vendredi 2 mai 2014

Elections Indiennes Par Province : l'Andhra Pradesh

Comme c'est les élections en Inde pendant tout ce mois, je vais refaire ce que j'avais fait il y a 5 ans quand j'avais déjà parlé des Plus Grandes Elections démocratiques du Monde et commenté les résultats en me concentrant à l'époque sur le grand Etat du Sud, le Tamil Nadu. Je ne parlerai pas tout de suite de l'Union dans son ensemble (où il semble que le BJP-NDA de Rahendra Modi va hélas l'emporter, mais c'est une alternance inévitable pour éviter trop d'encroutement et de corruption du Parti du Congrès).


L'Union indienne compte 28 Etats (et bientôt 29). Le mot "pradesh" veut dire province et aujourd'hui trois Etats importants au moins partagent ce terme officiellement dans leur nom : l'énorme Uttar Pradesh (Province du Nord, 199 millions d'habitants), le Madhya Pradesh (Province Centrale, 72 millions d'habitants) et enfin au sud-est, l'Andhra Pradesh (Province des Andhras ou "Telugu", 84 millions d'habitants, à peu près la taille de l'Allemagne).

L'Andhra Pradesh est donc la porte du Sud du Sous-Continent (ce sont les "Ghâts Orientaux" au flanc du Grand Plateau du Deccan)  et a une histoire administrative compliquée depuis l'Indépendance de l'Inde. Le sud de l'Andhra Pradesh dépendait plutôt de la ville de Madras (Chennai, qui est aujourd'hui rattachée au Tamil Nadu) et le nord était dans le Royaume moghol des Nizâm de Golconda (près de l'actuelle Hyderabad, capitale de l'Etat, dont les territoires allaient aussi plus vers l'ouest, dans l'actuel Maharashtra/Karnataka : les Princes de Hyderâbâd furent forcés de rejoindre l'Union indienne). A partir de 1956, une partie de l'ancien Royaume de Hyderabad qui parlait la langue télugu fut uni avec les territoires de l'Etat andhra qui avait renoncé à la grande métropole de Madras (mais la population musulmane autour de l'ancienne capitale Hyderabad a encore une minorité parlant l'Urdu plutôt que le Telugu).

Aujourd'hui, Hyderabad a 7 millions d'habitants, c'est la 4e ville de toute l'Union indienne derrière Mumbai, Delhi et Bangalore, à peu près au niveau de Kolkata et Chennai.

La Scission de l'Andhra et du Telangana
Or après ces élections de mai 2014, l'Andhra Pradesh va être divisé à nouveau en deux et la partie du nord-ouest autour de Hyderabad va (re)devenir un nouvel Etat, le 29e de l'Union, sous le nom de Telangana (environ 35 millions d'habitants, 40% de la Province), la mégalopole d'Hyderabad demeurant une capitale jointe des deux Etats pendant une période transitoire jusqu'en 2024. C'était une longue réclamation des populations telugu du nord. L'Andhra Pradesh se réduira donc désormais à la zone de la Côte orientale (Kosta ou Andhra, 35 millions d'habitants) et le Rayalaseema au sud (15 millions d'habitants).


Bien que le Parti du Congrès au niveau fédéral et le BJP soient tous les deux d'accord pour créer ce nouvel Etat de Telangana, le passage de la loi fut assez tendu à l'Assemblée, avec certains députés de l'Andhra Pradesh opposés à la division qui en vinrent aux mains (le riche Rajagopal du Parti du Congrès démissionna même et abandonna la politique après la censure de son attitude - il avait aspergé ses adversaires de gaz au poivre en pleine session parlementaire). Le Ministre en Chef de l'Andhra Pradesh (qui était membre du Parti du Congrès) a aussi démissionné et quitté le parti.

Le Personnel politique : Reddys vs Raos
Bien sûr, une vraie analyse politique de la situation demanderait de voir quelles régions, quelles confessions, quelles classes sociales et quelles castes soutiennent chacun des partis (en gros le Congrès et le TDP). Mais je vais me limiter à un cadre plus anecdotique, sur la caste des Reddys et la dynastie de NTR Rao.

les Reddys
On sait que la politique indienne est en partie une question de dynasties et de castes. Depuis au moins le XIe siècle, une des castes dominantes des pays telugu est les Reddy, qui a fourni de nombreux Rois, seigneurs mais aussi de riches marchands. Cela est resté vrai dans la période contemporaine démocratique où plusieurs familles dominent surtout au Parti du Congrès National et où un nombre significatif des leaders avait le mot "Reddy" dans le patronyme de caste (au point qu'il vaut mieux parfois ne pas en tenir compte pour mieux les distinguer).

Dès les origines, Neelam Sanjiva Reddy (1913-1993) fut le premier Ministre en Chef de l'Andhra Pradesh (1956-1964) et finit même Président de l'Union indienne (1977-1982). K.V. Ranga Reddy (1890-1970) travailla avec le précédent et fut le chef de la lutte contre les Nizâms de Hyderabad avant le rattachement à l'Union, son nom de Ranga Reddy (parfois écrit "Rangareddy") a maintenant été donné à tout le district autour d'Hyderabad, Kasu Brahmanda Reddy (1909-1994) fut le second Ministre en Chef et il dut faire face à une opposition croissante sur la question du Telangana.

Plus récemment, Mari Chenna Reddy (1919-1996) était aussi au Parti du Congrès National Indien, il fut un des leaders telugu qui obtint un compromis pour donner plus d'autonomie à la région du Telangana dans l'Andhra Pradesh à partir des années 1960 et il finit comme Ministre en Chef de cet Etat dans les années 1980 (son fils est toujours en politique). Après lui, ce fut Nedurumalli Janardhana Reddy, qui fut Ministre en Chef de 1990 à 1992 et K.V. Bhaskara Reddy (1920 – 2001), Ministre en Chef de 1992 à 1994.

Au XXIe siècle arrive la famille "Y.S." (pour "Yeduguri Sandinti") avec Y. S. Rajasekhara Reddy (1949-2009), Ministre en Chef de 2004 à 2009, Y. S. Vivekananda Reddy (frère du précédent, député) et en ce moment, Y. S. Jaganmohan Reddy (neveu du précédent, député accusé de corruption et qui a une branche du Parti du Congrès, le Congrès YSR autour de lui, il était un des opposants à la création du Telangana) et sa soeur Y.S. Sharmila.

Le dernier Ministre en Chef de l'Andhra Pradesh fut Nallari Kiran Kumar Reddy, qui vient de démissionner du Parti du Congrès National et de son poste pour protester contre la division de l'Etat  - il vient de créer un nouveau Parti sur cette question Vive l'Andhra Uni (JSP).

Les Raos
De même que tous les Reddys ne sont pas liés, le nom de "Rao" (proche de rājā) est encore plus courant pour la noblesse. Il n'y a donc rien à voir entre P.V. Narasimha Rao (1921 – 2004), Ministre en Chef de l'Andhra Pradesh, du Parti du Congrès qui finit Premier Ministre de l'Inde dans les années 1990 après l'assassinat de Rajiv Gandhi, et N.T. Rama Rao (1923-1996), qui est la figure la plus importante de la politique locale dans les deux dernières décennies du XXe siècle.

Une plaisanterie américaine dit que la Politique est le Show Business pour les Laids (autrement dit pour ceux qui ne sont pas assez beaux pour entrer dans les spectacles du divertissement). En Inde, la Politique est le Show Business, point final, et il est devenu quasiment une règle bien avant Ronald Reagan que les Stars de cinéma finissent comme élus du peuple. Nandamuri Taraka Rama Rao (dit "N.T. Rama" ou "NTR") fut une des principales vedettes du cinéma telugu avant de fonder en 1982 le Telugu Desam Party (TDP, Parti du Peuple Telugu). Le Parti du Congrès National gouvernait alors sans interruption l'Andhra Pradesh depuis 30 ans et le TDP était plus fondé sur une opposition aux cliques du Congrès que sur une base vraiment idéologique claire. En théorie, ils se veulent populistes, régionalistes et socio-démocrates mais en pratique ils ont pu s'allier au niveau fédéral aussi bien avec des coalitions de Troisième Force qui comptaient des Communistes qu'avec les partis de droite religieuse comme le BJP, comme c'est à nouveau le cas aujourd'hui dans l'Alliance démocratique nationale (il est vrai que la complexité de la politique fédérale indienne fait que certains groupes dits communistes soutiennent aussi cette même Alliance).  En 1983, "NTR" gagna les élections régionales et devint le nouveau Ministre en Chef, le premier qui ne soit pas membre du Parti du Congrès national depuis l'indépendance. Il gouverna de 1983 à 1989 (en dehors d'une période où un autre TDP, Bhaskara Rao, réussit un bref "putsch" parlementaire pendant un de ses congés, avec une manipulation faite par le Parti du Congrès). A cette époque, le TDP dominait tellement l'Andhra Pradesh qu'ils devinrent même le principal Parti d'Opposition au Congrès au niveau fédéral.

NTR perdit les élections dans l'Etat en 1989, au moment même ironiquement où le Parti du Congrès perdait le pouvoir fédéral et où le TDP participait à une coalition nationale anti-Congrès.

NTR revint en 1994, à l'âge de 71 ans malgré ses problèmes de santé, mais son gendre, Nara Chandrababu Naidu organisa alors un second coup interne au TDP pour le renverser (en partie parce que Naidu craignait en fait que la nouvelle et jeune seconde épouse de NTR, l'écrivaine Lakhsmi Parvathi, prenne le pouvoir à la mort du leader charismatique - une situation analogue avait eu lieu en 1988 au Tamil Nadu quand la maîtresse de Ramachandran a repris le contrôle de l'AIADMK). NTR mourut d'ailleurs peu de temps après, en 1996 et le reste du Clan n'a pas l'air de trop en vouloir à Naidu.

Chandrababu Naidu devint le Ministre en Chef pendant 9 ans, jusqu'en 2004, mais il dirige toujours aujourd'hui le TDP. La seconde épouse, Lakhsmi Parvathi, a depuis rejoint avec sa faction le Parti du Congrès Y.S. nommé plus haut. Une autre fille de "N.T.R", Daggubati Purandeswari a épousé un député du Parti du Congrès (et producteur de cinéma), Daggubati Venkateswara Rao, elle est députée fédérale et Ministre mais elle vient de quitter le Parti du Congrès avec son mari et de rejoindre le BJP.

La dynastie de NTR est nombreuse dans le cinéma. Le plus connu parmi ses enfants est l'acteur Nandamuri Balakrishna qui se présente cette année aux élections régionales pour le TDP, et son frère aîné, Nandamuri Harikrishna est déjà député du TDP. La dynastie a même eu un mariage entre cousins : le fils de Naidu, Lokesh, a épousé sa cousine, fille de Nandamuri Balakrishna.

En revanche, le chef actuel du TDP au Parlement, Nama Nageswara Rao, n'a pas de rapport avec la famille en dehors du fait d'être un allié du gendre Chandrababu Naidu. Il n'y a pas non plus de rapport avec Kalvakuntla Chandrashekar Rao, qui a quitté le TDP pour fonder un parti rival, le TRS, plus à droite mais qui s'est allié avec le Parti du Congrès.

Situation actuelle
Le Parti du Congrès national est revenu au pouvoir local depuis 10 ans. Au dernières élections de 2009, le Parti du Congrès national de Y. S. Rajasekhara Reddy emporta une majorité simple contre le TDP de Chandrababu Naidu, Monsieur Gendre. Mais quelques mois après l'élections, Y. S. Rajasekhara Reddy (dit "YSR") mourut d'un accident d'hélicopter.

Depuis, le Parti du Congrès national s'est divisé entre la faction de la famille de YSR (mené par Y.S. Jaganmohan Reddy, fils d'YSR, opposé à la Scission et poursuivi pour corruption) et le reste. Nallari Kiran Kumar Reddy, qui dirigeait le Parti du Congrès national en Andhra Pradesh, vient de le quitter sur la question du Telangana.

Le Parti du Congrès au pouvoir sera donc représenté pour les élections générales par un certain Ragy Veera Reddy (décidément, cette caste n'est pas prête d'abandonner le pouvoir) qui luttera contre le TDP de Chandrababu Naidu (allié au BJP) et contre le Congrès-YSR, dont on ignore encore dans les sondages s'il peut devenir important.

5 commentaires:

  1. Wow. Merci pour ce long article. J'ai toujours été fasciné par la politique indienne mais je n'ai jamais réussi à assimiler toutes ces ethnies, toutes ces langues, toutes ces provinces (alors même que j'y arrive pour la Chine. Mystère).

    En tout cas l'Inde montre que l'on peut redécouper des frontières sur des bases ethnolinguistiques sans trop s'étriper... À méditer.

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    1. Oui, sur le Telanga, on semble en être resté à des cris et des jets de gaz au poivre.

      Mais je serais moins optimiste sur la question des frontières en général : le Kashmir est toujours un problème saignant et ils peuvent encore se massacrer sur les conflits entre majorité hindoue et minorité musulmane (ou dans le cas des Tamouls au Sril Lanka entre Tamouls hindous et Cingalais bouddhistes. Sur ce point central des conflits religieux, les 9% de Musulmans en Andhra Pradesh ont l'air d'avoir moins souffert que les Musulmans du Gujarat (mais il faudrait vérifier). Le TDP de la "Fierté Telugu" est maintenant allié au BJP (par rejet du Congrès) mais ils ne semblent pas particulièrement anti-musulmans.

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    2. Les conflits saignants que tu mentionnes sont toutefois hors de la République de l'Inde proprement dite. J'ai l'impression que les conflits internes se passent de manière plus civilisée qu'en Europe.

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  2. Fascinant! Est-ce qu'il y a eu, ou qu'il est prévu, un ou des référendums pour que les populations concernées se déterminent ou cela relève seulement du Parlement fédéral?

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    1. Non, c'est seulement le Parlement fédéral (conformément à l'Article III de la Constitution indienne).

      Même la Législature de l'Etat concerné n'a qu'un droit consultatif (l'Assemblée de l'Andhra Pradesh avait d'ailleurs voté contre, les députés du sud de l'Etat étant majoritaires et ayant tenté un peu d'obstruction).

      La Cour suprême va quand même donner un avis dans quelques jours mais on ne s'attend pas à des surprises.

      Il est prévu que le nouveau Telangana aura 17 députés au Parlement fédéral et le nouvel Andhra Pradesh n'en aura plus que 25.

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