) Max Müller (1823-1900) : "Tous les mythes sont des pathologies linguistiques, des maladies du langage et des souvenirs confus de théories étiologiques et météorologiques. *aiwel doit être un ancien mot en langue Thuɔŋjäŋ (du groupe nilotique) dont la racine signifie "pluie" et par extension "fécondité". Le bœuf est dit être "de la couleur de la pluie". Il doit donc s'agir d'un cumulo-nimbus. La légende retrace le fait que le héros apporte la précipitation et, par extension le lait (la vache étant aussi un substitut des nuages). C'est donc une figure issue de Diw/Dyaus Pitar, le Dieu-Ciel qui détient la pluie, et non le modèle plus courant du Héros Solaire qui disperse la nuée. Ok, Théagènes (voir 1) a globalement raison en fait."
6) James Frazer (1854-1941) : "Tous les mythes sont des rites, et notamment des rituels magiques sur la souveraineté. L'ancien Roi (Jiel) est tué par les Lions ou dans une autre version (Fadol) parce qu'il a transgressé un interdit en regardant le rituel sacré au-delà de sa limite. Le nouveau Roi est intrônisé parce qu'il apporte un taureau. Mais ensuite, le nouveau Roi sacré est à son tour tué en duel par un nouveau souverain, pour symboliser la transmission de la fonction (même si on déguise son sacrifice en départ volontaire). Aiwel est aussi un culture hero qui apporte la Lance (représentant la diffusion des outils) et fonde une société magique. "
7) Sigmund Freud (1856-1939) : "Tous les mythes sont des désirs déplacés, fantasmes condensés ou refoulés, comme les rêves. Ce peut aussi être une trace inconsciente de la Horde Primitive. Aiwel exprime clairement le parricide. Il assassine son père Jiel (qui est castré, le lion-Aiwel lui enlève "le pouce et l'anneau") puis à nouveau en tuant Fadol, et il prétend être en fait un bâtard d'un dieu-père imaginaire, associé à l'eau maternelle (de même, il fait ensuite revivre Fadol son beau-père, en intériorisant la culpabilité). Mais son Père fantasmatique est donc sa mère, dont il causera aussi la mort pour rejoindre son Père symbolique. Aiwel naît avec toutes ses dents, ce qui insiste sur le refus de la castration, même si après l'initiation il accepte le rôle de castration quand son père devenu Surmoi divin lui arrache les dents de lait. Il prend le lait maternel sans que sa mère le sache et elle doit ignorer ainsi qu'il transgresse le tabou incestueux (déplacé en refus du sevrage après la poussée des dents). Son père lui a transmis via sa mère la Lance, le phallus. Il envoie à la fin le Phallus dans un os de bassin de vache, qui représente donc sa mère, dernier déplacement de l'Oedipe refoulé."
8) Carl Jung (1875-1961) : "Comme a dit Sigmund (mais je suis un VRAI ARYEN, MOI). Aiwel est une figure du Héros Archétypal dans notre Inconscient Collectif. Il est fils d'une rivière comme Thésée, lui aussi associé au Taureau, est fils de Poséidon dans certaines versions. Il représente aussi un secret alchimique de la transformation de l'eau en lait, transformation intérieure, et la coincidentia oppositorum."
9) Robert Graves (1895-1985) : "La société dinka était sans aucun doute originellement matriarcale, adorant la grande Déesse blanche, symbolisée ici par le lait et la vache (figure égyptienne d'Hathor / Io). Aiwel est un personnage qui représente originellement le Poète qui doit puiser son inspiration auprès des cycles menstruels et lunaires de la Grande Déesse. Mais par la suite, le mythe est inversé et devient un récit misogyne où le héros se débarasse de sa mère et sa sœur et croit même avoir en lui même la fonction créatrice qu'il a usurpée à la Déesse. Mais la Déesse se vengera !"
10) Georges Dumézil (1898-1986) : "Je n'ai rien à dire. Dans les années 20, quand j'étais encore dans ma période Müller-Frazer, j'aurais dit qu'Aiwel rappelle le cycle de l'Amṛta et du Samudra manthanam et que Longar est une figure de Soma. Quel idiot j'étais ! Mais je ne suis qu'un humble comparatiste et pas un africaniste. Ma théorie de l'idéologie des Trois fonctions ne s'applique qu'aux Indo-européens et le mythe d'Aiwel le prouve puisqu'il mêle de manière non-indo-européenne à la fois une fonction magique/souveraine (en tant que fondateur de la classe sacerdotale), guerrière (la Lance) et de fertilité (le lait, les pâturages). Je ne suis qu'un humble comparatiste confiné au monde celto-germano-scandinavo-romano-scytho-osséto-slavo-perso-indien et tout spécialiste qui voudrait appliquer ma théorie à un tel exemple de société nilotique est vraiment un demeuré, comme certains comparatistes de ma connaissance (insérer ici une longue note assassine où je règle mes comptes avec 15 autres mythologues jaloux)."
11) Joseph Campbell (1904-1987) : "Comme a dit Jung (voir 8, plus haut). Mais je ne suis pas un Nazi, hein ? Aiwel, c'est un des visages reflété par Dieu dans Sa Création. Bon, et si vous y tenez, je peux trouver un texte de James Joyce qui aurait une analogie lointaine avec ce récit. Je vais convaincre George Lucas de mettre des vaches couleurs de nuages dans le prochain Star Wars."
12) Mircea Eliade (1907-1986) : "En gros, comme a dit Plutarque (voir 4, plus haut). Et comme Jung (mais je ne suis pas Nazi !, juste un fasciste chrétien inspiré par la Garde de Fer de Codreanu). Tous les mythes se déroulent dans un Hors-Temps archétypal et tout Rituel représente dans le Temps historique la répétition de cette Hiérophanie. C'est pourquoi les Dinkas doivent répéter des rituels avec la Lance de Fer (secret ésotérique de l'alchimie primitive comme ancêtre mythique de la sidérurgie).
13) Claude Lévi-Strauss (ok, il n'est pas encore mort [réactualisation : 1908-2009]) :
"Tous les mythes représentent la tentative de rendre compatible des contradictions qui semblent irrésolubles par un jeu d'oppositions structurales, que ce soit dans la structure sociale ou dans les explications naturelles. On a donc plusieurs structures d'oppositions à la fois sur les normes de la filiation, la culture et la transmission de la vie :
lance, lait qui coule (vertical) / rivière (horizontal),
traire la vache, lait descend / frapper le sol avec la lance, l'eau remonte,
lion (sauvage, carnivore) / bœuf (domestiqué, herbivore),
plonger dans la rivière à cause du Lion / sortir la Lance de la rivière avec le bœuf,
passer la rivière / jeter la Lance sur l'autre rive,
Lance de Fer rectiligne / anneau de fer circulaire / longue tige organique avec un os organique de vache ;
Fer (métal, artificiel, résistant) / Os animal (organique, naturel, fragile).
Aiwel est un personnage médiateur, au centre de ce réseau d'oppositions qui structurent l'expérience et la logique dinka. Aiwel hérite du mari de sa mère son troupeau malgré les protestations de sa demie-sœur, qui serait la vraie héritière. Or les Dinkas sont un peuple exogame (polygame) où la famille reçoit une douaire de la famille du gendre et il n'y a pas de transmissions via les agnats, ce qui montre que la structure mythique est ici une inversion du modèle social et que sa signification doit se trouver dans l'ensemble du mythe à condition de prendre en compte la totalité des variantes (notamment celles sur Fadol, son troupeau, sa fille, son fils et Aiwel, qui viennent restaurer la structure sociale)."
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