vendredi 6 décembre 2013
Les Douze Mondes (1925) de J. Schlossel
J'avais énuméré quelques premières oeuvres de space opera de la Belle Epoque aux Années Folles. Une nouvelle à ajouter est "Invaders from Outside. A Tale of the Twelve Worlds" (Weird Tales vol. 5, n°1, janvier 1925) par un Américain Joseph Schlossel (1902-1977), qui n'aurait écrit que pendant une période brève de 1925 à 1930.
L'histoire est une guerre spatiale mais elle se déroule dans un passé préhistorique. La vie a à peine commencé à évoluer sur la Terre il y a quelques douzaines de millions d'années mais une autre civilisation extra-terrestre (qui n'est jamais décrite physiquement, mais qui semble inhumaine) est déjà apparue dans notre système solaire avant la nôtre et a commencé à se répandre sur plusieurs mondes, y compris la "Cinquième Planète" disparue qui se serait située entre Mars et Jupiter (selon la vieille théorie de l'astronome Olbers en 1802 sur "Phaéton" pour expliquer la ceinture d'astéroïdes). Ils ont fondé une "Confédération des Douze Mondes" qui comprennent deux planètes (la 4e, Mars, et la "5e Planète") et dix satellites (notre Lune, les 4 Lunes galliléennes de Jupiter, Io, Europe, Ganymède et Callisto, et 5 Lunes de Saturne, sans doute Titan, Rhéa, Japet, Encelade et Téthys ?).
Une planète sombre apparaît soudain venue de l'extérieur du système solaire. Ses habitants, qui contrôlent leur monde comme un vaisseau, ont perdu leur propre soleil il y a des milliers d'années et vivent en pillant les autres planètes habitables qu'ils rencontrent sur leur chemin. Ils viennent se satelliser dans l'orbite de Neptune et sortent de leur sommeil cryogénique pour réparer leurs habitats en formes de pyramides. Les Douze Mondes qui étaient complètement pacifistes voient soudain les extra-solaires commencer à envoyer des vaisseaux cubiques pour ravager tout le système (oui, ce sont un peu des Borgs). Mais les Douze Mondes ont pour eux la maîtrise d'une technologie de téléportation et des désintégrateurs qui leur permet de vaincre la Planète sombre. Dans un gambit final, les envahisseurs venus de l'Extérieur abandonnent leur propre planète et tentent de prendre le contrôle de la 5e planète phaétonienne pour la mettre en mouvement. Une catastrophe a lieu et ils détruisent la 5e planète, créant la ceinture de satellites et faisant s'écrouler toutes les colonies des Douze Mondes, sauf Mars, qui est en ruines. La Terre est épargnée par les débris de cette Guerre interplanétaire et la vie intelligente y apparaîtra par la suite (bien que je trouve qu'un retournement amusant aurait été que ces épouvantables monstres envahisseurs de notre système soient simplement les ancêtres des hommes, ce qui semble une interprétation plausible de certains passages comme ils semblent plus "humanoïdes" que les membres des 12 Mondes).
Cette histoire sans personnages, décrite comme un récit historique (à la manière d'Olaf Stapledon) fut sans doute assez influente pour les débuts du space opera. Trois ans après, le jeune Edmond Hamilton publie dans Weird Tales vol. 12, #2-3 (août-septembre 1928) une histoire, "Crashing Suns", où la Patrouille interstellaire doit lutter contre des envahisseurs qui peuvent faire bouger des soleils entiers pour les envoyer comme des projectiles dans notre système. En 1934, Flash Gordon a aussi une planète ambulante qui vient dériver dans notre système. L'idée qu'une Planète, y compris la nôtre, est une sorte de "Navire" ou de "Véhicule" dans notre condition d'Homo viator n'est donc pas une idée originale de Buckminster Fuller.
Il s'est créé depuis cette nouvelle de Joseph Schlossel tout un genre pseudo-scientifique de délires en paléo-astronomie qui mélange mysticisme et catastrophes interplanétaires. Les exemples les plus célèbres seront l'écrivain schizophrène Richard Shaver (1907-1975), qui prétendait dans les années 1940 avoir visité les cavernes secrètes des "Déros" venus de l'intérieur de la Lune (ce "Shaverisme" eut un bref succès, et la scientologie de Hubbard semble aussi en avoir plagié des éléments paranoïaques où les extraterrestres y remplacent les antiques démons), le psychiatre Immanuel Velikovsky (1895-1979) qui affirmait trouver des traces dans les mythologies antiques d'une catastrophe où la planète Vénus aurait été arrachée à Jupiter vers -1500, ou le journaliste Zecharia Sitchin (1920-2010, sans doute très influencé par le vélikoskisme) qui croyait trouver des preuves d'extraterrestres de la planète disparue de Nibiru/Marduk dont la Lune, Tiamat, se serait divisée en deux, la ceinture d'astéroïdes et la Terre.
Joseph Schlossel publia quelques autres nouvelles mais à ma connaissance ne revint pas sur sa première cosmologie de space opera. Il invente assez peu d'intrigues et n'est pas un écrivain particulièrement doué mais était assez visionnaire sur certains thèmes scientifiques pour ce début de l'Âge d'Or des Pulps.
"Hurled into the infinite" (Weird Tales, vol. 5, #6-vol. 6, #1, juin-juillet 1925) : le héros Ned Spencer cherche sa fiancée Grace qui a été enlevée par une secte qui veut coloniser d'autres mondes et qui l'a téléportée par un rituel psychique sur une planète primitive. Ned Spencer part la récupérer sur l'autre planète mais met ensuite assez longtemps pour réunir assez d'indigènes en transe pour imiter le même processus et le téléporter à nouveau sur Terre.
"A Message from Space" (Weird Tales, vol. 7, 3, mars 1926) est le récit d'un amateur d'électronique qui reçoit par sa Télévision (oui, le son est allé avec l'image) un message de Tog Blaata, co-Prince de la planète Nateer. Leur monde qui tourne autour d'une étoile double est mourant à cause du déclin d'une des deux étoiles et l'autre co-Prince Zeneth propose un plan pour changer l'orbite de Nateer et la rapprocher de l'autre soleil. Tog Blaata réussit à empêcher le plan de Zeneth, qui n'aurait fait qu'accélérer la destruction de leur planète, mais ils sont exilés tous les deux de Nateer dans un vaisseau spatial.
"Second Swarm" (Amazing Stories Quarterly, Printemps 1928) raconte à nouveau une guerre mais dans un lointain futur où l'Humanité doit envoyer un "second essaim" punitif pour venger ses premiers colons dans le Système de Sirius.
"To the Moon by Proxy" (Amazing Stories, octobre 1928) est plus intéressant car le héros, un inventeur génial mais paralysé explore la Lune en y envoyant à sa place un robot téléguidé et reçoit par Télévision des images de sa sonde exploratrice.
Il reprendra à nouveau son thème de l'invasion dans une dernière nouvelle "Extra-Galactic Invaders" (Amazing Stories Quarterly, Printemps 1931) où l'Ennemi est devenu extérieur à notre Galaxie et plus seulement à notre Système.
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