lundi 22 juillet 2013

L'Institution Particulière


Certains Conservateurs américains ont plusieurs tactiques pour continuer à défendre la Confédération sudiste ou la Révolte en faveur de la Trahison et de l'Esclavage : (1) ils répètent que le vrai problème n'était pas "l'Institution Particulière" (mot de code pour l'esclavage) mais la subsidiarité ("States'Rights") ; ou alors (variante plus propre à certains "Libertariens" qui préfèrent toujours la servitude privée à toute intervention publique), (2) ils disent que les Républicains abolitionnistes de l'époque ne l'étaient pas assez. Et certes, on sait que Lincoln au départ n'osait justement pas attaquer l'esclavage dans les Etats sudistes et s'opposait seulement (de manière conciliatrice) à son extension dans les nouveaux territoires. Dans les commentaires à ce post sur le fait que les Libertariens redécouvrent l'eau chaude en admettant soudain que l'historiographie traditionnelle était correcte (et si, l'esclavage est un point central), il y a quelques faits intéressants.

Un des grands scandales de l'histoire de la philosophie est le temps qu'il a fallu pour critiquer l'esclavage. Les Epicuriens interdisaient l'esclavage entre eux, dans leur sphère privée mais se désintéressaient du reste. Les Stoïciens, si attachés à la liberté absolue de la volonté rationnelle, ne se souciaient tout au plus que de réduire les violences arbitraires contre les esclaves et non d'abolir l'institution. Les religions comme le Judaïsme (Lev. 25), le Christianisme (Epitre de Paul à Philémon) ou l'Islam ne voulaient clairement interdire l'institution qu'entre membres de la même religion et non pas à tous (même si, depuis, elles prétendent avoir toujours été abolitionnistes). Le pire dans l'hypocrisie moderne est l'argument tortueux de John Locke dans le Second traité du gouvernement civil (1689) qui semble dire d'abord que l'esclavage n'est pas légitime si tout homme a le droit naturel de posséder son corps, avant de dire qu'après tout la servitude repose simplement sur le droit de conquête.

Mais ce serait une erreur de croire que l'abolitionnisme (non uniquement religieux) ne naît qu'avec le Siècle des Lumières. Ils citent cette chronologie par exemple entre le Moyen-Âge et les Lumières.

  • 1435: Papal Encyclical – Sicut Dudum – of Pope Eugene IV banning enslavement on pain of excommunication.
  • 1537: Pope Paul III forbids slavery of the indigenous peoples of the Americas as well as of any other new population that would be discovered, indicating their right to freedom and property. However, only Catholic countries apply it, and state that they cannot possibly enforce what happens in the distant colonies (Sublimus Dei).
  • 1542: Spain enacted the first European law abolishing colonial slavery in 1542, but was forced to weaken these laws by 1545.
  • 1569: An English court case involving Cartwright, who had brought a slave from Russia, ruled that English law could not recognise slavery.
  • 1588: The Polish–Lithuanian Commonwealth abolishes slavery
  • 1595: A law is passed in Portugal banning the selling and buying of Chinese slaves.
  • 19 February 1624: The King of Portugal forbids the enslavement of Chinese of either sex.
  • 1652: Slavery abolished in Providence Plantations.
  • 1683: The Spanish crown abolishes slavery of indigenous prisoners of war in Chile. Non prisoner of war indigenous slavery was already illegal.
  • 1761, 12 February: Portugal abolishes slavery in mainland Portugal and in Portuguese possessions in India through a decree by the Marquis of Pombal.
On peut aussi citer comme un des premiers textes théoriques l'argument de Jean Bodin dans De la République I, V "De la puissance seigneuriale, et s'il faut souffrir les esclaves en la République bien ordonnée" (1576). Après avoir cité plusieurs arguments traditionnels (d'Aristote) sur le caractère "naturel" de l'esclavage, le juriste Jean Bodin les critique avec une ironie que reprendra Rousseau au début du Contrat social.

Ces raisons ont bien quelque apparence pour montrer que la servitude est naturelle, utile, et honnête, mais il y a bien réponse. Je confesserai que la servitude sera naturelle quand l'homme fort, roide, riche et ignorant obéira au sage, discret et faible, quoiqu'il soit pauvre ; mais d'asservir les sages aux fols, les ignorants aux hommes entendus, les méchants aux bons, qui dira que ce ne soit chose contre nature ? si ce n'était qu'on voulût subtiliser, que l'esclave bien avisé gouverne et commande à son seigneur, et le sage conseiller à son Roi mal avisé.

De dire que c'est une charité louable [de] garder le prisonnier qu'on peut tuer, c'est la charité des voleurs et corsaires, qui se glorifient d'avoir donné la vie à ceux qu'ils n'ont pas tués. Or voit-on bien souvent que les hommes doux et paisibles sont la proie des méchants, quand on vient à départir les différends des Princes par guerre, où le vainqueur a bon droit et le plus faible a toujours tort. Et si les vaincus ont fait la guerre à tort et sans cause, comme brigands, pourquoi ne les met-on à mort ? pourquoi n'en fait-on justice exemplaire ? pourquoi les reçoit-on à merci puisqu'ils sont voleurs ?

Et quant à ce qu'on dit que la servitude n'eût pas duré si longuement, si elle eût été contre nature : cela est bien vrai ès choses naturelles, qui de leur propriété suivent l'ordonnance de Dieu immuable ; mais ayant donné à l'homme le choix du bien et du mal, il contrevient le plus souvent à la défense, et choisit le pire contre la loi de Dieu et de nature. Et l'opinion dépravée en lui a tant de pouvoir, qu'elle passe en force de loi qui a plus d'autorité que la nature, de sorte qu'il n'y a si grande impiété, ni méchanceté, qui ne soit estimée et jugée vertu et piété.

Or puisque nous avons par expérience de quatre mille ans tant d'inconvénients, de rébellions, de guerres serviles, d'éversions et changements advenus aux Républiques par les esclaves, tant de meurtres, de cruautés, et vilenies détestables commises en la personne des esclaves par les seigneurs, c'est chose très pernicieuse de les avoir introduits, et les ayant chassés, de les rechercher.

Si on dit que la rigueur des lois se peut modérer avec défenses et punitions sévères de ceux qui tueront les esclaves : et quelle loi peut être plus juste, plus forte, plus entière que la loi de Dieu, qui y avait si sagement pourvu ? voire jusqu'à défendre de les châtier de fouets, (ce que permet la loi des Romains) et veut que l'esclave sur le champ soit affranchi, si le seigneur lui a rompu un membre : ce que l'Empereur Constantin fit passer en force de loi générale.

Et qui ferait la poursuite de la mort d'un esclave ? Qui en oirait la plainte ? Qui en ferait la raison n'ayant aucun intérêt ? attendu que les tyrans tiennent pour règle politique, qu'on ne peut assez asservir les sujets pour les rendre doux et ployables.

7 commentaires:

  1. L'esclavage était la pierre angulaire des systèmes économiques de ces époques ; c'était donc impensable de le critiquer.
    J'aime imaginer que, dans 500 ans, le salariat aura été aboli et que les gens de cette époque-là se diront : "incroyable, même les esprits les plus progressistes, il y a 500 ans, s’abstenaient de critiquer le salariat !"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, c'est un argument de Marx d'ailleurs.

      Il écrit au début du Capital (I, I, 4, note 35) que si même un "Géant de la pensée" comme Aristote a pu suivre à ce point les préjugés de son époque sur l'esclavage, quelle chance ont des économistes plus mineurs de remettre en cause les leurs sur le salariat ?

      Supprimer
    2. Ah, j'oubliais, 賈尼, la chronologie de l'abolition a de nombreuses références chinoises que j'ai retirées.

      Supprimer
    3. Mais les références chinoises m'intéressent aussi. Que disaient les penseurs chinois sur cette institution ?

      Supprimer
  2. C'est cette chronologie :

    221-206 B.C.E: The Qin Dynasty’s measures to eliminate the landowning aristocracy include the abolition of slavery and the establishment of a free peasantry who owed taxes and labor to the state. They also abolished primogeniture and discouraged serfdom.[2] The dynasty was overthrown in 206 B.C.E and many of its laws were overturned.
    1368: China's Hongwu Emperor establishes the Ming dynasty and would abolish all forms of slavery.[3] However, slavery continued in the Ming dynasty. Later Ming rulers, as a way of limiting slavery in the absence of a prohibition, passed a decree that limited the number of slaves that could be held per household and extracted a severe tax from slave owners.[9]
    1723–1730: China's Yung-Cheung emancipation sought to free all slaves to strengthen the autocratic ruler through a kind of social leveling that created an undifferentiated class of free subjects under the throne. Although these new regulations freed the vast majority of slaves, wealthy families continued to use slave labor into the twentieth century.[9]

    RépondreSupprimer
  3. Il me semble que Sénéque avait été l'un des rares à avoir critiqué l'esclavage.
    Sinon dans l'antiquité on est passé près de la révolution industrielle avec Héron et Vitruve. Et si l'on a pas franchit le pas du machinisme c'est justement parce qu'il n'y avait aucun intérêt à le faire. A partir du moment où l'on a une main d'oeuvre qui coûte rien pourquoi la remplacer par des machines ? Même si les dites machines améliore les conditions de travail.
    Ce qui renvoie à une date plus proche de nous. Quand en 1936 Jean Zay, ministre de l'éducation, propose une réforme ambitieuse du système éducatif avec notamment le repoussage de 14 à 16 ans de l'âge limite de la scolarité obligatoire et le collège unique, il s'est heurté à la fronde des députés ruraux qui arguaient que dans les milieux paysans " l'enfant était une main d'oeuvre gratuite". Donc que les paysans allaient être sanctionné par le fait de ne plus avoir leurs enfants avec eux pour faire les travaux des champs. Il faudra attendre les réformes de 1958, 1975 et 1989 pour que notre système éducatif soit réformé dans les proportions de ce qui était voulu en 1936 et de ce qui avait été préconnisé par le rapport Langevin et Vallon de 1948. Les choses ne changent pas vraiment quelque part.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois que Sénèque ne critique pas l'esclavage lui-même, seulement la manière dont certains esclaves étaient traités. Et c'est même plutôt la colère des maîtres qui est plus critiquée que la souffrance des esclaves. C'est plutôt cohérent avec la vision stoïcienne où chacun doit apprendre à accepter son "rôle" et où Epictète, ancien esclave, disait qu'un esclave stoïcien demeurait plus libre qu'un intempérant.

      Mais la différence dans le travail gratuit des enfants (ou aujourd'hui de certains travailleurs clandestins exploités) est que c'était une oppression de fait mais pas une reconnaissance juridique de droit. Le vrai esclave n'est pas une personne juridique du tout.

      Supprimer