dimanche 2 mars 2014

Charge of the Light Brigade

Boldly they rode and well,
Into the jaws of Death,
Into the mouth of Hell

Je parle plutôt de l'actualité maintenant sur twitter mais 140 signes ne font pas dans la nuance.

Quelques pensées dans le désordre :

Le rôle des extrêmes
Sur les sites de gauche critique, je reviens tout le temps sur la même idée que les Médias nous cachent que l'opposition était d'extrême droite (et on retrouve la même critique sur les sites russes et sur les sites de l'extrême droite néo-nazie soralienne qui a une géométrie très variable dans l'indignation face au concept de fascisme).

Le jeune historien Timothy Snyder, spécialiste de la région, accuse la gauche dite critique d'être tombée dans un travers complotiste et un piège de la propagande russe (déjà utilisé notamment pendant le soulèvement de 1956 à Budapest).

Il minore beaucoup le rôle de ces ultra-nationalistes en disant
(1) que les manifestants au début étaient très divers, dont même un dirigeant musulman Mustafa Nayem, qu'on ne peut pas accuser d'être proche des ultra-nationalistes.
(2) que les jeunes militants ultra-nationalistes de Svoboda qui se sont ensuite joints au mouvement l'ont fait contre les dirigeants de Svoboda (souvent clairement néo-nazis, qu'il soupçonne d'être une pseudo-opposition fabriquée pour diviser l'opposition, et qui n'ont après tout obtenu que 10%, surtout en Galicie)
mais ensuite (3) il va jusqu'à minorer l'extrémisme même de Pravy Sektor (en disant qu'ils sont plus nationalistes que racistes ou anti-russes), dernier point qui me paraît contredire ce qu'on lit partout ailleurs. Regardez par exemple ce reportage de la BBC d'hier où un jeune du "Secteur Droite" dit son admiration pour le nazisme.

De manière assez inquiétante, on avait même proposé un poste au gouvernement (Vice-secrétaire à la sécurité nationale) au chef de Secteur droite. Il a refusé et c'est seulement Svoboda qui est entré...

La Rada (le Parlement)
Il a 450 membres et l'Ukraine a un système unicaméral (comme près de la moitié de la planète maintenant en fait, ce n'est plus du tout une rareté).

Depuis les élections de fin 2012, le Parti des Régions (où ils atteignaient 210 députés) gouvernait avec les Communistes (32 sièges) et avait pu attirer quelques indépendants comme le petit parti de la jeune milliardaire Natalia Korolevska (Ukraine en Avant, puissant dans l'est du pays, qui avait quitté le Front de l'opposition mais fut finalement éliminé complètement du Parlement après cette trahison.

Le parti de Julia Timochenko, Bat'kivshchyna (la Patrie), n'avait eu qu'une centaine de députés, avec 40 pour l'UDAR de Vitaly Klitschko et 37 pour le Parti d'extrême droite Svoboda (Liberté).

Mais un peu plus d'un an après, en février 2014, le Parti des Régions a vu ses membres le fuir après la sanglante répression de Maïdan. Il n'a plus que 122 sièges sur 450 au lieu de 200 (plus les 32 sièges communistes qui sont restés stables). L'opposition a en revanche eu une croissance avec 36 députés ex-Parti des Régions qui l'ont quitté (en partie à cause du refus de Yanoukovitch de signer l'accord commercial avec l'Union européenne), plus de nombreux Indépendants, ce qui donne un total suffisant pour atteindre un chiffre de 250 sur 450.

Le gouvernement Yatseniuk
Le nouveau gouvernement d'Arseny Yatseniuk a été appelé un gouvernement "kamikaze". Yatseniuk, technocrate libéral et ancien Ministre des affaires étrangères, a dit qu'il allait appliquer une politique d'austérité très sévère pour obtenir des accords du FMI.

Cela risque de créer une spirale curieuse : la population va vite se retourner contre le gouvernement et ils peuvent donc perdre les élections suivantes. La Révolution euromaidan mangera donc ses enfants ou le FMI contribuera à agraver la crise sociale au nom de la dette.

Cependant l'occupation (ou l'indépendance de facto) de la Crimée va paradoxalement affaiblir le Parti des Régions à la Rada (le Conseil Suprême, unicaméral) s'ils n'y ont plus de députés dans les zones où ils sont les plus forts. Il faudra voir les conditions du vote dans l'Ukraine de l'est et s'il y aura un boycott organisé par certains des Russophones (car j'imagine que Poutine va se contenter de la Crimée, même s'il y a tous ces drapeaux russes sur l'Ukraine de l'est). C'est peut-être étrangement une chance à court terme pour le candidat du Bloc Timochenko ou du Parti conservateur Bat'kivshchyna, aux prochaines Présidentielles, même si cela amoindrit bien sûr sa légitimité à moyen terme.

Le gouvernement de Yatseniuk a failli s'ouvrir au Parti UDAR de Klitschko (le Boxeur) mais ce sont eux qui auraient refusé (même si les 42 membres d'UDAR soutiennent le gouvernement).

Il y a un poste symbolique de Vice-Premier ministre donné à Oleksandr Sych, qui est membre de Svoboda (36 députés à la Rada) et ils ont aussi eu le Ministère de l'Agriculture et celui des Ressources naturelles (le Ministère de la Défense est à un Amiral qui serait proche aussi). Je ne sais pas si c'est à cause de cette présence de Svoboda que le nouveau gouvernement a soutenu cette nouvelle loi stupide contre l'usage de la langue russe (qui est la langue principale d'un tiers de la population).

Ils ont en revanche incorporé quelques symboles du mouvement d'EuroMaidan, dont des gens qui se sont fait tabasser par les milices de Yanoukovitch. Mais ces figures assez sympathiques jouent un rôle mineur.

L'homme fort du gouvernement doit être le Ministre de l'Intérieur Arsen Avakov, un des plus riches financiers de Kharkiv. Il est membre du Bloc Timochenko et a lui aussi été accusé d'une fraude (avoir exproprié 55 hectares dans la région de Kharkiv) mais j'ignore si c'est encore un complot pour le discréditer.

Le futur de Julia Timochenko ?
Timochenko va essayer de négocier avec Poutine demain et elle en a l'habitude. On dit qu'elle n'est plus qu'un symbole qu'on plaignait mais qu'elle n'a plus guère de crédit politique dans les mouvements d'Euromaïdan après sa longue détention.

Arseny Yatseniuk s'était présenté contre elle en 2009 en disant qu'elle ne valait pas mieux que Yanoukovitch. Son parti ne s'est finalement allié à la Bat'kivshchyna qu'après l'emprisonnement de Timochenko et n'a formellement rejoint le Bloc Timochenko que l'an dernier après avoir catégoriquement refusé des offres de Yanoukovitch. Mais il a promis ne pas vouloir se présenter aux prochaines Présidentielles. Le plan actuel de la nouvelle Majorité semble donc être de réduire le pouvoir du Président et peut-être de le transmettre quand même à Timochenko ?

10 commentaires:

  1. Je crois qu'il y a un amalgame entre paganisme et extrême droite. Il y a une sub culture païenne très présente en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques ( et aussi dans les pays de l'est). Ces païens ne sont pas forcémment d'extrême droite. Déjà que les païens occidentaux sont loin de tous l'être ( il existe des païens de gauche, regroupés notamment autour du mouvement Pagans against facism).
    Le fait qu'une part des manifestants fassent partie de cette subculture ne veut pas dire qu'ils sont d'extrême droite. C'est un raccourci facile dont les média occidentaux et en particulier français sont friands.

    La réaction de Soral ne me surprend pas. C'est un admirateur de l'ultra nationaliste panslave, Edouard Limonov, un des principaux leaders rouge bruns en Europe de l'Est.

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    1. Je ne sais pas à quelles sources tu fais référence car je n'ai vu nulle mention d'un néo-paganisme, seulement de l'extrême droite historique. Svoboda (Liberté) est un parti récent (2004) mais qui s'appelait avant "Parti national-social d'Ukraine" dans les années 90. Ce n'est pas de la polémique de dire que ce sont des Nazis : ils s'en réclamaient eux-mêmes explicitement. Ils étaient encore groupusculaires il y a douze ans mais ils ont soudain montés à 10%. Pravy Sektor (Secteur Droit) est encore plutôt un gang de skinheads, mais ils ont joué un rôle important dans les manifs de Maidan. Les manifs étaient très pluralistes et diverses mais l'extrême droite y a progressivement pris plus de place. En revanche, ils essayent maintenant de modérer leur antisémitisme en n'insistant plus que sur leur russophobie.

      Oui, Soral représente un alliage rouge-brun (où les Juifs seraient identiques au Capitalisme) et il ajoute le vert islamiste (ce qui devrait déplaire à beaucoup de ses amis, notamment russes).

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  2. Le rapport du gauchiste moyen à la presse est un étrange mix paranoïaque :
    - si c'est dans la presse mainstream, c'est un mensonge.
    - si ça n'est pas dans la presse mainstream, ça n'existe pas.
    Le même interlocuteur peut tenir alternativement les deux positions, sans y voir de contradiction.

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    1. La presse mainstream a certes été très hésitante et contradictoire, elle eu des phases différentes au fil de la crise, en commençant par dire que les manifestants étaient tous des rebelles démocrates puis qu'ils étaient des fascistes, mais ils n'ont pas tellement caché cette dernière dimension. En revanche, ils me semblent moins couvrir la place de Svoboda à l'intérieur du nouveau gouvernement, notamment dans les questions de sécurité, ce qui est inquiétant.

      Le nouveau président par interim d'Ukraine a dit qu'il ferait un véto contre les propositions de Svoboda contre la langue russe (assez ridicules comme même une large part des Ukrainiens continuent à utiliser le russe comme langue principale).

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    2. mais la loi qui défait la langue russe comme langue officielle a bien été votée?

      Contrairement à toi, je ne pense pas que Poutine se contentera de la Crimée, alors que il n'y a personne pour l'arrêter autrement que par l'indignation. Les provinces russophones de l'Est deviendront réclameront leur "indépendance" et deviendront des satellites de fait comme l'Abkhasie. Sans doute attendent-elles les conséquences de la crise criméenne (?) avant de choisir un processus pour emboiter le pas.

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    3. Oui, elle a été votée par le Parlement ces derniers jours (232 sur 450 à la Rada) mais le Président par interim Oleksandr Turchynov a mis son véto.

      En fait, elle abolissait une loi récente de 2012 qui permettait aux régions ayant au moins 10% de russophones de donner un statut officiel au russe (sauf la Crimée qui avait déjà cette exemption depuis des lois de la fin des années 90). La nouvelle loi n'était donc qu'un retour à une situation d'avant 2012 et n'est pas appliquée mais elle a contribué à effrayer les Russes.

      Je continue à penser que Poutine peut très bien se contenter de la Crimée (où son problème va un peu se réduire aux Tatars et à quelques éléments de la flotte ukrainienne). L'est de l'Ukraine serait beaucoup plus compliqué à annexer.

      On devrait dire "crise cimmérienne". Tout le monde penserait qu'on parle de Conan comme cela.

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    4. A la décharge de ce vote sur la loi de 2012, elle était perçue comme un cadeau de la part de Yanoukovitch et cela explique en partie le succès si rapide de ce deuxième vote, moins de deux ans après.

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    5. >"Je continue à penser que Poutine peut très bien se contenter de la Crimée"

      extrait d'une conversation entre Poutine et Obama (c'est moi qui souligne) : "si la violence continue à se répandre dans LES REGIONS ORIENTALES D'UKRAINE et de Crimée, la Russie se réserve le droit d'intervenir" :(

      Je prends donc les paris sur une satellisation des républiques russophones d'Ukraine par Poutine (dont le rêve est de reconstituer l'URSS)

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  3. Qui sont les bons et les méchants dans tout cela?

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    1. :)

      Les snipers de Maidan doivent être les Méchants brevetés mais on ne sait toujours pas pour qui ils travaillaient en réalité !

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