jeudi 2 octobre 2014
[Comics] Rat Queens
Il y a une longue histoire entre les comic books et les jeux de rôle, qui vont du meilleur (la série Forgotten Realms de 1990 par Jeff Grubb, Artesia de Mark Smylie qui est directement influencée par Glorantha) au pire. Contrairement aux séries récentes D&D (chez IDW) et Pathfinder (chez Dynamite), Rat Queens (Kurtis Wiebe au scénario et Roc Upchurch aux dessins) n'a rien d'officiel mais l'atmosphère est explicitement une parodie de D&D, avec une touche "Old School" dans le sens où les personnages ont un aspect amoral de "Clochards Meurtriers" (pour reprendre le cliché à la mode Murder Hobos) ou de Barbare amoral à la Cerebus The Aardvark, qui ferait passer même Fafhrd et Gray Mouser pour de sobres et idéalistes Paladins.
Il y a en plus peut-être enfin parfois un clin d'oeil aux films "de genre" de Tarentino sur des fantasmes de guerrières roublardes et sans-gêne mais on a pu comparer leur attitude décomplexée plutôt à l'humour noir "punk" de Jamie Hewlett dans Tank Girl.
Qui ?
Les Reines Rattes sont une équipe de 4 aventurières, Hannah, Betty, Dee et Violet, qui correspondent aux grands canons des Classes de Personnage et des Espèces de D&D - si ce n'est que leurs alignements doivent être assez troubles, vers le Chaotique Neutre, ou bien cachant sous un dehors Neutre Pur un coeur Chaotique "bon" (du moins selon certaines définitions). Une allusion laisse penser que leur blason de "Rat" serait peut-être plus qu'un symbole et qu'on apprendra un jour les connotations mythologiques du Rongeur comme Trickster apocalyptique.
Hannah semble agir à peu près comme la "chef charismatique" du groupe. Mage elfe irascible, dipsomane et cynique, fille d'anciens nécromanciens qui continue à prendre des nouvelles par une sorte de téléphone portable, elle a une relation compliquée de Comédie romantique avec Sawyer, le sheriff de la ville, intègre et efficace, mais au passé trouble d'ancien assassin. La Magie dans cet univers utilise des incantations en une sorte de pseudo-latin à la Harry Potter ("Necrius Daevide") et ses formules semblent faire appel à des forces obscures.
Betty est une Halfling, enfin une "Smidgen" pour utiliser le terme choisi dans l'univers de Kurtis Wiebe pour l'espèce tolkiénienne. Depuis que Bilbo fut le premier et atypique "Hobbit Cambrioleur", D&D a fait de tous les Halflings des voleurs et a même pu créer les Kenders pour avoir une espèce entière de petits kleptomanes. Ce qui était donc une sorte de paradoxe chez Tolkien est devenu une norme : les Hobbits si petits-bourgeois ou si enfantins et innocents sont maintenant définis au contraire par la transgression des conventions de propriété ou de convenance. Betty joue sur cet effet de transgression, en paraissant toujours d'une innocence puérile avant de montrer qu'elle est une hédoniste encore plus franche que les autres, toxicomane aux champignons hallucinogènes, lesbienne fleur bleue qui semble éperdument et sincèrement amoureuse de plusieurs jeunes filles. Je pensais qu'elle finirait par devenir agaçante dans ce mélange sexiste de kawaii, de "lezploitation" et de satire mais elle est finalement assez rafraichissante par sa joie de vivre et son absence apparente de tout "passé torturé et refoulé" - alors que ce passé est un peu ce qui définit tous les autres personnages.
Violet est une guerrière naine et semble être la plus raisonnable du groupe. Elle n'a été à vrai dire développée qu'à partir de ce numéro 8 qui sort aujourd'hui. Une allusion lourde aux débats des joueurs de D&D est qu'elle se rase la barbe par souci esthétique et par rebellion contre les coutumes des Nains (elle vient d'une dynastie de forgerons, Blackforge, qui ont des coutumes qui rappellent des Clans écossais, comme l'opinion commune américaine est que les Nains doivent avoir un accent écossais). Avec une telle guerrière, quelle que soit son armure, on n'est donc plus dans l'exploitation sexy directe du bikini cotte de maille à la Red Sonja. Elle a, elle aussi, une amourette, avec un collègue aventurier orque nommé Dave Merlebleu.
"Dee" (ou Delilah) est la seule Humaine, prêtresse d'un culte du dieu N'rygoth, une sorte de Cthulhu pour lequel elle n'a plus beaucoup de Foi ni même d'estime, au grand desespoir de sa famille. Curieusement (comme on le lui fait remarquer), elle garde ses sorts de Clerc malgré toute sa crise spirituelle contre la Pieuvre extra-dimensionnelle, et semble vraiment se poser des questions sur le statut non seulement de sa divinité Grand Ancien mais aussi de la magie cléricale en général. Sa vie sentimentale est encore plus compliquée que celle de Hannah, comme on ne l'apprend qu'à la fin du n°6.
Que leur arrive-t-il ?
Pour l'instant, 8 numéros sont parus (les 5 premiers viennent d'être repris en un TPB et il y a eu un bref preview). Les aventures sont plus humoristiques que dramatiques mais il peut y avoir parfois quelques mélanges de genre, vers l'horreur ou la violence, comme dans une vraie partie de jeu de rôle et je trouve parfois certains combats un peu longs et inutilement sanglants. Mais je pense que si c'était un vrai jeu de rôle, cela utiliserait plus les règles de "conflit sociaux" que de combat, malgré tous les clins d'oeil vers le jeu Old School - on pourrait alors plus regarder du côté de Monsters & Magic).
Le premier arc des premiers numéros est une sorte d'enquête mais ce n'est qu'ensuite qu'on commence à comprendre certains secrets de cette petite ville de Palissade, avec le passé d'assassin de Sawyer ou le plan d'un notable pour se venger.
A ma grande surprise, et malgré mon aversion envers Tarentino ou toute l'esthétique qui évoquerait une sorte de parodie du sexisme inversé au second degré (aussi utilisée dans le jeu récent Bimbo, je crois), Rat Queens est peut-être dans son décalage la meilleure adaptation de D&D actuellement, bien plus réussie dans sa liberté de ton que les deux adaptations officielles déjà citées qui donneront toujours une impression de simple dérivé de la licence commerciale.
Update : Roc Upchurch n'est plus dessinateur, mais reste co-propriétaire de la série : http://comicsalliance.com/roc-upchurch-arrested-for-domestic-violence-rat-queens-will-continue-with-a-new-artist/
RépondreSupprimerOui, j'avais suivi un peu cette histoire. Wiebe a été courageux dans son choix car cela ne devait pas être évident.
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