mardi 2 septembre 2014

The Multiversity #1


The Multiversity est une nouvelle série de Grant Morrison où il s'amuse à travers le Multivers de DC Comics. On a donc à nouveau une guerre entre les dimensions, un grand conflit entre des variantes des superhéros et une forme de destruction nihiliste.

Je suis un peu perplexe. D'habitude, avec Morrison, la plupart des autres lecteurs que je vois sur Internet crient au Génie et je trouve cela assez décevant. Là, la réception critique a été très mauvaise (disant que Morrison se répétait énormément, voir cette critique sur TCJ) et j'ai été au contraire relativement amusé, même si c'est en effet relativement peu surprenant.

Mais j'ai un biais : un des héros est Captain Carrot, le héros de Terre-26 (la dimension des Toons, celle qui s'appelait "Terre-C" avant la Crise des Terres Infinies) et, bien que cela semble être un prétexte infantile, je pardonne à peu près tout à une série avec Captain Carrot, je n'y peux rien.


Il y a déjà au moins une version annotée et je ne ferai donc que résumer le début. Et voilà aussi une vidéo de DC résumant la "Carte du Multivers" réalisée par Morrison pour accompagner cette série :


Le Multivers de DC Comics est composé de 52 Dimensions (numérotées de Terre-0 à Terre-51) et certaines de ces réalités sont reflétées comme des fictions sur les autres, ce qui signifie que chaque comic-book est en relation avec une de ces Terres possibles (et donc que par récurrence, notre propre réalité est intégrée comme une sous-partie de ce Multivers fictif).

Ce Multivers était protégé par 52 Monitors mais le dernier qui subsiste est "Nix Uotan" (qui a l'air de vivre sur Terre-0). Il garde le Multivers en lisant des comics et il est clairement le symbole du Lecteur lui-même (et non pas seulement un hommage au "Watcher Uatu" de l'Univers Marvel - les comics Marvel étant eux-mêmes reflétés par "Major Comics" et Terre-8). Quand il lit ces comics, Nix Uotan devient le Monitor, Super-Judge, le regard critique, et on ne sait plus très bien si c'est seulement une lecture ou un trip hallucinatoire shamanique (Morrison n'est pas très critique politiquement mais il garde les éléments libertaires psychédéliques des années 60).

Terre-7 (qui est la Terre "mixte" où se déroulaient les cross-overs entre DC et Marvel) vient d'être ravagée par des démons cthulhuoïdes appelés la "Gentry" (et encore une fois, si Nix Uotan représentait notre propre acte de lecture, la Gentry représente les pulsions les plus nihilistes que nous avons vis-à-vis de nos propres représentations fictives). Nix Uotan est capturé par la Gentry (le lecteur devient cynique) et "Thunderer" (ou Wandjina, une version aborigène d'Australie et non pas européenne de Thor de Terre-8) part recruter des héros des différents mondes pour sauver le Multivers.

Terre-23 est une version de la Terre DC centrée sur les minorités ethniques. Leur Superman y est Calvin Ellis, un Kryptonien noir, qui a aussi été élu Président des USA dans une version de l'ultime Super-Obama (ce qui est d'ailleurs basé sur une vraie plaisanterie d'Obama, qui avait dit en visitant le village de Metropolis qu'il avait été envoyé par Jor-El sur Terre). Il avait été vu à la fin de Final Crisis et dans Action Comics vol. 2, n°9.


On retrouve ici notamment un Hawkman (de quel monde ?), Bloodwynd (héros mais nécromancien), Aquawoman (de Terre-11), Captain Carrot (Terre-26), Dino-Cop (une version de Savage Dragon d'Erik Larsen, Terre-41 avec Spore en équivalent de Spawn), Red Racer (un double geek et gay de Flash de Terre-36).

Un des thèmes évidents de Multiversity est la "Diversité". Comme le fait remarquer un annotateur, aucun homme blanc-hétéro-cis n'a la parole dans toute la bd avant l'arrivée sur Terre-8 (la Terre Marvel), comme si Morrison voulait se moquer de la réputation de plus grand conservatisme de DC (une autre plaisanterie en passant est de dire que c'est la Terre Marvel qui domine les représentations, mais au cinéma). Il semble ainsi inverser notre préjugé contre le côté trop usé du Multivers en le représentant comme le signe de ces possibilités encore inexplorée. The Comic Journal commente cela comme une hypocrisie politique dans la mesure où Morrison défend finalement le status quoi éditorial, quels que soient ses appels à la "Diversité" dans les représentations.

Le thème du Vampire est permanent dans la bd, des parasites du début à ces Abominations à la fin, mais l'allégorie est confuse : le Vampire a l'air d'être plus le Critique que l'Editeur commercial, si je comprends bien.

Oui, tout cela a déjà été vu. Alan Moore a déjà fait une histoire avec une réunion de contre-parties dans un centre inter-dimensionnel à la fin de sa propre série Supreme (qui reprenait déjà d'ailleurs sa brigade de Captain Britains). Et la Morale était déjà que les Comics ne devraient pas se laisser engloutir dans le noirceur cynique issue d'une lecture unilatérale de Watchmen.

Morrison a déjà joué avec les mêmes thèmes de méta-référentialité dans toute son oeuvre depuis au moins son Animal Man. Et je ne suis pas encore convaincu que sa théorie synesthésique / pythagoricienne (les comics doivent être plus vus comme une forme de musique et pas seulement de graphisme, c'est pourquoi chaque Terre est en fait une Note et le voyage entre les mondes est une Improvisation mélodique) a un sens.

Mais alors que Final Crisis donnait une impression de confusion et d'arbitraire où on sautait du coq à l'âne, Multiversity en est une seconde version mieux maîtrisée, mais bien entendu plus prévisible.

Cela ne calmera pas la Guerre entre Moore et Morrison comme ils apparaissent en pleine antithèse : Moore rejette les éditeurs mainstream comme des vampires, Morrison redéploie encore les vieux thèmes mooriens à l'intérieur des grandes compagnies de multimedia en continuant à prétendre qu'il n'y a pas de contradiction irrésoluble entre l'imaginaire mythopoétique et l'exploitation commerciale.

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