mardi 30 septembre 2014

Toc Toc


Cela fait longtemps que je n'ai pas remis à jour et il y a un effet de cercle vicieux, plus j'attends, plus il est difficile de reprendre.

Alors je vais donner dans le récit nombriliste, même si cela ne pourra pas incriminer de Président de la République.

Ce mois d'août, je suis allé au Portugal pour revoir ma famille, que je n'avais pas rencontrée depuis environ 40 ans (on y était retourné à peu près après la Révolution des Oeillets mais mon père, bien qu'il n'ait jamais cherché à changer de nationalité, avait préféré finalement rester en France). J'y ai revu mon grand-père paternel pour lui présenter mon enfant, Mellon, et il était curieux de rencontrer ainsi des inconnus qui semblaient si familiers. Nous avions bien fait d'y aller à temps, mon grand-père a fait une crise cardiaque deux semaines plus tard et fut aussitôt enterré.

Contrairement à moi, ma famille est assez douée en langues et a du mal à admettre que je ne parle plus du tout portugais. J'avais bien essayé de m'y remettre pendant quelques semaines avec une prof brésilienne (qui était, je crois, plutôt sociologue de profession) mais elle nous avait fait plus chanter de la bossa nova qu'apprendre de la grammaire.

J'ai aussi rencontré au Portugal ma demi-soeur (espagnole, elle), âgée de seulement 15 ans, la fille de mon père que je n'avais jamais vue et qui est née peu avant son propre décès. Les obstacles à la communication étaient trop nombreux - et je ne parle pas seulement du décalage temporel ou du fait qu'elle soit encore une adolescente.

Mellon a maintenant deux ans. Il commence à faire des propositions enchâssées (ce qui est, si j'ai bien compris, un des critères de l'humanité dans la grammaire générative chomskyenne, non, malgré tout le cas du pirahã ?). La phonologie est plus lente, il persiste à prononcer de manière indiscernable "Wonder Woman", "Spiderman" et "Superman" (quelque chose comme *"wanaman"). Et je ne comprends pas (à moins de tomber dans la psychanalyse) pourquoi il appelle l'ignoble Venom en Légo (l'ennemi monstrueux de Spiderman qui ressemble à la créature d'Alien), "Papa-Wanaman".

J'ai eu par hasard une commande pour une entrée de dictionnaire pour les PUF sur un sujet très geek mais où je ne suis pas directement compétent - ce qui est un peu ironique dans la mesure où je ne suis plus guère capable que d'écrire sur des sujets geeks.

J'ai lu quelques romans de Brian Stableford cet été. Il faudra peut-être que je trouve le temps et l'énergie pour en parler. Et du Anatole France. Je me suis aussi remis par hasard à Larry Niven, un auteur que j'aime bien critiquer même si certains aspects de son univers fictif me fascinent.

En jeu de rôle, j'avais promis avant les vacances de revenir vers Mindjammer de Sarah Newton et je traverse un petit passage plus SF que fantasy (ce qui est assez rare chez moi). Mais j'ai aussi acheté Shores of Korantia, de la fantasy antiquisante, qui est la suite d'Age of Treason. et j'ai reçu le pdf du kickstarter Calidar: in Stranger Skies de Bruce Heard.

jeudi 11 septembre 2014

Безотцовщина


Nous avons donc emmené Mellon pour voir son dernier arrière-grand père, mon grand-père paternel et nous l'appelions "avo" (grand-père en portugais, comme le latin aevus, aïeul) ou bien parfois "grand papy" (ce qui faisait que Mellon s'attendait sans doute à une version gigantesque).

Quand nous sommes arrivés à Evora le 17 août, c'est Avo António qui m'a reconnu et toute la famille autour de Tininha a été très affectueuse même si la communication n'était pas très facile comme je ne parle pas du tout portugais.

Le rapport à la paternité est quelque chose d'assez étrange pour moi. En un sens, je n'ai compris ce que des affections familiales pouvaient signifier qu'en devenant père car auparvant, je trouvais presque choquant et incompréhensible la plupart des gens que je rencontrais qui semblaient avoir de l'admiration ou de l'amour pour leur père. Pour moi, c'était une erreur de catégorie car s'il y a une dette réelle dès que le parent est un tant soit peu gentil ou qu'il fait son devoir, je ne voyais guère qu'une sorte de relation de gratitude ou bien une sorte de compassion pour le parent, pour ses nombreux sacrifices et ses peines mais l'amour ne pouvait pas se diriger vers quelqu'un qu'on n'a pas choisi soi-même. La relation de filiation ne pouvait donc être qu'une sorte d'embarras où on devait afficher une certaine reconnaissance mais où le terme d'amour filial était trop galvaudé tant il risquait d'impliquer qu'on chercherait à tirer une sorte de pression psychologique dans une relation qui ne relève pas du libre-choix entre des individus adultes et responsables. C'est ce que j'appelais mon complexe de Cordélia, où je trouverais de très mauvais goût de montrer de l'affection pour une personne qui peut risquer de vous montrer du favoritisme. Deux adultes indépendants peuvent s'aimer mais la relation parent-enfant (sans même parler de la médiation "adelphique" entre siblings comme dans Cordélia) crée trop de dettes involontaires, d'accidents divers où chacun se sent un peu redevable.

Mais je comprends maintenant une autre sorte d'équivocité dans ce terme d'amour, même en ses sens les plus nobles et je ne même plus sûr que l'amour familial ne soit qu'une approximation ou un reflet du seul vrai grand amour entre individus adultes et responsables.

L'amour n'est pas que ce pur acte du libre-arbitre (ce qui est le legs de la tradition d'Augustin à notre civilisation : l'être suppose un être libre pour qu'il puisse exister une relation d'amour libre de l'être créé vers le créateur) et il y a aussi une sorte de caractère inconditionnel à se dire qu'on aime en n'ayant en fait absolument pas le choix (même s'il doit y avoir aussi une sorte de ressentiment ou de haine possible chez le parent ou l'enfant qui se dit ne pas éprouver cela). On ne peut pas décider de désirer mais on peut aussi avoir une sorte d'amour tout en étant conscient d'une sorte d'obligation qui ne relève pas uniquement de notre libre loyauté.

Avo est mort dans la nuit du vendredi 5 septembre 2014 au samedi 6 septembre. Ana m'a appelé en plein cours ce samedi matin et j'ai failli décrocher car j'avais deviné dès la sonnerie.

Mellon demande encore souvent "où est avo". On disait "avo est à évora". J'imagine que la question va finir par s'estomper dès qu'il se reconcentrera sur "Papy" et "Mamie". Mais pour l'instant, je dis juste "avo n'est pas là" et cette absence sera finalement la première occultation du concept de la mort. Pour l'instant, il doit avoir vaguement le concept de "cassé" mais croit que tout objet cassé se répare toujours, il n'imagine donc pas qu'il puisse y avoir aussi de l'irréversible.


mardi 2 septembre 2014

The Multiversity #1


The Multiversity est une nouvelle série de Grant Morrison où il s'amuse à travers le Multivers de DC Comics. On a donc à nouveau une guerre entre les dimensions, un grand conflit entre des variantes des superhéros et une forme de destruction nihiliste.

Je suis un peu perplexe. D'habitude, avec Morrison, la plupart des autres lecteurs que je vois sur Internet crient au Génie et je trouve cela assez décevant. Là, la réception critique a été très mauvaise (disant que Morrison se répétait énormément, voir cette critique sur TCJ) et j'ai été au contraire relativement amusé, même si c'est en effet relativement peu surprenant.

Mais j'ai un biais : un des héros est Captain Carrot, le héros de Terre-26 (la dimension des Toons, celle qui s'appelait "Terre-C" avant la Crise des Terres Infinies) et, bien que cela semble être un prétexte infantile, je pardonne à peu près tout à une série avec Captain Carrot, je n'y peux rien.


Il y a déjà au moins une version annotée et je ne ferai donc que résumer le début. Et voilà aussi une vidéo de DC résumant la "Carte du Multivers" réalisée par Morrison pour accompagner cette série :


Le Multivers de DC Comics est composé de 52 Dimensions (numérotées de Terre-0 à Terre-51) et certaines de ces réalités sont reflétées comme des fictions sur les autres, ce qui signifie que chaque comic-book est en relation avec une de ces Terres possibles (et donc que par récurrence, notre propre réalité est intégrée comme une sous-partie de ce Multivers fictif).

Ce Multivers était protégé par 52 Monitors mais le dernier qui subsiste est "Nix Uotan" (qui a l'air de vivre sur Terre-0). Il garde le Multivers en lisant des comics et il est clairement le symbole du Lecteur lui-même (et non pas seulement un hommage au "Watcher Uatu" de l'Univers Marvel - les comics Marvel étant eux-mêmes reflétés par "Major Comics" et Terre-8). Quand il lit ces comics, Nix Uotan devient le Monitor, Super-Judge, le regard critique, et on ne sait plus très bien si c'est seulement une lecture ou un trip hallucinatoire shamanique (Morrison n'est pas très critique politiquement mais il garde les éléments libertaires psychédéliques des années 60).

Terre-7 (qui est la Terre "mixte" où se déroulaient les cross-overs entre DC et Marvel) vient d'être ravagée par des démons cthulhuoïdes appelés la "Gentry" (et encore une fois, si Nix Uotan représentait notre propre acte de lecture, la Gentry représente les pulsions les plus nihilistes que nous avons vis-à-vis de nos propres représentations fictives). Nix Uotan est capturé par la Gentry (le lecteur devient cynique) et "Thunderer" (ou Wandjina, une version aborigène d'Australie et non pas européenne de Thor de Terre-8) part recruter des héros des différents mondes pour sauver le Multivers.

Terre-23 est une version de la Terre DC centrée sur les minorités ethniques. Leur Superman y est Calvin Ellis, un Kryptonien noir, qui a aussi été élu Président des USA dans une version de l'ultime Super-Obama (ce qui est d'ailleurs basé sur une vraie plaisanterie d'Obama, qui avait dit en visitant le village de Metropolis qu'il avait été envoyé par Jor-El sur Terre). Il avait été vu à la fin de Final Crisis et dans Action Comics vol. 2, n°9.


On retrouve ici notamment un Hawkman (de quel monde ?), Bloodwynd (héros mais nécromancien), Aquawoman (de Terre-11), Captain Carrot (Terre-26), Dino-Cop (une version de Savage Dragon d'Erik Larsen, Terre-41 avec Spore en équivalent de Spawn), Red Racer (un double geek et gay de Flash de Terre-36).

Un des thèmes évidents de Multiversity est la "Diversité". Comme le fait remarquer un annotateur, aucun homme blanc-hétéro-cis n'a la parole dans toute la bd avant l'arrivée sur Terre-8 (la Terre Marvel), comme si Morrison voulait se moquer de la réputation de plus grand conservatisme de DC (une autre plaisanterie en passant est de dire que c'est la Terre Marvel qui domine les représentations, mais au cinéma). Il semble ainsi inverser notre préjugé contre le côté trop usé du Multivers en le représentant comme le signe de ces possibilités encore inexplorée. The Comic Journal commente cela comme une hypocrisie politique dans la mesure où Morrison défend finalement le status quoi éditorial, quels que soient ses appels à la "Diversité" dans les représentations.

Le thème du Vampire est permanent dans la bd, des parasites du début à ces Abominations à la fin, mais l'allégorie est confuse : le Vampire a l'air d'être plus le Critique que l'Editeur commercial, si je comprends bien.

Oui, tout cela a déjà été vu. Alan Moore a déjà fait une histoire avec une réunion de contre-parties dans un centre inter-dimensionnel à la fin de sa propre série Supreme (qui reprenait déjà d'ailleurs sa brigade de Captain Britains). Et la Morale était déjà que les Comics ne devraient pas se laisser engloutir dans le noirceur cynique issue d'une lecture unilatérale de Watchmen.

Morrison a déjà joué avec les mêmes thèmes de méta-référentialité dans toute son oeuvre depuis au moins son Animal Man. Et je ne suis pas encore convaincu que sa théorie synesthésique / pythagoricienne (les comics doivent être plus vus comme une forme de musique et pas seulement de graphisme, c'est pourquoi chaque Terre est en fait une Note et le voyage entre les mondes est une Improvisation mélodique) a un sens.

Mais alors que Final Crisis donnait une impression de confusion et d'arbitraire où on sautait du coq à l'âne, Multiversity en est une seconde version mieux maîtrisée, mais bien entendu plus prévisible.

Cela ne calmera pas la Guerre entre Moore et Morrison comme ils apparaissent en pleine antithèse : Moore rejette les éditeurs mainstream comme des vampires, Morrison redéploie encore les vieux thèmes mooriens à l'intérieur des grandes compagnies de multimedia en continuant à prétendre qu'il n'y a pas de contradiction irrésoluble entre l'imaginaire mythopoétique et l'exploitation commerciale.

lundi 1 septembre 2014

The Wicked + The Divine #1-3


Cette nouvelle série est réalisée par Kieron Gillen (scénariste de l'excellent Loki) et Jamie McKelvie (qui illustrait il n'y a pas si longtemps Phonograms pour Gillen). L'idée de départ ressemble à un remake d'une série de Neil Gaiman chez Vertigo, mais avec l'obsession de Gillen sur la musique : les Dieux polythéistes des mythologies humaines reviennent sous des formes de personnes très jeunes tous les 90 ans et ils ne sont réincarnés que pour deux ans avant de mourir à nouveau. Ce cycle s'appelle la Récurrence et on a donc dans cette continuité eu un retour en 1923 et un autre actuellement, en 2014 (et donc un vers 1830 et vers 1740, 1650, 1560... Gillen a dit qu'il y aurait des flashbacks).

Une seule Déesse semble dépasser ce cycle, la vieille Ananke, déesse du Destin, qui guide chaque nouvelle "éclosion" des Dieux. Les autres qui ont été explicitement nommés sont Amaterasu & Susano-wo, Baal, Innana, Minerva (qui a pris un corps d'enfant), Morrigan, Sakhmet, Tara, Woden, Lucifer et Baphomet. Ces Dieux ne se cachent pas, il n'y a aucune "Mascarade" (même si Ananke a l'air de préférer qu'ils restent un peu discrets) et au contraire ils se font adorer comme des "Idoles des Jeunes" pendant peu de temps avant d'être consumés au bout des deux années de vie.

Kieron Gillen a expliqué la métaphore comme l'inverse de sa série sur la phonomancie. Phonogram montrait la culture des Fanatiques de musique alors que The Wicked + The Divine prend le point de vue des créateurs eux-même et de leurs étincelles prométhéennes. Les deux héroïnes sont Cassandra (une journaliste experte en mythologie comparée et qui reste très sceptique contre la prétendue Récurrence) et Laura (jeune fanatique d'Amaterasu, qui souhaite elle aussi saisir un peu de Divinité). Jamie McKelvie rompt avec le Noir & Blanc de Phonograms et ses couleurs donnent une chaleur très différente (comme il l'avait déjà fait dans sa mini-série personnelle, Suburban Glamour).

Dans les premiers épisodes, Lucifer (qui est ici une femme david-bowiesque) s'est défendue contre une attaque de ce qui semblait être des fondamentalistes et a été accusée de meurtre. Laura est devenue son alliée et part enquêter pour savoir qui aurait intérêt à piéger le Diable - au moment où Baphomet lutte contre Morrigan et où Baal serait en conflit avec Innana.

J'ai craint un peu que Lucifer n'ait finalement la même voix que l'autre Trickster doué qu'était le Jeune Loki réincarné mais les comparaisons musicales changent les métaphores. On a dans les deux cas un commentaire ironique sur les mythologies et des références à ce thème de la jeunesse (qui vaut plus pour l'Initiation que pour la Mortalité) et il est toujours un peu agaçant que Kieron Gillen, en bon journaliste musical, semble tant craindre plus que tout d'être ringard en multipliant le vocabulaire d'ado blasé - mais c'est mon propre biais d'enseignant qui devient phobique vis-à-vis de ce ton.

Cela ressemble aussi au jeu de rôle Scion (qui pompait déjà sans doute Sandman), mais on n'est plus vraiment dans une simple variante du superhéros. Ces Idoles ne sont pas aussi inquiétantes que les Olympiens totémiques et dionysiaques qui apparaissent en ce moment dans Wonder Woman mais restent inhumains. L'idée que ces Immortels en récurrence sont appelés au contraire à une vie éphémère (deux ans sera peut-être aussi la durée de l'histoire) ne parle pas seulement de la mortalité, c'est aussi un commentaire sur les comic books qui deviennent des mythes tout en étant lié à un médium de fragilité et d'obsolescence.